Cour des comptes : Père fouettard de l’ordre libéral capitaliste

mercredi 1er mars 2017.
 

- A) Le catéchisme des austères magistrats
- B) Une institution publique aux missions perverties par Pierre Khalfa
- C) Corine Eyraud, Le capitalisme au cœur de l’État. Comptabilité privée et action publique
- D) Développer les services publics, malgré la Cour des comptes

2017 : La Cour des comptes exige toujours une cure d’amaigrissement

Conforme à sa tradition, la juridiction indépendante a délivré, hier, ses préconisations austéritaires. Tout en pointant des cas de gâchis évitables, comme le financement de la formation professionnelle ou le fiasco de l’écotaxe.

Comme chaque année, la Cour des comptes a profité de la publication de son rapport annuel, hier, pour recommander une nouvelle cure d’austérité sur les dépenses publiques. Mais en pleine campagne électorale, les préconisations de la juridiction indépendante pèsent dans le débat, en se donnant les airs d’une feuille de route budgétaire. «  Les progrès constatés depuis 2010 (…) sont réels  » mais «  les efforts de modération de la dépense  » ont été «  moins importants que dans le reste de la zone euro  », a souligné le président de la Cour, Didier Migaud, en présentant à la presse le rapport public annuel de l’institution, jugeant que «  des efforts accrus de maîtrise des dépenses  » seront donc «  nécessaires pour que la France soit en situation de stabiliser puis de réduire son niveau de dette  ». Les magistrats financiers estiment en effet que les prévisions du gouvernement de ramener le déficit public à 2,7 % du PIB sont irréalistes, puisqu’elles se fondent sur des hypothèses de croissance de 1,5 % du PIB, soit 0,2 point au-dessus de ce que prévoient la Banque de France et l’OCDE. En outre, la Cour des comptes juge que les prévisions de dépenses publiques établies par le gouvernement sont à l’inverse sous-évaluées. «  Certaines économies affichées ne pourront pas atteindre les montants attendus  », en particulier pour l’assurance-chômage et l’assurance-maladie, d’après la juridiction financière. Les magistrats financiers incitent à diminuer les subventions de l’État

Au-delà des montants de dépenses publiques jugés trop importants par la Cour des comptes, la juridiction critique l’utilisation de cette manne financière. De l’ordre national des chirurgiens-dentistes aux chambres d’agriculture en passant par le traitement des déchets, les magistrats financiers balayent large et donnent sur 1 300 pages des appréciations différenciées de la situation des différentes institutions. Outre les incitations à diminuer les subventions de l’État, la Cour pointe néanmoins quelques exemples de gâchis évitables.

La formation professionnelle continue des salariés fait notamment partie des secteurs dans le viseur de la Cour. Le rapport rappelle que, si l’essentiel du financement de la formation professionnelle – 11 milliards d’euros – émane des entreprises, l’État et les collectivités territoriales abondaient néanmoins ces fonds à hauteur respectivement de 1 milliard d’euros et 413 millions d’euros en 2014. Un marché caractérisé par une «  organisation complexe  » et «  la présence d’une multiplicité d’acteurs  », qui rendent le secteur «  (fortement exposé) au risque de fraude  » et difficile à contrôler. En 2014, l’administration dénombrait 76 551 prestataires de formation, dont seulement 630, soit 0,8 %, ont été contrôlés par l’État.

Pour lutter contre la fraude, les sages préconisent le renforcement de l’arsenal répressif, en autorisant les Direccte (administrations régionales du travail) à «  prononcer des amendes administratives  » à l’encontre des organismes qui manquent à leurs obligations.

