Sciences économiques : Quand les patrons écrivent les programmes

samedi 4 mars 2017.
 

Le 30 janvier, l’Académie des Sciences morales et politiques (ASMP) proposait à cinq économistes de livrer leur « diagnostic » sur l’enseignement des Sciences économiques et sociales (SES). Verdict des « experts » : manuels et programmes sont biaisés. Trop marxistes, trop keynésiens, trop sociologiques, usant de concepts éculés (comme celui de « classe sociale »), ils ne donnent pas une image assez « positive de l’entreprise » et du marché. À réviser, donc, et d’urgence.

Ce « diagnostic » ne surprendra que ceux qui ignorent ce qu’est l’ASMP. L’Académie rassemble en effet, dans les luxueux bâtiments de l’Institut de France, de hauts dignitaires patronaux (Yvon Gattaz, Denis Kessler), des éditorialistes en vue (Alain Duhamel, François d’Orcival), des économistes néolibéraux (le Prix « Nobel » Jean Tirole), d’anciens banquiers centraux (Jacques de Larosière, Jean-Claude Trichet) et quelques figures de la vieille droite universitaire. Le tout sous la houlette de Michel Pébereau, ancien PDG de BNP-Paribas et figure-clé du capitalisme français. En plaidant, à quelques mois de la présidentielle, pour une refonte libérale des programmes de SES, l’ASMP reprend une méthode qu’elle avait déjà appliquée, avec succès, en 2008. Elle avait alors remis au ministre de l’Éducation nationale, Xavier Darcos (devenu depuis… membre de l’ASMP), un rapport sur l’enseignement de l’économie. Ce document avait inspiré une première réorientation des programmes dans un sens pro-business. Aujourd’hui, l’ASMP et son président comptent bien rééditer le coup de 2008 : après le « diagnostic », ils annoncent, pour fin février, une série de « propositions », dont la teneur libérale ne fait aucun doute.

Cette offensive s’inscrit dans un contexte d’affrontement entre les tenants d’une science économique étroitement mathématique, globalement favorable au marché, et ceux qui défendent une approche plus large, plus sociologique, et souvent plus critique. Si l’ASMP cible les programmes du secondaire, la lutte fait également rage dans l’enseignement supérieur, où les économistes « orthodoxes », menés par J. Tirole, bloquent la création d’une section CNU susceptible d’accueillir leurs collègues mal-pensants.

Quelle science économique veut-on ? Au-delà du débat théorique, la question est politique et culturelle. C’est de la formation de l’esprit public et de la liberté des futurs travailleurs qu’il s’agit.

Antoine Prat


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