La primaire de trop

jeudi 12 janvier 2017.
 

Au PS c’est chaud ! Ainsi quand Manuel Valls déclare qu’il va mener une « blitzkrieg », c’est-à-dire une guerre éclair en allemand, contre ses concurrents à la primaire du PS. Drôle d’entrée en matière. Dans mon quartier il y a des affiches d’Arnaud Montebourg. « la primaire c’est pas le 49/3 ! C’est votre choix ». Mmmmm qu’est-ce que ça peut bien vouloir dire ? Sur l’autre affiche c’est son portrait et il dit qu’il veut « libérer les Français ». De qui ? De quoi ? Heureusement, ils ont trois débats pour expliquer tout ça aux gens qui se sentent concernés par eux.

En fait, la préparation de la primaire du PS et de ses alliés est l’occasion d’une incroyable bousculade. Les candidats se disent victime d’un calendrier prévu pour l’arrivée de Hollande. Il est vrai que pour Valls et Peillon, la présence ou non de Hollande déterminait leur candidature. Mais les autres ? N’avaient-ils pas des mois pour se préparer ? Comment se fait-il qu’à trois semaines du vote on ne sache finalement que si peu de choses sur leurs projets ? C’est parce que ce ne sont pas des projets globaux. Seulement quelques mesures à l’intérieur du monde tel qu’il est, sans grands changements en vue. C’est aussi pourquoi tous autant qu’ils sont se donnent beaucoup de mal pour faire du neuf avec du vieux. Ou bien du neuf avec du n’importe quoi, du moment que rien ne change.

Comment comprendre l’idée de transférer sur le salaire direct un allégement de CSG ? Montebourg se veut rassurant : ça ne coutera que six milliards et il les prendra sur le montant dédié au CICE. Ce cadeau fiscal est en effet égal à 6% de la masse salariale. Il a été pourtant décidé par le gouvernement auquel Montebourg, Hamon et Valls participaient. Mais quelle trouvaille ! Encore une fois, c’est l’idée proposée par Le Pen en 2002 puis reprise par Valls et retoquée par le Conseil constitutionnel : rendre la cotisation sociale en salaire direct. Et qui paiera la somme manquante à la sécurité sociale ? L’impôt évidemment, car c’est ce que la loi prévoit. Et qui paie l’impôt ? Ceux à qui on vient d’augmenter le salaire. De plus la mise en œuvre pose question pour la conduite du budget de l’État. Montebourg ne peut croire que cette somme existe parce qu’elle serait dans le montant du CICE. Oublierait-il que le CICE est une somme que l’État n’encaisse pas tandis que la somme à compenser pour la sécurité sociale c’est de l’argent à décaisser. Pour transformer le CICE en moins dans les caisses de l’État en argent en plus à verser à la sécu qui paie ? Les entreprises ? Les particuliers ? Qui ? Voilà ce qu’il faudrait savoir au moins pour la rigueur du calcul. Restera alors à savoir si on trouve que c’est une bonne idée d’augmenter la part de l’impôt dans le financement de la sécurité sociale. Et si on est d’accord pour augmenter les salaires en reversant les cotisations sociales… Moi, je ne suis pas d’accord. Les salaires doivent et peuvent augmenter en partageant autrement la richesse produite.

Cet exemple montre pourquoi Benoît Hamon parle de programme « rédigé sur un coin de table » à propos de ses concurrents. Sans aller jusqu’à cette outrance à son sujet on peut cependant s’interroger sur la façon avec laquelle il a envisagé son « revenu universel d’existence ». Sa chance a été de n’être interrogé sur presque rien de concret à ce sujet. En fait, ce revenu d’existence a pour caractéristique d’être inférieur au seuil de pauvreté et à l’actuelle allocation adulte handicapé, ainsi qu’au minimum vieillesse ! Il remplacera pourtant certaines allocations, dit Hamon, mais on ne sait lesquelles. Et pour finir il sera versé à tout le monde sans exception comme son nom l’indique (universel). Tout le monde ? Oui. Tout le monde. Comme la somme est au niveau du RSA socle, cela ne changera rien pour ceux qui l’ont déjà. Mais j’imagine la tête de Messieurs Bolloré et Dassault, de messieurs Carlos Ghosn et de madame Lagarde quand ils vont recevoir cette somme… Et je me demande aussi quelle tête feront, en apprenant cela, les bénéficiaires qui de toute façon ne pourront pas en vivre et seront encore et toujours en quête de revenu… et peut-être perdants d’une autre allocation. Est-ce vraiment là ce que l’on peut appeler un progrès social ?