Autre point noir soulevé par les magistrats financiers  : le fiasco de l’écotaxe poids lourds. Actée à la suite du Grenelle de l’environnement en 2008, puis confiée à la société Écomouv’ en 2011 sous la forme d’un partenariat public-privé, la mise en œuvre de cette taxe au kilomètre pour les camions avait finalement été suspendue fin octobre 2013, puis totalement abandonnée fin 2014, notamment suite au mouvement des « bonnets rouges ». Chiffrant à près de 10 milliards d’euros le manque à gagner lié à l’abandon de cette taxe, le rapport rappelle que l’indemnisation de la société Écomouv’, liée à la suspension puis à la résiliation du contrat, représentait en sus 957 millions d’euros. Auxquels il convient d’ajouter 70 millions d’euros de dépenses engagées par les ministères au titre du pilotage, de la mise en œuvre et de la défaisance du contrat. Des centaines de millions d’euros de gâchis et de manque à gagner qui font relativiser les impératifs de baisse des dépenses dans la santé, l’éducation et bien d’autres services publics.

Loan Nguyen, L’Humanité

A) Le catéchisme des austères magistrats

Chaque année, la Cour des comptes produit son catéchisme de l’austérité. Cette année, la version est intégriste, mode Saint-Nicolas-du-Chardonnet. Elle préconise, sous l’euphémisme délicat de «  modération de la dépense publique  », de la réduire de 0,3 % et cible en priorité le logement (qui manque à des millions de Français), la santé (malgré l’asphyxie des hôpitaux) et la formation professionnelle. La croissance est-elle trop molle  ? «  Alors, étouffons-la  !  » commandent ces doctes magistrats.

En tête de gondole, ils ont placé l’écotaxe. Mais nulle part ils n’ont pointé le gâchis monstrueux du Cice et du pacte de responsabilité, qui attribuent des dizaines de milliards d’euros au patronat, sans que leur usage soit contrôlé. Sans doute jugent-ils ces cadeaux comme l’indice d’une saine administration de l’argent des citoyens. La dérive est patente  : destinée à évaluer la sincérité de la comptabilité publique, l’institution s’est transformée en propagandiste du libéralisme au point que ses recommandations de 2017 feraient un socle très convenable pour édifier le programme de François Fillon, avec sa liquidation de la Sécurité sociale au profit de ses amis assureurs et la suppression de 500 000 emplois de fonctionnaires. Le fond de sauce des recettes de la Cour des comptes est puisé dans les brochures des instituts patronaux. Que leur application conduise le pays de mal en pis ne les fait pas douter.

Collision de l’actualité qui n’est que pure coïncidence, on apprenait hier qu’un ancien patron du Fonds monétaire international, autre institution qui a prêché l’écrasement du coût du travail et la mise en coupe réglée des pays endettés, était accusé d’une fraude fiscale de 6,8 millions d’euros. Deux sociétés panaméennes, une espagnole et une britannique, avaient été mobilisées pour monter le mécanisme d’évasion. Directeur du FMI de 2004 à 2007, Rodrigo Rato avait ensuite rentabilisé cette expérience à la présidence d’une banque privée, Bankia…

Patrick Apel-Muller

Jeudi, 9 Février, 2017, L’Humanité

B) Une institution publique aux missions perverties par Pierre Khalfa

Pierre Khalfa est Coprésident de la Fondation Copernic

Les rapports de la Cour des comptes se suivent et se ressemblent. La plupart des commentateurs y voient la preuve du sérieux de l’institution. On peut plutôt y voir la marque de son aveuglement.

La Cour des comptes est une juridiction financière d’ordre administratif et sa mission est donnée par l’article 15 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen  : « La société a le droit de demander compte à tout agent public de son administration. » C’est là sa charte fondamentale, inscrite au fronton de sa grand-chambre. Certes, depuis lors, ses missions ont été élargies  ; en 2008, une réforme constitutionnelle est venue lui donner une mission nouvelle. Désormais, selon l’article 47-2 de la Constitution, « la Cour assiste le Parlement et le gouvernement dans le contrôle de l’exécution des lois de finances et de l’application des lois de financement de la Sécurité sociale ainsi que l’évaluation des politiques publiques ». Son rôle doit se borner à juger et à certifier les comptes, à contrôler la bonne exécution des lois votées par le Parlement, à évaluer a posteriori les politiques publiques. Elle doit s’en tenir à examiner les politiques menées, à juger si elles ont été conduites selon les règles du droit et si elles ont été efficaces par rapport à leurs objectifs. En aucun cas, la Cour ne peut prescrire des politiques publiques, qui relèvent du seul débat démocratique et de la décision politique.

