Macron, un bloc de classe « bourgeois » (Ensemble !)

lundi 27 mars 2017.
 

Je crois que nous avons sous-estimé, et certains sous-estiment encore, la candidature de la « créature des médias » en parlant de bulle qui allait se dégonfler.

La note ci dessous fait suite à 2 articles sur mon blog de Médiapart :

- https://blogs.mediapart.fr/etiennea...

- et https://blogs.mediapart.fr/etiennea...

Deux articles du Monde diplomatique de ce mois détaillent bien les bases de classe du « parti Macron » : « Majorité sociale, minorité politique » de Bruno Amable et « Les vieux habits de l’homme neuf » de François Denord et Paul Lagneau-Ymonet.

Macron le produit des mouvements populaires ?

Nous mesurons mieux aujourd’hui la véritable révolution politique générée par les mouvements sociaux du printemps 2016. Ce n’est pas une nouveauté : la gauche voit son électorat se réduire, une partie des abstentions sont un signe de méfiance vis à vis du politique. Face aux luttes contre la loi travail le recours au 49-3 était aussi un signe de faiblesse, l’incapacité d’exercer une hégémonie au sein même de la majorité présidentielle. La crise a pris une acuité particulière avec les mouvements qui ont « travaillé » cette société et fait la démonstration que les représentants traditionnels ne sont plus capables de fédérer suffisamment de forces sociales pour exercer une hégémonie ou asseoir une réponse autoritaire.

Elle se traduit par l’incapacité des appareils politiques (administratifs et représentatifs) à assurer un consensus minimum pour rendre possible même des actes administratifs qui semblaient pouvoir échapper à toute contestation publique.1

Nous voyons certes disparaître les formations politique historiques2 qui assuraient la représentation depuis quelques décennies, sans se réduire pas à ces grands partis de gouvernement : le FDG a lui aussi subi les effets de cette crise en dehors de telle ou telle tactique politique : l’idée même d’un front politique et socialodoxa comme outil a fait long feu. C’est l’idée même de délégation qui est mise en cause dans une société où le rapport au pouvoir se modifie suscitant une demande d’intervention citoyenne à laquelle le FDG n’a pas répondu.

Le Pen/Macron

Seul le FN tire son épingle du jeu et occupe une place centrale dans la reconfiguration du champ politique. Aujourd’hui la victoire du FN est loin d’être assurée – je ne suis pas sûr que ce soit le le choix premier de la fraction dominante des classes dirigeantes, le plus adapté avec les modes de gestion du salariat et les pratiques managériales... bref le plus en phase avec la reconstruction capitaliste d’un nouveau rapport salarial. Mais elle reste une possibilité du fait de la radicalisation de la droite ( et au delà...) qui reprend des thématiques frontistes sur les immigrés , sur le sécuritaire... Nous sommes dans une telle instabilité qu’un autre type de bloc dominant n’aura peut être pas les moyens de se mettre en place, et laissera la place aux monstres.

Macron peut susciter une adhésion défensive face à eux – il représente aussi une véritable roue de secours pour le capitalisme, « un populisme version CAC 40  » comme le dit G Brustier. Même si nous considérons que le risque FN est limité, mesure t’on les risques que nous prenons en laissant Macron battre le FN. Sommes nous prêts à lui laisser la place de chevalier blanc ? Une victoire de Macron -devenu le défenseur de la démocratie - aurait des conséquences catastrophiques en termes de « désarmement idéologique » de celles et ceux qui veulent encore changer ce monde. Il répond en novlangue libérale à cette aspiration au changement : « il faut que tout change pour que rien ne change ».

