Fonction publique "La population française n’acceptera pas le coup de force de Fillon"

lundi 2 janvier 2017.
 

Anicet Le Pors, ancien ministre communiste de la Fonction publique (1981-1984), père du statut actuel des fonctionnaires, réagit au programme de François Fillon en matière de service public. Il appelle à résister à cette offensive qui «  déstabiliserait profondément la société française  ».

François Fillon a remporté la primaire de la droite avec un programme destructeur pour les services publics. Comment analysez-vous cette offensive  ?

Anicet Le Pors Fillon représente une figure réactionnaire classique. Celle qu’ont magnifiquement décrite en leur temps Balzac et Zola. Figure d’un monde où la cupidité, l’affairisme et la confusion des intérêts bâtissaient les fortunes et assuraient les pouvoirs. Une société où l’intérêt général était méconnu, les services publics marginalisés, le peuple supplétif. Replacé dans notre époque, ce fils de notaire provincial, aujourd’hui au service de la finance internationale, présente les mêmes dispositions  : son objectif central n’est ni l’intérêt général ni les services publics qui en assurent la poursuite, mais la réduction de la dépense publique pour favoriser l’accumulation du capital, rendre les riches plus riches et les pauvres encore plus démunis. Le discours a, au moins, le mérite de la clarté.

Il annonce la suppression de 500 000 postes dans la fonction publique, est-ce seulement possible  ?

Anicet Le Pors Il ne fait pas de doute que, s’il parvenait à ses fins, la déstabilisation de la société serait profonde. Mais je ne pense pas qu’il faille développer un discours alarmiste à ce sujet. Souvenons-nous que, déjà, Nicolas Sarkozy appelait en 2007 à une « révolution culturelle » dans la fonction publique, au développement de recrutements de « contrats de droit privé négociés de gré à gré », à la réduction massive des effectifs amorcée par le non-remplacement d’un emploi sur deux de fonctionnaires partant à la retraite. Cela n’a pas été sans effet, mais pour l’essentiel, il a échoué. Dans la crise financière de 2008, chacun a dû admettre que le service public avait joué le rôle d’un puissant « amortisseur social ». Je fais la prévision que la population française n’acceptera pas davantage le coup de force Fillon.

Le candidat de la droite, s’il gagnait en mai, compte également imposer 39 heures de travail hebdomadaire à tous les agents, payées 37. Quel est le risque pour l’ensemble des salariés  ?

Anicet Le Pors La fonction publique a toujours été une grande référence sociale en matière de rémunération ou de conditions de travail. La proposition de François Fillon a bien un caractère emblématique et vise tous les salariés du public comme du privé  : travailler plus pour gagner moins. La justification des 500 000 suppressions d’emplois de fonctionnaires par l’élévation de la durée hebdomadaire du travail est indigente et stupide  : les heures d’un fossoyeur ne sont pas substituables à celles d’une secrétaire de mairie (et réciproquement). Les oppositions à cette mesure et à la réduction des effectifs seront imposantes  : principe de libre administration des collectivités territoriales, de continuité des services publics, hostilité générale des syndicats, colère des fonctionnaires, refus de la population de voir réduire les services publics de proximité, et même, je le pense, fortes réticences de la haute fonction publique.

En creux, c’est le statut même de la fonction publique qui pourrait disparaître. Quel impact sur la qualité des services publics  ?

Anicet Le Pors Pourquoi faut-il un statut des fonctionnaires  ? Pour que les besoins fondamentaux de la population soient assurés de manière démocratique et efficace. Il faut pour cela que les agents du service public, parce qu’ils servent l’intérêt général, soient compétents (recrutés par concours), indépendants (propriétaires de leur grade) et responsables (respectueux des principes républicains). C’est la conception française exprimée, dans les conditions de l’époque, par le statut de la loi du 19 octobre 1946, dont nous commémorons le 70e anniversaire cette année, et que le statut de 1983 a approfondi et étendu à 20 % de la population active (1). Revenir sur cet acquis progressiste aboutirait à un démantèlement du service public. Les forces existent en France pour l’empêcher.

À l’opposé, dans votre livre (2), coécrit avec Gérard Aschieri, vous appelez à un « âge d’or du service public », qui « doit intégrer les changements du monde » . Quels en seraient les contours  ?

Anicet Le Pors L’idéologie dominante voudrait nous convaincre et obtenir la résignation populaire avec l’idée que le libéralisme serait l’horizon indépassable de l’histoire et le management, la forme la plus achevée de la citoyenneté. Ridicule. Tout montre au contraire, dans tous les domaines, que le monde développe des interdépendances, des coopérations, des solidarités qui portent un nom en France  : le service public. Dans les contradictions et souvent les violences, certes, des valeurs universelles tendent à s’affirmer, des dispositifs matériels et immatériels se mettent en place  ; peu à peu, le genre humain prend conscience de l’unité de son destin. À l’autre pôle, l’individu, par-delà les transcendances et les allégeances, est appelé à plus de responsabilité personnelle. Ces grands défis du XXIe siècle disqualifient François Fillon.

(1) Voir l’Humanité du 21 octobre 2016.

(2) La Fonction publique du XXIe siècle, d’Anicet Le Pors et Gérard Aschieri. Éditions de l’Atelier.

Maud Vergnol, L’Humanité


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