Or, depuis quelques années, la Cour tend à outrepasser son rôle, évolution qui s’est encore aggravée depuis la nomination de Didier Migaud à sa tête, et les rapports se multiplient qui promeuvent une orientation politique ultralibérale. On y retrouve, rapport après rapport, tous les poncifs concernant les dépenses publiques. Ainsi le niveau des prélèvements obligatoires serait trop élevé, affirmation dépourvue de sens si on n’indique pas les services fournis en contrepartie, très différents suivant les pays, ni que ce niveau reflète simplement le degré de socialisation d’un certain nombre de dépenses qui seraient, sinon, effectuées de façon privée mais n’en resteraient pas moins « obligatoires ». Les recommandations, qui ressemblent comme deux gouttes d’eau aux plans d’ajustement structurel du FMI ou aux mémorandums de la troïka en Grèce, sont à l’avenant  : réduction des dépenses d’intervention de l’État, baisse du nombre de fonctionnaires et de leurs salaires avec le gel du point d’indice et le ralentissement des déroulements de carrière, désindexation des retraites, des allocations chômage et de la plupart des prestations sociales par rapport à l’inflation, augmentation de la durée du travail, etc.

Année après année, c’est une véritable saignée que préconise régulièrement la Cour des comptes, et cela pose une nouvelle fois la question de sa fonction. Si la Cour est dans son rôle lorsqu’elle examine par exemple la sincérité des chiffres avancés par le gouvernement pour construire sa trajectoire budgétaire, elle ne l’est pas quand elle préconise des orientations. Elle l’est encore moins lorsque ces orientations ne font l’objet d’aucune évaluation quant à leurs conséquences, qu’elles soient économiques, avec la logique récessive dont elles sont porteuses, ou sociales. En s’en tenant à une description purement comptable et en s’exonérant généralement d’une véritable analyse macroéconomique, la Cour des comptes est, de fait, devenue un organe faisant, sous le couvert de l’objectivité, l’apologie des politiques néolibérales. Avec des orientations présentées comme une évidence indiscutable, la Cour participe ainsi à la crise démocratique actuelle, dont l’une des racines est l’exclusion du débat public et de la décision citoyenne de tout ce qui relève des politiques économiques et sociales.

C) Corine Eyraud, Le capitalisme au cœur de l’État. Comptabilité privée et action publique

Commentaire de cet ouvrage par Corinne Delmas

1 À partir du cas français de l’enseignement supérieur et de la recherche, ce livre éclaire la mutation du système comptable d’un nombre croissant d’États depuis les années 1990. Il analyse ainsi le passage d’une comptabilité publique à une comptabilité privée visant à chiffrer le patrimoine et à calculer le résultat des établissements publics. Par ce biais, il informe sur les transformations que connaissent l’État français et ses universités depuis deux décennies.

2 L’auteur s’intéresse à la genèse du nouveau dispositif de comptabilité appréhendé comme un révélateur des conceptions concurrentes de l’État portées par les acteurs sociaux, notamment parmi les élites. L’étude de ses usages et de ses effets potentiels doit pour sa part contribuer à décrire les transformations internes de l’État et de ses modes d’action, auxquelles cette nouvelle comptabilité peut participer.

