Benoît Hamon va-t-il (vraiment) abroger la loi travail ?

vendredi 17 février 2017.
 

"Oui", jurent ses soutiens, mais des députés PS doutent de la faisabilité de cette promesse du candidat à l’élection présidentielle. En toile de fond se joue le leadership au sein de la famille socialiste...

“Je ne peux pas approuver le programme de Benoît Hamon." Dimanche 29 janvier, 22h19. L’élu vallsiste François Loncle s’exprime au micro de LCP et prend ses distances avec le député des Yvelines, tout juste vainqueur de la primaire du Parti socialiste : "Son programme est inacceptable, en termes électoraux invendable."

Quelques jours plus tard, il signe même une tribune revendiquant un “droit de retrait” qui acte une “césure réelle entre deux sensibilités idéologiquement distantes” au sein du Parti socialiste.

Plusieurs volets du programme de Benoît Hamon dérangent les députés signataires de l’appel, qui refusent de faire campagne pour le vainqueur de la primaire. Au Figaro, François Loncle cite notamment l’une des promesses les plus emblématiques de l’ancien ministre de l’Education : l’abrogation pure et simple de la loi El Khomri (ou loi travail).

Une hiérarchie des normes mise en cause

Adopté définitivement le 21 juillet 2016 - avec l’utilisation de l’article 49.3 de la Constitution -, le projet de loi “relatif au travail, à la modernisation du dialogue social et à la sécurisation des parcours professionnels” avait notamment entraîné la naissance du mouvement de contestation Nuit debout. Une pétition demandant son abrogation avait recueilli plus d’1,3 million de signatures.

Sur son site internet, Benoît Hamon promet qu’il “abrogera immédiatement" la loi El Khomri et qu’il “rétablira la hiérarchie des normes”. Derrière ces termes se cache le principe selon lequel la loi, jugée plus protectrice des droits des salariés, prévaut sur l’accord de branche, qui lui-même prévaut sur l’accord d’entreprise. Les députés socialistes qui s’étaient opposés au texte à l’Assemblée avaient fait de la lutte contre "l’inversion" de cette hiérarchie un des points centraux de leur combat.

"Comment fera-t-il ?"

Aujourd’hui, la plupart des soutiens de François Hollande et Manuel Valls ont accepté de s’effacer derrière la candidature de Benoît Hamon : ils refusent de souscrire au "droit de retrait" cher à François Loncle. Mais ils ne veulent cependant pas défendre l’abrogation de ce texte symbole, selon eux, du "réformisme" défendu durant le quinquennat.

Des voix qui pèsent, à gauche, commencent ainsi à remettre en cause la promesse électorale du candidat Hamon : c’est notamment le cas de Najat Vallaud-Belkacem. Le 6 février, au micro de France Inter, la ministre de l’Education nationale a fait mine de s’interroger sur la faisabilité de la mesure :

Lui-même, comment fera-t-il ? Il reprendra le dialogue social (...) Dans l’exercice de l’Etat, dans l’exercice des responsabilités, il s’agit toujours de trouver des équilibres et je crois que Benoît Hamon (...) le sait. Najat Vallaud-Belkacem, au micro de France Inter

Le lendemain, c’est au tour de Didier Guillaume, chef de file des sénateurs socialistes, proche de François Hollande et directeur de la campagne de Manuel Valls lors de la primaire, de s’engouffrer dans la brèche, au micro de Public Sénat :

« Je ne vais pas faire campagne en disant ‘on va abroger la loi El Khomri’. D’ailleurs elle ne sera pas abrogée. » (Didier Guillaume), sur Public Sénat

Ces prises de position agacent Alexis Bachelay, le porte-parole de Benoît Hamon, interrogé par LCP : “Didier Guillaume n’est pas candidat à la présidence de la République, ni Najat Vallaud-Belkacem d’ailleurs. C’est Benoît Hamon qui est investi, il fixe un cap.”

Le député Denys Robiliard est encore plus explicite :

« Ceux qui ont perdu la primaire doivent comprendre que ce n’est pas eux qui fixeront le programme. » Denys Robiliard

Faire "évoluer" le programme

Derrière ces critiques se cache surtout une volonté d’infléchir la position du candidat socialiste en vue du rassemblement : "Benoît Hamon doit faire évoluer son programme", avance le député Dominique Lefebvre, qui estime le candidat du PS "prisonnier de son chemin politique". L’élu du Val-d’Oise, qui a soutenu Manuel Valls lors de la primaire, n’a pas de mots assez durs à l’encontre de Benoît Hamon, de son "strabisme politique" et de son "programme économique et budgétaire insoutenable".

