ÉTATS-UNIS Comment la guerre s’est introduite chez nous ?

samedi 21 avril 2007.
 

Nombre d’anciens combattants sont sujets au stress post-traumatique à leur retour d’Irak.

Le mensuel de gauche The Progressive publie le témoignage de l’épouse d’un sergent de la garde nationale.

Comment la guerre s’est introduite chez nous

Par Stacy Bannerman

J’étais en train de plier des tracts pour un atelier du lycée sur la non-violence quand mon mari, sergent à la section de mortier de la 81e brigade de la garde nationale, fit irruption dans mon bureau et me dit : "J’ai eu l’appel." J’ai parfaitement compris ce qu’il voulait dire, même si je ne savais pas encore ce que cela allait impliquer pour nous.

Nous n’étions pas préparés, ni la garde d’ailleurs, qui l’envoya au feu sans le matériel et les fournitures de base telles que GPS, lunettes de vision nocturne et anti-insectes, qui lui auraient été nécessaires pendant l’année qu’il allait passer au camp Anaconda, la base la plus attaquée en Irak à en juger par le nombre de roquettes et d’obus de mortier qu’elle reçoit : cinq par jour en moyenne. Vingt-quatre heures après l’envol de Lorin pour l’Irak, j’ai accroché un drapeau américain orné d’une étoile bleue à une fenêtre - signe qu’un proche est parti au combat. Puis j’ai fermé les stores en espérant me protéger des funestes nouvelles. Mais elles me sont tout de même arrivées par le téléphone, Internet, les journaux et la télé.

Chaque semaine, j’entendais parler du mari ou du fils d’une amie : blessé, mutilé, touché, souffrant, brûlé, amputé, décapité, victime d’une explosion, mort. Un glossaire de malheurs. Je consultais sans cesse le site icasualties.org, jurant et pleurant en voyant le nombre de victimes s’élever, priant pour que Lorin ne soit pas le prochain sur la liste.

Je militais au sein de Military Families Speak Out, une organisation qui, comme son nom l’indique, regroupe des gens qui ont des proches en uniforme et sont résolument opposés à la guerre en Irak. Nous rompions le traditionnel code du silence de l’armée en manifestant publiquement contre cette guerre, et la réaction a été vive, en particulier pour les femmes de militaires. Les épouses de camarades de mon mari m’ont mise à l’écart, et Lorin a été réprimandé par ses supérieurs. J’étais une "épouse indisciplinée" et il pouvait "s’attendre à des conséquences négatives sur sa carrière".

Deux mois après son départ, Lorin m’a appelé et m’a raconté d’une voix bouleversée qu’il y avait eu un "accident". Deux enfants irakiens étaient morts parce qu’il avait donné l’ordre de tirer deux obus de mortier. Plusieurs semaines plus tard, il a rappelé pour me dire, d’une voix monocorde et froide, que les hommes avec lesquels il avait mangé la veille au soir venaient d’être tués par les soldats irakiens qu’ils entraînaient six heures plus tôt.

Ses courriels arrivaient parfois avec du retard ou lui étaient renvoyés comme intransmissibles, certains passages ayant été censurés par l’armée. Dans ceux que je recevais, il me demandait davantage de bonnes choses à manger, de lingettes, de piles, de films et de magazines.

Finalement, au bout d’un an, j’ai reçu un appel m’informant que mon mari rentrait au pays. Ce qu’on ne m’a pas dit, c’est qu’il ramenait la guerre avec lui.

Près de deux mois après son retour, il continuait à chercher son arme chaque fois qu’il montait dans un véhicule. Il conduisait agressivement, parlait agressivement et, parfois, j’aurais juré qu’il respirait agressivement. Cet étranger hypervigilant, au regard froid, qui passait ses nuits à regarder les dizaines de DVD que lui avaient offerts des camarades en Irak, n’était pas l’homme que j’avais épousé.

L’isolement émotionnel est l’un des principaux symptômes des problèmes de santé mentale dont souffrent les anciens combattants. La garde nationale n’a pas effectué de contrôles ni de tests sur les membres de la compagnie de mon mari pendant près de huit mois. Ce n’est qu’un an après son retour, en août 2006, que Lorin a été informé des résultats de ses examens : trouble de stress post-traumatique (TSPT). Il était évident qu’il souffrait, mais lorsque j’ai évoqué le sujet, il s’est contenté de répéter ce qu’on lui avait dit à l’armée : "Il faut du temps."

Le temps n’a pas réglé les problèmes de Jeffrey Lucey, Doug Barber et de la dizaine d’autres membres de la garde et de réservistes qui se sont suicidés à leur retour d’Irak. Le temps n’a pas aidé les centaines d’anciens combattants qui se sont retrouvés sans domicile (plus de 60.000 mariages éclatés), à errer, perdus, dans les rues de ce qu’on présente aux familles de militaires comme un pays profondément reconnaissant. Le temps n’est assurément pas de notre côté.

Il a été difficile de se reconnecter après plus d’un an d’absence, et la blessure ouverte d’un PSPT non soigné a rendu la tâche quasiment impossible. Lorin demeure la meilleure preuve dont je dispose de la grâce de Dieu dans ce monde, mais nous n’avons pas réussi à nous retrouver depuis que la guerre s’est introduite chez nous.

Stacy Bannerman


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