3 Constitué de deux parties, l’ouvrage analyse, tout d’abord, le nouveau dispositif à travers trois chapitres. Le premier décrit la situation antérieure à la réforme, les évolutions des années 1960 et les caractéristiques du système mis en place avec la Loi organique relative aux lois de finances (LOLF), votée en 2001. L’objectif de contrôle, au cœur de la comptabilité de l’État, explique ses spécificités : finesse de la nomenclature, séparation entre ordonnateurs et comptables, présence de contrôleurs financiers. La LOLF marque un basculement majeur, en adjoignant à la comptabilité de caisse une comptabilité générale et une comptabilité analytique. Cette réforme s’inscrit dans un vaste mouvement international initié par la Nouvelle Zélande et l’Australie, puis la Grande Bretagne, et encouragé par le FMI et la Banque mondiale.

4 Le chapitre suivant éclaire les modes de monétarisation possibles, leurs acteurs et enjeux. Deux modèles peuvent être distingués : le modèle anglo-saxon de l’agence qui privilégie la réalité économique sur la réalité juridique de propriété pour faire droit aux besoins d’information des actionnaires investisseurs, dans des pays où les marchés financiers jouent un rôle important dans le financement de l’économique ; le second, le modèle européen continental, fait droit à une pluralité de parties prenantes (actionnaires, banquiers, État, salariés, administration fiscale, clients, fournisseurs…) dans des pays où banques et État jouent un rôle économique non négligeable, d’où la prééminence de la règle de droit sur la réalité économique. Dans un contexte de mondialisation économique et financière, l’idée de règles comptables internationales prend corps. Un organisme privé d’origine britannique émanant de la profession, le Comité des normes comptables internationales (International Accounting Standard Committee transformé en 2001, en International Accounting Standard Board), créé en 1973, est chargé par l’Union européenne en 2002 d’élaborer les normes pour les comptes consolidées des sociétés cotées. Il promeut avec succès un dispositif comptable reprenant les principes du modèle anglo-saxon en y ajoutant une valorisation à la valeur du marché, qui s’inscrira dans les nouvelles normes comptables internationales pour les secteurs privé (International Financial Reporting Standards ou IFRS) et public (International Public Sector Accounting Standards ou IPSAS1).

5 L’analyse de l’élaboration de ces normes publiques fortement inspirées de celles du privé permet d’appréhender dans le troisième chapitre les choix français. Mobilisant sources documentaires et données d’entretiens, l’auteur rappelle leurs spécificités, dont le rôle de la Cour des Comptes et la forte dimension juridique de la comptabilité tant publique que privée. Elle présente les acteurs de la normalisation (Comité des normes de comptabilité publique, Comité d’interprétation des normes de comptabilité publique, puis Conseil de normalisation des comptés publics, …) et cible les points de vue contrastés sur la réforme comptable. Impulsée par le Parlement, qui met en avant un contrôle accru de l’exécutif, la réforme suscite le désintérêt voire l’opposition de directions ministérielles ayant développé une culture de la dépense et du contrôle. Les divergences portent aussi sur l’élaboration des normes, avec comme question centrale les spécificités étatiques : « l’État est-il une institution à part, particulière, ou est-il un acteur économique […] comme les autres ? » (p. 120). Les nouvelles catégories et normes comptables résultent finalement d’un compromis entre diverses positions du Comité et un certain « pragmatisme comptable ».