Dominique Lefebvre refuse toutefois de demander des "concessions" : "Le problème est plutôt de savoir comment on fait pour battre Marine Le Pen", dit-il. Selon lui, les signes de Benoît Hamon envers "l’aile droite" du parti se font toujours attendre. Dans un ton plus policé, le "non aligné" Erwann Binet, député PS de l’Isère, est lui aussi dans l’expectative :

Je ne me prononce pas sur l’abrogation de la loi travail, j’attends de voir quel est l’état d’esprit de Benoît Hamon. J’attends de voir s’il souhaite enrichir ses propositions des contributions des autres ou s’il reste sur le programme de la primaire. Erwann Binet, interrogé par LCP

"Un slogan qui n’a pratiquement aucun sens"

En tout état de cause, Erwann Binet estime que supprimer la loi travail, qui contient des "choses positives", "n’est pas un projet ni un programme". Car, au même titre que Didier Guillaume et Najat Vallaud-Belkacem, Erwann Binet pense qu’il n’est pas opportun de revenir sur plusieurs avancées du texte, comme la garantie jeune ou le compte personnel d’activité.

Interrogée par LCP, la présidente de la commission des affaires sociales à l’Assemblée nationale, Catherine Lemorton, ne dit pas autre chose : "Il est difficile d’abroger une loi qui est déjà appliquée", assure la députée de Haute-Garonne qui a pourtant soutenu Arnaud Montebourg lors de la primaire. Circonspecte, l’élue cite ainsi l’exemple du CPE qui avait pu être abrogé parce qu’il n’avait jamais été mis en place. "Abroger la loi El Khomri est un slogan qui n’a pratiquement aucun sens", assure celle qui avait dirigé les débats sur ce texte en commission.

Une nouvelle loi travail ?

Face aux critiques, les soutiens de Benoît Hamon rappellent la règle selon laquelle une loi peut être abrogée par un texte de même valeur juridique : "Il y aura une autre loi travail", promet Alexis Bachelay. Celle-ci prendra en compte le burn-out comme maladie professionnelle (une autre mesure phare du programme de Benoît Hamon) et la question du partage du temps de travail. Directeur de campagne du candidat socialiste, le député Mathieu Hanotin abonde :

Il n’y a pas de débat. Si nous arrivons au pouvoir nous abrogerons la loi El Khomri, mais nous maintiendrons certaines de ses dispositions positives comme la garantie jeunes. Mathieu Hanotin, interrogé par LCP

Le compte personnel d’activité serait lui aussi maintenu, indique Alexis Bachelay.

Quelle ligne est majoritaire dans le groupe PS ?

C’est donc, une nouvelle fois, au sein de l’hémicycle de l’Assemblée nationale que la question pourrait se régler. "Il faut déjà que Benoît Hamon soit élu président de la République...", tacle Dominique Lefebvre, très sceptique. "Deuxièmement, il faudra une majorité à l’Assemblée pour le faire", ajoute le député vallsiste. L’élu sous-entend que même si les socialistes étaient majoritaires en juin 2017, il n’y aura pas forcément suffisamment de députés PS favorables à une abrogation de la loi travail. "Les frondeurs sont très loin d’être majoritaires dans le groupe actuel", rappelle opportunément Dominique Lefebvre. Lors de la primaire, Manuel Valls avait déposé près de 178 parrainages de parlementaires contre une trentaine pour Benoît Hamon.

Mathieu Hanotin, lui, assure qu’une majorité de députés socialistes n’étaient pas favorables à la loi travail l’an dernier. Il cite le passage en force du gouvernement via le 49.3. Et la signature par 123 députés, lors de l’examen du texte, d’un amendement d’Olivier Faure contre la baisse de la majoration des heures supplémentaires.

Derrière cette bataille de chiffres et la question de l’abrogation de la loi travail, se cachent la question de savoir quelle ligne est légitime au sein du groupe PS, au sein du parti et dans l’électorat de gauche. Concernant cette dernière cible, Mathieu Hanotin rappelle que plus d’un million d’électeurs ont désigné Benoît Hamon comme candidat à l’élection présidentielle.

L’art de la synthèse

L’explication finale pourrait avoir lieu après les élections législatives de juin : la campagne de Benoît Hamon permettra-t-elle la constitution d’un groupe socialiste de taille à l’Assemblée ? Le groupe PS sera-t-il majoritairement pro-Hamon ou pro-Valls ? Mathieu Hanotin penche naturellement pour la première solution puisque selon lui les candidats auront été élus sur la base du "programme présidentiel" de leur candidat.

Les vallsistes, eux, attendent : "Je ne participe pas à la campagne de Benoît Hamon, mais je n’entre pas en fronde", résume Gilles Savary, l’un des deux députés à l’initiative du "droit de retrait".

Pour maintenir l’unité, Benoît Hamon va devoir s’essayer à l’art délicat de la synthèse avec l’aile droite du parti et les écologistes, en cas d’accord avec Yannick Jadot. Une mission périlleuse selon Dominique Lefebvre :

« S’il bouge, il trahit. S’il ne bouge pas, il perd. » Dominique Lefebvre


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