Aide aux migrants : Cédric Herrou, le procès d’un geste d’humanité

dimanche 8 janvier 2017.
 

Le procureur a requis huit mois de prison avec sursis à l’encontre de Cédric Herrou, agriculteur et militant qui comparaissait mercredi à Nice pour avoir aidé des migrants érythréens dans la vallée de la Roya, près de la frontière franco-italienne.

Mercredi midi, sur la place du palais de justice de Nice, Cédric Herrou passe de bras en bras, d’accolade en accolade et de micro en micro. « Il va parler du haut des marches, ça lui évitera de répéter », annonce Nathalie, l’attachée de presse improvisée qui tente de ménager le militant, attendu au tribunal pour être venu en aide à des migrants. « Un semblant d’organisation, ça changera », sourit Cédric Herrou en grimpant les escaliers. Son béret noir et ses lunettes rondes toujours posés sur la tête, il parle devant les journalistes et ses nombreux soutiens : « C’est un mélange entre la peur et l’excitation. Je vais enfin pouvoir expliquer pourquoi j’ai pris tant de responsabilités. »

Cet Azuréen de 37 ans comparaît devant le tribunal de Nice « pour la première fois », insiste-t-il. La justice lui reproche d’avoir facilité l’entrée sur le territoire national, la circulation et la présence irrégulière de 200 étrangers dépourvus de titre de séjour. Il est aussi poursuivi pour avoir ouvert un camp illégal avec 57 migrants dans un bâtiment de la SNCF, à Tende en octobre. Il encourt cinq ans de prison et 30 000 euros d’amende.

Quand il n’est pas dans les mains de la justice, Herrou est agriculteur dans la vallée de la Roya, une zone montagneuse située entre l’Italie et la France qui voit arriver dans ses villages des migrants qui tentent de rejoindre le nord de l’Europe et qui se retrouvent coincés.

Quotidiennement, il livre avec sa fourgonnette ses œufs, son huile et sa pâte d’olive. Mais, depuis mars, ce sont surtout des migrants qu’il transporte. Et l’agriculteur ne se contente pas « d’aider à faire passer la frontière à des familles et des enfants ». Sur le terrain accolé à sa maison isolée de Breil-sur-Roya, au bout d’un sentier en pierre, il héberge, nourrit et soigne des migrants. « Plusieurs centaines » d’Erythréens et de Soudanais ont séjourné dans deux caravanes et quatre tentes posées dans son jardin.

« Ne pas être complice »

A la barre, Cédric Herrou assure être conscient de l’illégalité de ses actes. « J’ai ramassé des gamines qui ont passé douze fois la frontière. Il y a eu quatre morts sur l’autoroute. Mon inaction et mon silence me rendraient complice, je ne veux pas l’être », dit-il face au procureur de Nice, Jean-Michel Prêtre, qui avait soutenu, lors d’un précédent procès fin novembre, que ce genre d’action « consiste à nier qu’une frontière existe et qu’un pays vote des lois ». Ce mercredi, anticipant un possible débat, le procureur lâche : « Il s’agit d’un procès qui est une tribune politique. Nous sommes dans quelque chose qui sort du rôle de la justice. »

Mais les débats n’ont pas attendu l’audience. Fin décembre, plus de 4 000 internautes de Nice-Matin élisaient Cédric Herrou « Azuréen de l’année ». Une dénomination qui a attiré les foudres du président du département des Alpes-Maritimes, Eric Ciotti. Dans une tribune d’une demi-page parue dans le quotidien local le 30 décembre, l’élu LR dénonce une « fausse générosité », une « filière organisée » et une attitude qui « n’a pas d’autre but que de provoquer et de défier l’autorité de l’Etat » : « Son action est une insulte aux policiers, aux gendarmes, aux douaniers et aux militaires », estime-t-il. Des propos jugés intolérables par Herrou : « Dans la vallée, on accueille plus d’enfants que dans les services de son département [qui a en charge 210 mineurs isolés, ndlr]. On fait son boulot et il nous incrimine. »

Ce « boulot », Cédric Herrou n’est pas le seul à l’exercer dans la vallée. Des citoyens, touchés par ces hommes, femmes et enfants qui fuient des conditions difficiles dans leur pays, se sont mobilisés. « Au début, nous n’étions qu’une poignée à être sur le pont pour aider. Aujourd’hui, nous sommes plus nombreux : le village de Saorge compte 300 habitants et une trentaine de migrants y est hébergée », explique René Dahon, de l’association Roya citoyenne. « Beaucoup de gens, des monsieur-tout-le-monde, se rendent complices d’actions par des dons d’argent, de couvertures, d’aliments. Des gens hébergent dans la Roya et ailleurs », énumère Herrou devant le tribunal. D’ailleurs, fin novembre, c’était au tour de Pierre-Alain Mannoni, professeur à Nice-Sophia-Antipolis et chercheur au CNRS, de comparaître devant ce même tribunal pour aide au séjour et à la circulation sur le territoire national de personnes en situation irrégulière. Il avait transporté trois Erythréennes à partir de la Roya pour les déposer dans une gare de l’ouest des Alpes-Maritimes. Le voyage avait été plus court que prévu, le trio et Pierre-Alain ayant été arrêtés au péage de la Turbie sur l’A8. Le procureur avait requis « un sévère avertissement » de six mois de prison avec sursis.

« Ne pas avoir honte »

En avril, trois autres Azuréens seront également entendus par le tribunal correctionnel de Nice. En attendant, des migrants « viennent toujours toquer à la porte » de Herrou. « Je me mets dans l’illégalité pour sauvegarder les droits de l’enfant. L’histoire s’écrit tous les jours, et c’est de notre devoir de se lever quand les choses vont mal. Je ne veux pas avoir honte dans vingt ans. Si je dois continuer, je continuerai. »

Mercredi soir, le procureur a requis huit mois de prison avec sursis, une mise à l’épreuve avec usage limité de son permis de conduire pendant ses horaires de travail et confiscation de sa fourgonnette. « Cédric Herrou a la volonté de se présenter devant tout le monde en martyr judiciaire d’une cause devant l’opinion publique », a déclaré le procureur. La décision sera rendue le 10 février. Cette nuit, Herrou hébergera encore trois migrants.

LES PRÉCÉDENTS

Janvier 2016 Rob Lawrie, un ancien militaire britannique, est jugé pour avoir transporté une fillette afghane de la « jungle » de Calais jusqu’au Royaume-Uni. Initialement poursuivi pour « aide à la circulation », il est reconnu coupable de « mise en danger de la vie d’autrui » et écope de 1 000 euros d’amende avec sursis.

Décembre 2015 Claire Marsol, une militante de 72 ans, est condamnée à 1 500 euros d’amende pour avoir aidé deux Erythréens à voyager en gare de Nice.

Juillet 2015 Un militant d’un collectif d’aide aux sans-papiers est poursuivi pour aide au séjour irrégulier, au motif qu’il aurait fait exécuter des tâches ménagères en contrepartie à la famille arménienne qu’il hébergeait. Le procureur abandonne les poursuites. L’homme est relaxé.

Adèle Sifaut


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