6 La deuxième partie relève le contexte dans lequel ce nouveau dispositif se déploie et les usages de ce dernier. Elle s’ouvre par un chapitre qui, à partir du cas de l’enseignement supérieur et de la recherche, éclaire le nouveau management public et les formes qu’il revêt en France, à travers la LOLF et la Révision générale des politiques publiques (RGPP). La LOLF correspond à la « flexibilité organisationnelle », socle de base de la nouvelle gestion publique qui « peut être mis[e] au service d’une orientation vers le marché, vers l’usager-client ou vers le citoyen » (p. 196). Elle aurait ainsi pu être l’occasion de grands débats démocratiques sur ce qu’est la performance d’une action publique, ce que l’on attend d’un service public en termes de résultats… C’est toutefois la solution technocratique qui l’a emporté, le choix des indicateurs résultant pour l’essentiel de discussions entre les ministères concernés. Le cas de l’enseignement supérieur et de la recherche est révélateur de ces limites et de l’intérêt de donner, via les indicateurs choisis, « une image négative du service public en question » (p. 206) ; la direction du budget promeut ainsi certains indicateurs de performance mais aussi de moyens et d’activité (taux d’occupation des locaux) au détriment d’autres (tels le taux d’encadrement et le coût d’un étudiant) plus valorisants et pouvant justifier la demande de moyens supplémentaires. La controverse avec Bercy quant aux indicateurs de visibilité internationale de la recherche française (choix entre soit le nombre ou taux d’accroissement des publications françaises, en hausse, soit la part des publications françaises dans les publications européennes et mondiales, en baisse en raison notamment de l’ascension de la Chine et de l’Inde) est également révélatrice de ces enjeux. Les indicateurs peuvent ainsi servir à légitimer certaines réformes, comme en attestent les usages alarmistes de la part de parutions françaises dans les publications mondiales, indicateur finalement retenu. S’appuyant sur les travaux de Luc Boltanski et Laurent Thévenot pour associer chaque indicateur choisi à une cité particulière, l’auteur souligne le poids « d’une conception de la performance largement économicisée » et le caractère normatif de ces indicateurs participant « au développement d’un espace de comparabilité, qui est une condition d’existence du marché » (p. 212). Le chapitre se conclut sur les effets de la RGPP. Approfondissant les principes organisationnels de la LOLF, la RGPP y ajoute le principe du lean management et valorise le secteur privé. Sa mise en œuvre passe par un fort recours aux cabinets d’audit et de conseil, partiellement imputable au changement de la composition du personnel gouvernemental (poids d’anciens membres de cabinets, des formations HEC…). La RGPP constitue ainsi un marché juteux pour le secteur privé. L’enseignement supérieur et la recherche, marqués par une mise en compétition des universités et un creusement des inégalités entre établissements, rend également compte de cet essor : la LRU impose une certification par un commissaire aux comptes – soit un cabinet privé.– des comptes des universités ayant acquis les « responsabilités et compétences élargies » ; certains dispositifs comme le crédit d’impôt recherche ou le grand emprunt ont pour premiers bénéficiaires des entreprises et des banques du secteur privé tandis que, plus largement, le développement de recettes fiscales pour le financement de ce secteur d’action publique participe au transfert à des acteurs privés du pouvoir de décider de l’affectation de fonds publics.

7 Le cinquième et dernier chapitre éclaire les usages contrastés de ce nouveau dispositif. Deux grandes orientations sont possibles : servir un « bel État » par une « bonne » gestion publique et un renforcement de la rationalité économique dans les décisions politiques, ou servir à son rétrécissement. L’auteur met ainsi en garde contre l’assimilation rapide entre développement de l’« esprit gestionnaire » au sein de l’État et essor du néolibéralisme, insistant sur l’importance d’un débat sur les indicateurs, leurs usages et le contexte dans lequel ils s’inscrivent. « Le choix de lier performance et indicateur est un choix fort qui n’a rien de nécessaire, à moins que l’on veuille augmenter les inégalités entre organisations. Dans un objectif contraire, on pourrait tout aussi bien imaginer doter les entités publiques les moins performantes, si tant est que cette moindre performance soit liée au fait que les usagers concernés sont dans une situation plus difficile et/ou que l’entité manque particulièrement de moyens » (p. 281).

8 En conclusion, l’ouvrage propose une lecture pertinente de la nouvelle comptabilité comme traceur des transformations de l’État ; « en choisissant de ne pas valoriser l’éducation, la recherche, la santé comme des investissements ou des capitaux, mais seulement les dépenses afférentes comme des charges, [l’État] a repris à son compte la conception de l’entité comptable en tant que pure “entité économique” et la vision du rôle du capital et du travail dans la production de richesse fondatrice du capitalisme : le travail en tant que charge, seul le capital financier est producteur de richesse » (p. 285). C’est dire la nécessaire mise en discussion publique de dispositifs qui, sous couvert de neutralité et d’objectivité, sont fortement normatifs ; contribuant à de profonds changements politiques et sociétaux, ils modifient la répartition des ressources entre acteurs publics et groupes sociaux, voire creusent les inégalités et favorisent des pratiques de prédation de l’État.