Macron l’héritier caché

Il est l’héritier de Hollande et du courant social libéral , mais aussi celui du centre et de son projet de dépassement droite-gauche, et celui du Giscard moderniste. Le même phénomène de « renaissance du centrisme » se voit en Europe sous des modalités diverses dont Ciudanados (le Podemos de droite ) ou d’autres en Autriche, ou ceux qui dans le mouvement « 5 Stelle » tentent le rapprochement avec les libéraux belges. La caractéristique de ces mouvements est de se situer dans la critique, la contestation des régimes en place tout en sauvegardant le libéralisme. La « rupture » reste au niveau du système politique de représentation : tous prétendent créer une « bonne représentation » comme solution à la crise de la démocratie.

Macron se sert aussi de cette fonction « contestataire » pour regrouper autour de lui des groupes sociaux aux intérêts différents : le flou de son programme est délibéré, il participe de cette rupture avec les élites qui savent tout, et cette imprécision permet des rassembler large. Il appelle à la « poursuite des réformes » contre le compromis social fordiste « daté ». Son projet brouille les pistes et les repères politiques traditionnels : il prend ses distances avec le « tout économique dominant » pour présenter un projet de société, une vision d’avenir en ayant recours à la philosophie humaniste. Il tient aussi un discours « anti-bureaucratique » de modernisation propre à séduire largement : en fait il vise à remodeler les fonctionnement des appareils d’ État en le rapprochant de la gestion des entreprises, par la lutte contre certaines catégories de rentiers à l’ancienne ( Notaires, Taxis dans la suite du rapport Attali sur la libération de la croissance française). Ainsi il se donne une image de camp du mouvement... Il vise à constituer un nouveau « Bloc bourgeois » appuyé sur les groupes sociaux les plus intégrés à la mondialisation et les plus diplômes et aisés.

Stratégie sociale- libérale et classes populaires

On pourrait se contenter de constater que les couches sociales qui soutiennent Macron, qui partagent sa vision du monde, restent politiquement et socialement minoritaires dans l’électorat., si le projet macronien ne visai pas à construire un consensus de classe plus large selon deux directions différentes mais complémentaires.

D’une part, la stratégie social-libérale produit de la la neutralisation des catégories populaires par leur découragement : « rien ne peut changer, puisque ce sont toujours les possédants qui décident » qui fabrique de l’impuissance dans les classes populaires. Ils leur inculquent qu’il n’y pas d’alternative, que les lois de l’économie sont incontournables et imposent la résignation. En faisant disparaître les ouvriers de la scène publique ils les discréditent : le think thank social libérale Terra Nova a élaboré une vision culturelle de déconsidération de la classe ouvrière réduite un vivier de fascistes du moins dans leur vote. Les discours – répétitifs - sur le vote ouvrier pour Le Pen participent de cette stigmatisation : il n’y a plus d’espoir d’émancipation, de progressisme du côté du prolétariat.

Ce désarmement culturel est aussi vrai pour les chômeur-se-s devenus responsables de leur situation par incapacité , manque de formation ou comportement déviant (fainéants). Cette vision des chômeurs est, hélas, largement partagée dans de nombreux secteurs du salariat, comme le montre la popularité des mesures de contraintes vis à vis des chômeurs. Il y a là une là rupture des solidarités de classe qui offre des marges d’action au social libéralisme : ceci a déjà permis à Macron de se poser en défenseurs des « outsiders victimes des insiders » voir https://blogs.mediapart.fr/etiennea...

Le syndicalisme libéral au service de Macron

Souvenons nous qu’il est facile de faire passer pour « social » ou progressiste des compromis de recul social. Le syndicalisme social- libéral est un outil pour s’appuyer sur des couches sociales plus larges que les appuis du « bloc bourgeois » (cadres , noblesse d’Etat …) Ce « partenaire social » 3 sait organiser le ralliement de certaines catégories de salarié-e-s avec un certain succès. Les scores de la CFDT dans les élections professionnelles des entreprises privées le montrent. Les difficultés à organiser une riposte sur l’ANI et la loi dite de « sécurisation de l’emploi » et plus encore l’inaction contre les aspects soi disant positifs qui mettent en cause la solidarité ( généralisation des complémentaires santé de préférence » à la sécu) devraient retenir toute notre attention sur les dangers . N’oublions pas non plus que la loi Macron a été négociée (co-élaborée ?) avec la CFDT sur des dispositions comme la démolition des prud’hommes. La loi travail elle même est passée par l’expertise de ces mêmes syndicalistes qui ont obtenu des avantages sociaux qui vont se révéler des atteintes supplémentaires à un système solidaire (le Compte Personnel d’Activté). Demain Macron va moraliser l’uberisation par la « reconnaissance » de droits pour de nouvelles catégories de salarié-e-s (dont ceux Uber), ouvrir l’assurance chômage à des subordonnés non salarié comme les auto entrepreneurs , ou les indépendants.