Les candidatures de Valls et Peillon étaient conditionnées par la renonciation de François Hollande. Mais l’un et l’autre ne peuvent pas dire non plus qu’ils ont attendu la dernière minute pour se faire une idée de ce qu’ils comptaient proposer. C’est clair quand on a entendu Vincent Peillon surgir avec un ensemble de mesures clef en main et un organigramme de cent cinquante dirigeants solfériniens. En écoutant Vincent Peillon sur France 2 on avait enfin l’impression que quelqu’un assumait le quinquennat. Et qu’il assumait l’existence d’autres que les socialistes dans l’espace public. Le panache dont cela témoigne n’efface pas l’impression étrange que laisse son annonce : « je suis le seul à faire expertiser mon programme par le FMI et par la Commission européenne ». Jamais à gauche qui que ce soit n’avait songé auparavant à aller demander un certificat de crédibilité à l’extérieur du pays et encore moins à des instances supranationales aussi ouvertement vouée à la défense du libre-échange et de la politique néolibérale.

Dans cette ambiance, c’est tout de même Valls qui paraît le plus étrangement disposé. Après avoir renoncé au 49/3 dont il a été un ardent utilisateur, voici qu’il annonce être très ardemment hostile à l’entrée de la Turquie dans l’Union européenne. D’autant plus sidérant de sa part qu’il a signé en tant que Premier ministre l’accord conclu par madame Merkel incluant entre autre la reprise des négociations pour l’adhésion de la Turquie à l’Union européenne ! Puis l’instant d’après il se prononce pour un « Smic européen » ! Rien de moins en apparence. Une révolution sociale en Europe. Mais l’instant d’après il parle d’un Smic européen égal à 60 % du salaire médian de chaque pays. Pour le coup, le Smic devrait baisser de 60 euros en France pour passer à 1069 euros net. Et il resterait ailleurs à des niveaux qui reviennent à institutionnaliser le dumping social. Pour mémoire, un Smic à 60 % du salaire médian en Pologne met à disposition des travailleurs 492 euros bruts ! Tous ces « détails » ne sont décryptés nulle part. En répétant sans aucun commentaire critique les propositions de Valls, Thomas Legrand sur France inter voulait faire croire à UN « Smic européen » et se contentait d’ironiser sur le fait que ce ne serait pas possible car « les autres pays n’en voudront pas ». En fait, cette proposition d’un Smic non pas « européen » mais dans chaque pays partout à 60% du salaire médian est une des propositions de la Commission européenne…

Même bienveillant manque de curiosité médiatique quand le même Valls propose « un revenu décent » garanti « sous condition de ressource ». Décent ? Pourquoi ce mot ? 800 euros, c’est 200 de moins que le seuil de pauvreté ! Et quand il ajoute que ce sera sous condition de ressources, pourquoi ne dit-il pas à quel niveau de ressources interviendrait cette nouvelle allocation ? Surtout quand on apprend en même temps que ce « revenu décent » fusionnerait les minima sociaux existant. Et c’est là que c’est vraiment le plus choquant. Car l’allocation adulte handicapé c’est 808 euros, le minimum vieillesse (ASPA) c’est 801 euros ! Toutes les associations de personnes concernées par ces allocations réclament toute une amélioration de leur revenu. Valls leur annonce donc qu’elles bénéficient déjà d’un « revenu décent ». « Décent » inférieur au seuil de pauvreté ! Demain cette allocation sera englobée dans ce nouveau « revenu décent ». Notons au passage que c’est aussi la proposition de Fillon qui propose de son côté une « prestation sociale unique » en fusionnant lui aussi les minima sociaux actuels.

Le débat sur le revenu universel garanti qui est ainsi instauré est largement un dévoiement. La seule proposition de revenu universel cohérente et digne est celle que présente Bernard Friot. Car elle indexe le montant de ce revenu à la qualification des personnes concernées. Mais elle suppose la socialisation de toute la plus-value. En ce sens, elle annonce honnêtement ce qu’elle est : un choix de société, un choix de rupture intégrale avec le capitalisme. À l’inverse, les différentes déclinaisons des candidats du PS ou de Fillon sont une sorte de RSA généralisé financé par l’impôt. Elles ne se contentent pas d’enfermer en toute bonne conscience des gens dans un niveau de revenu avec lequel on n’arrive pas à vivre. Elle fonctionne aussi comme une pression à la baisse sur les salaires puisque chaque salarié est ainsi « subventionné ». À supposer qu’on adhère à l’idée, on reste en droit de se demander laquelle. Hamon propose d’y affecter l’ISF et la taxe foncière. En toute hypothèse ces deux ressources existent déjà. Si elles doivent être affectées au financement de ce revenu, il faudra compenser la recette. Où ? Qui paiera ?

Nombre d’associations et de syndicats ne partagent pas cette idée d’un revenu universel garanti. Ils y voient une trappe à pauvreté et une façon de se débarrasser des revendications de ceux qui sont cloués dans le chômage. En fait, tous ces candidats prétendent englober dans leur « revenu garanti » des allocations déjà existantes. Mais ils omettent tous de dire lesquelles. De cette façon, les gens ne peuvent faire leurs comptes ni, le cas échéant, découvrir l’ampleur de la mystification qui leur est proposée.


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