D) Développer les services publics, malgré la Cour des comptes

C’est devenu presque un rituel  : chaque fois qu’un ministre ou un président d’entreprise publique médite des suppressions d’emplois, il brandit un rapport de la Cour des comptes qui lui recommande de pousser encore plus loin l’austérité. Cela dure depuis plus de trente ans, mais peut-on dire pour autant que l’argent public est mieux utilisé  ? Que l’économie a repris vigueur  ? Que la dette publique a reculé  ? Que la « courbe du chômage » s’est inversée  ? Que les services publics répondent mieux aux attentes de leurs usagers  ? Évidemment, non.

À l’inverse, rien ne serait plus nécessaire, au XXIe siècle, que le développement de services publics porteurs d’une nouvelle efficacité sociale et économique. Pour répondre aux immenses besoins en matière de santé, d’éducation, de protection de l’environnement, de sécurité, de justice. Et, du même coup, pour ranimer l’activité économique en utilisant les gains de productivité apportés par la révolution informationnelle pour développer les capacités humaines au lieu de s’en servir pour détruire des emplois et déprimer les salaires, comme le font les multinationales et comme l’exigent les marchés financiers.

Pour cela, il faut une autre utilisation de l’argent. De l’argent public mais aussi de l’argent des entreprises – pour changer la façon de créer des richesses en sécurisant l’emploi et la formation – et de l’argent des banques, qui doit financer les immenses investissements nécessaires au développement des services publics.

Le sort réservé par la troïka à la Grèce a révélé que pour y parvenir il ne suffit pas d’élire démocratiquement un gouvernement décidé à en finir avec l’austérité. Ce n’est pas seulement au sommet de l’État, mais aussi dans la vie des entreprises publiques et privées, dans la vie des services de l’administration, que la rhétorique culpabilisatrice et infantilisante de la Cour des comptes ou du Dr Schäuble peut être efficacement réfutée.

Par exemple, la Cour des comptes elle-même a plus d’une fois signalé l’inefficacité, du point de vue de l’emploi, des subventions et autres exonérations fiscales et sociales qui viennent nourrir par dizaines de milliards les profits des entreprises  ; mais rien n’y fait, et le gouvernement actuel, comme ses prédécesseurs, ne cesse de rajouter des aides de cette nature à celles qui se sont accumulées depuis trente ans. Il existe quelques rares cas où des aides indûment distribuées ont pu être récupérées  : mais c’est à des mobilisations des salariés et de leurs syndicats, des citoyens et de leurs élus locaux ou régionaux qu’on le doit. Un contrôle efficace des dépenses publiques est inséparable d’une démocratie économique et sociale radicalement nouvelle.

C’est dans la vie et dans les luttes sociales et politiques que les citoyens pourront conquérir, pied à pied, assez de pouvoirs pour retourner la puissance des banques et de la Banque centrale européenne contre les marchés financiers, en arrachant le financement de projets concrets de développement des services publics  : redonner aux hôpitaux tous les moyens de répondre efficacement aux besoins, construire et rénover des universités et des centres de recherche, doter les écoles, les tribunaux, les collectivités territoriales… des personnels nécessaires à leur fonctionnement. Il y a là une cohérence politique qui peut se concrétiser dans des critères d’efficacité économique et sociale opposés à la rentabilité capitaliste, et qui peut permettre de rassembler les forces à la recherche d’une alternative en France et dans toute l’Europe.

C’est aussi pourquoi la bataille pour créer les moyens de développer l’emploi public et de reconnaître les qualifications des agents fait pleinement partie de la campagne pour l’emploi et le travail que le Parti communiste français vient de lancer.

par Denis Durand Animateur de la commission économique du PCF


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