Rôle des mutuelles avec une Sécu remboursant 100%

mardi 28 février 2017.
 

par Frédéric Pierru, coordinateur du programme santé de la France insoumise

La Mutualité a, dans les deux premiers tiers du XXe siècle, farouchement combattu les assurances sociales obligatoires au nom de la liberté et de la prévoyance individuelles. En 1945, le conflit prend un tour aigu  : la création de la Sécurité sociale menace en effet son existence même. Au terme d’un âpre combat, un Yalta est trouvé  : le gouvernement laisse au mouvement mutualiste le soin de couvrir le ticket modérateur (qui, ainsi réassuré, perd tout intérêt modérateur  !). La Mutualité ne se ralliera en fait à la Sécurité sociale que dans les années 1960, sous la pression des mutuelles de fonctionnaires. Ainsi, le premier mouvement social de France sera vent debout contre le projet d’instauration d’un ticket modérateur d’ordre public du gouvernement Barre, en 1980. On mesure le chemin parcouru depuis, lorsque Thierry Beaudet, porte-parole de la MGEN, la mutuelle des enseignants, puis de la FNMF, déclare, en 2015, dans une interview au quotidien les Échos que «  la Mutualité doit être le centre de gravité de la protection sociale du XXIe siècle  ».

Le mouvement mutualiste semble donc renouer avec ses vieux combats anti-Sécu. Que s’est-il passé entre les années 1960 et 2015  ? Un pari (perdu) qu’occultent les responsables mutualistes  : au début des années 1990, la FNMF a décidé, de son plein gré, de jouer le jeu de la concurrence avec les assureurs en se plaçant de son propre chef sous les directives assurance européennes. Simultanément, à la faveur de la maîtrise des dépenses publiques et sociales, les gouvernements ont discrètement ristourné une part croissante du financement des soins courants, le fameux «  petit risque  », aux «  complémentaires santé  ». Dans sa récente tribune publiée dans le Monde, M. Beaudet ne répond en rien sur le fond des critiques, à savoir que le marché de la complémentaire santé est intrinsèquement inefficient et inégalitaire. Ses arguments sont politiques. Il invoque d’abord la politique du fait accompli  : les mutuelles sont là, il conviendrait de «  faire avec  ». Puis, il prend la défense des militants mutualistes de terrain contre «  l’Aventin expert  ». Il suffit pourtant de fréquenter régulièrement ces militants pour mesurer leur désarroi et même leur ressentiment face à l’émergence de grands groupes mutualistes, alignant leurs pratiques sur celles des assureurs, et gérés comme des entreprises banales par des «  technos  » ou des anciens élèves d’écoles de commerce.

Le projet d’en finir avec ce marché dysfonctionnel est donc fondé et, comme l’a montré le chiffrage du candidat Jean-Luc Mélenchon, parfaitement réaliste sur le plan des finances publiques. Demeure une question  : que deviennent les acteurs mutualistes dans ce cadre  ? Didier Tabuteau et Martin Hirsch ont évoqué une première piste  : les salariés mutualistes peuvent très bien compenser une partie des départs en retraite des personnels des caisses d’assurance-maladie. Après tout, ils font le même travail. Mais d’autres pistes existent.

Les mutuelles pourraient réorienter des personnels et leurs réserves financières vers les mutuelles dites du Livre III (les centres de santé mutualistes, par exemple) – fondées sur les valeurs d’entraide, de proximité, d’accessibilité aux soins, d’action sociale –, au lieu d’être enclines à les sacrifier, comme actuellement. Le financement de ces «  mutuelles du Livre III  » pourrait être pérennisé par la Sécu et leurs dépenses d’investissement être couvertes par des prêts publics à taux très favorable, voire à taux zéro.

Enfin, il y a tant à faire en matière de prévention. Sans nier la réalité et l’utilité de certaines actions mutualistes dans ce champ, force est de constater que les efforts restent bien modestes. Supprimer les complémentaires santé et assurer l’avenir des Mutuelles du Livre III par des financements publics sont les seules options pour celles et ceux qui restent attachés aux valeurs d’égalité et de solidarité. La FNMF a fait un mauvais choix au début des années 1990. Ce n’est pas aux Français-e-s d’en supporter les conséquences.


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