Soudan du Sud. Un génocide couve dans le plus jeune État du monde

mardi 31 janvier 2017.
 

Indépendant depuis 2011, le pays est entré ce week-end dans la quatrième année d’une guerre civile qui a déjà fait des dizaines de milliers de morts. Aujourd’hui, les tensions entre l’ethnie majoritaire dinka et les autres tribus font craindre un massacre d’une plus grande échelle encore.

« Un génocide est un processus. Aujourd’hui, des risques de nettoyage ethnique existent au Soudan du Sud. Tout le monde doit en prendre conscience. » Interrogé par l’Humanité, Adama Dieng, secrétaire général adjoint de l’ONU, tire une fois encore la sonnette d’alarme. Après un aller-retour à Djouba en novembre, le Sénégalais évoque une situation déjà apocalyptique. « Dans la région de Yei River State, des villages ont été brûlés, s’émeut l’ancien greffier du Tribunal pénal international pour le Rwanda. Il y a eu des mutilations, l’utilisation de la machette, des cas de viol, des meurtres… Des corps ont été retrouvés dans la rivière. Quant à la région d’Equatoria, à quelques kilomètres de la capitale Djouba, les mouvements de troupes y sont nombreux… » D’un côté, une armée régulière essentiellement dinka, globalement majoritaire dans le pays et inféodée au régime du président Salva Kiir. De l’autre, des milliers de soldats et miliciens de tribus minoritaires proches du chef nuer Riek Machar, l’ancien vice-président limogé en juillet 2013 et accusé par la présidence d’avoir fomenté un coup d’État en décembre 2013 débouchant sur une guerre civile. Dans les deux cas, des enfants-soldats recrutés à qui mieux mieux et l’odeur du massacre en perspective. La fin de la saison des pluies fait craindre en effet une guerre civile généralisée sur l’ensemble du territoire d’un pays comptant 12 millions d’habitants. Selon certaines estimations de l’ONU et d’ONG internationales, les combats auraient déjà fait entre 50 000 et 100 000 morts parmi les civils, des centaines de milliers de réfugiés et plus de 3 millions de déplacés vivant dans des camps où 70 % des femmes avouent avoir été violées.

Des conflits liés au pétrole

Au printemps 2016, une lueur avait pourtant éclairé le ciel de plomb du 193e État membre des Nations unies. Le chef rebelle Riek Machar, revenu d’exil, et le président Salva Kiir formaient un gouvernement d’union nationale dans le cadre d’un accord de paix signé en août 2015 à Arusha. Mais de violents affrontements entre leurs troupes faisant de nouveau des centaines de morts, à la fin de l’été, avaient réduit à néant cet effort. Cette crise profonde ne s’explique pas uniquement par une querelle de chefs de tribus. Si l’ethnicisation du conflit est une réalité qui prend racine dès les années 1990 – alors que le Dinka Salva Kiir reste fidèle au chef historique de la rébellion anti-Khartoum, menée par John Garang depuis 1983, pendant que Riek Machar fait sécession au sein du Mouvement populaire de libération du Soudan (SPLM) et s’acoquine avec Omar El Béchir –, les conflits d’intérêts liés à la manne pétrolière dont regorge le pays sont au moins autant facteur de désunion. À son indépendance, le pays récupère 75 % des ressources pétrolière de l’ancien Soudan. L’économie de guerre a permis à certains d’engranger de juteux bénéfices. « Tout le monde a pu constater que les revenus considérables du pétrole ne profitent pas à l’ensemble des Soudanais », condamne ainsi Adama Dieng. Des milliards de pétrodollars ont disparu de la circulation.

Le désengagement des Occidentaux

Pour un pays dont les revenus du pétrole représentaient, les deux premières années après l’indépendance, plus de 90 % du budget de l’État, la corruption est un virus mortel. Mais ce n’est pas tout. Même quand les combats autour des puits permettent une production, le Soudan du Sud produit son brut à perte. Deux raisons à cela  : tout d’abord, la chute des prix initiés par l’Arabie saoudite, mais, surtout, une redevance fixe d’utilisation des oléoducs du Soudan du Nord qui transitent vers la mer Rouge, condition sine qua non à l’exportation de l’or noir. En début d’année 2016, Djouba vendait à 20 dollars le baril, en dessous du cours mondial du Brent (28 dollars) et devait payer 24 dollars de taxes à Khartoum  ! Une absurdité qui n’a pas fait réagir la communauté internationale. Tout cet argent perdu, dont le peuple sud-soudanais n’a pas vu la couleur, nourrit une situation économique désastreuse. La livre sud-soudanaise a sombré, l’inflation s’est établie à 109 % sur un an, en décembre 2015, et le pays manque de devises. Le chômage et le manque d’éducation règnent. L’État basé sur un « vétéranat » sans aucune expérience politique, économique ou administrative, aboutit à l’une des situations les plus absurdes et désespérées de la planète. Mais cette funeste réalité n’est pas le fruit du hasard.

La communauté internationale – États-Unis en tête – n’a-t-elle pas poussé le Sud à l’indépendance dans les années 2000, non seulement pour affaiblir un régime islamiste à peine sorti d’une guerre de vingt-deux ans et empêtré dans une autre tragédie à l’ouest, au Darfour, mais aussi pour que British Petroleum, Total ou Chevron récupèrent leurs billes misées avant la guerre civile de 1983  ? Certes, Washington, Londres et Paris militent timidement depuis quelques mois pour un embargo sur les armes au Soudan du Sud, et pour des sanctions ciblées contre des responsables des deux camps. Vendredi dernier, les quinze membres du Conseil de sécurité de l’ONU ont même renouvelé à l’unanimité le mandat des casques bleus au Soudan du Sud, pour un an, dans le cadre de la Minuss. Mais à quoi serviront les 17 000 soldats de maintien de la paix attendus dans un pays en guerre  ? Personne aujourd’hui n’ose avancer de réponse, tant le désengagement et l’indifférence des Occidentaux sont manifestes… Les formations, infrastructures et autres collaborations promises, en échange de l’indépendance, par l’ONU, l’Union européenne et les États-Unis, sont remises aux calendes grecques… En attendant, un génocide se prépare au sein du plus jeune État au monde.

Stéphane Aubouard, L’Humanité


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