Et quand on voit que Macron a rallié à lui des gens comme Thierry Pech qui fut employé par l’appareil confédéral de la CFDT et aujourd’hui directeur général de Terra Nova , Jean Kaspar ( l’ancien secrétaire général de la CFDT) ou les dirigeants du cabinet d’expertise Secafi ( longtemps lié à la CGT) on mesure qu’il est capable de continuer cette stratégie de désorganisation du salariat.

L’homme de Rothsild (celui les jeunes de quartier ou des chauffeurs Uber ?), se construit un espace

Il en suffit pas de lancer des slogans sur « l’homme de Rothschild » pour mettre à jour le projet politique dans toutes ses dimensions : Macron se positionne sur la sécurité non pas dans une réponse en termes exclusifs de répression mais dans « un combat moral et civilisationnel » en proposant même de rallier les jeunes « des quartiers » -devenus ou non chauffeurs d’Uber- à la république !

Contre la dérive liberticide et raciste, le choix de Macron risquera d’apparaître aux yeux de beaucoup comme un moindre mal nécessaire. S’il devient président, nous payerons pourtant très cher le fait de lui avoir laissé le beau rôle dans la défaite du FN, nous lui offrons -contre notre gré – des outils de consensus qui le renforcent. Ce d’autant plus que nous serons soumis à la nécessité, dans une dynamique de dramatisation qui peut se mettre en place, de ne pas en faire l’égal de Le Pen. Le piège présidentiel va se refermer contre la gauche qui ne se pose pas la question de s’en dégager : pourquoi ne pas écouter celles et ceux qui proposent de « hacker » la présidentielle en rompant avec des pratiques politiques traditionnelles ?

NOTES

1 A Sivens ou à Notre Dame des Landes, ni le barrage, ni l’aéroport ne se construisent parce que les appareils politiques n’ont pas été capables de neutraliser les opposants : ni dans le débat public, ni par la force publique. La contestation de plus en plus large de la délégation aux élus, aux administratifs, aux savants et aux techniciens ne peut être contenue par le fonctionnement actuel du système politique. Nous avons vu la même chose pour la loi Macron et surtout pour la loi travail. Certes cette dernière a été adoptée par défaut comme le permet un 49-3, les décrets d’application ont été pris dans des délais records mais après ? Les acquis patronaux de la loi El Khomri peuvent-ils donner tous les résultats promis ? Rien n’est moins sûr. Là où il devait y avoir large accord, neutralisation des opposants, c’est la contestation qui frappe de suspicion le dispositif.

2 L’usage des primaires -loin d’être une avancée démocratique- n’a fait que révéler la crise des 2 camps

3 Au centre du syndicalisme libéral se trouve – comme chez Hollande et les sociaux-libéraux – la notion de démocratie sociale qui vise à remplacer les normes législatives par celles issues de la négociation , tout en prétendant permettre la démocratie pour les salariés ( référendum d’entreprise par exemple). En fait les syndicalisme est institutionnalisé et transformé en agent de médiation entre ceux ci et le capital . Le refus de l’inversion de la « hiérarchie des normes « a constitué un élément central du refus de la loi El Khomri. Pourtant nous n’avons pas été assez loin dans la critique de ce type de démocratie sociale- libérale qui reste utilisable par de futurs dirigeants populistes du CAC40


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