Fabien Escalona : «  Valls veut gagner la primaire pour reconfigurer le PS  »

vendredi 23 décembre 2016.
 

Fabien Escalona, politologue à Sciences-Po Grenoble, analyse la stratégie du candidat Manuel Valls visant à imposer sa «  redéfinition de la doctrine et de la stratégie du PS  ».

Manuel Valls a toujours affiché son désir de refonder le PS, qu’il juge trop « passéiste ». Vers quoi se dirige-t-il  ?

Fabien Escalona Le début de campagne de Manuel Valls est poussif. Avec ses proches, il a pris acte d’un impératif de mutation du centre gauche. Car les compromis sociaux-libéraux sont mis à l’épreuve par la crise de 2008. Le drame de François Hollande est qu’il n’a jamais pris complètement la mesure de cette mutation, comme s’il était resté congelé au temps où la « social-démocratie de marché » avait encore la base économique nécessaire pour entretenir de nombreuses loyautés électorales. L’ex-premier ministre, lui, a avancé sur la redéfinition de la doctrine et de la stratégie du PS. Jean-Marie Le Guen a fait passer des textes à la Fondation Jean-Jaurès, dans lesquels est promu un changement de culture  : l’union de la gauche n’est plus un impératif, une forme de collaboration avec la droite républicaine peut être envisagée pour « enjamber les alternances », la question de la nation est mise en avant mais plus la question sociale, etc.

La théorie des deux gauches irréconciliables de Manuel Valls entre dans cette stratégie…

Fabien Escalona Oui. Jean-Marie Le Guen a eu des mots très durs à l’encontre de Clémentine Autain, afin de fustiger une gauche alternative, contestatrice de l’ordre néolibéral, dont ils aimeraient bien se passer ou la voir complètement subordonnée. Sans compter les actes de Manuel Valls  : le soutien à la déchéance de nationalité, à la loi travail, des propos sur la laïcité, etc. Le problème est qu’il doit maintenant gagner une primaire de la gauche qui prétend au rassemblement. Vincent Peillon, nouveau candidat à la primaire, va chercher à assumer le bilan Hollande tout en se distançant de ces « ruptures », qu’on ne peut pas lui imputer directement.

La primaire pourrait-elle consolider la stratégie de Manuel Valls, malgré tout  ?

Fabien Escalona À la base, la primaire était surtout le moyen d’éviter une explosion du PS en raison des fractures créées par le quinquennat. François Hollande a accepté la primaire parce qu’il a senti que le parti et lui-même étaient en danger autrement. Le président sorti du jeu, Manuel Valls, pour gagner cette primaire, met – pour l’instant – en retrait son originalité. Cela crée une tension mais révèle aussi la contradiction qui existait déjà  : les vallsistes souhaitent que le centre gauche devienne un acteur incontournable d’un « camp républicain » débarrassé des radicalités de toutes sortes, mais ils ne veulent pas changer un système électoral qui pousse à la bipolarité droite-gauche. Pour l’instant, Valls tente de mobiliser un réflexe légitimiste pour être qualifié pour la présidentielle. S’il y parvient, ses chances de gagner restent maigres. Son objectif sera alors de perdre de manière honorable pour avoir la légitimité nécessaire pour reconfigurer le camp du PS. En gardant une facette sociale-libérale et pro-business, Manuel Valls ajouterait les thématiques sur l’autorité de l’État, la laïcité intransigeante, etc.

Au mois de juin, après le mouvement contre la loi travail et peu avant sa mort, Michel Rocard disait de Manuel Valls qu’il était « loin de l’Histoire ». Que traduit cette observation ?

Fabien Escalona Les idéaux de Michel Rocard étaient adossés à une vraie culture sociale-démocrate, une connaissance intime de l’histoire du mouvement ouvrier. Dans la social-démocratie, il y a l’idée de négocier des compromis entre grands intérêts organisés, capital et travail, dans un cadre institutionnalisé où le rapport de forces est moins déséquilibré qu’au seul niveau de l’entreprise. La loi travail, elle, est plutôt un compromis entre le patronat et le gouvernement, sans beaucoup de garanties pour les salariés. Il n’y a donc rien d’étonnant que, dans les actions de Manuel Valls à Matignon, Michel Rocard ait eu du mal à se reconnaître. Dans les années 1980, un socialiste injustement moins connu, Jean Poperen, défendait justement une social-démocratie « authentique » où le travail n’est pas toujours le dindon de la farce. Elle n’a jamais vraiment vu le jour.

La source de cette refondation remonte donc bien avant la prise de fonction de Manuel Valls au gouvernement…

Fabien Escalona Bien sûr. Il y a eu le fameux tournant de la rigueur étalé sur les années 1982-1983, qui marque le début d’une véritable reconversion du PS. C’est une étape charnière car les socialistes mettent l’accent sur la prospérité du secteur privé et la bonne tenue de la monnaie, aux dépens du plein-emploi, participent à réduire l’intervention directe de l’État dans la sphère productive… Des politistes ont montré qu’ils avaient assuré la transition d’un État encore « dirigiste » vers un État qui joue une fonction « d’anesthésiste social », une sorte de brancardier des victimes d’un ordre productif inégalitaire et concurrentiel. Cette mutation dans l’économie politique du PS s’est produite de manière brutale et précoce par rapport à d’autres partis sociaux-démocrates.

N’y a-t-il pas eu un énorme pas de franchi avec le quinquennat de François Hollande  ?

Fabien Escalona Les deux dernières années ont effectivement été une forme d’accélération, au point que les équilibres internes en ont été bousculés. Au-delà de l’opposition des frondeurs à la loi travail, celle très véhémente des aubrystes est révélatrice. Ils n’appartiennent pas à l’aile gauche du PS et ne regrettent pas le choix de 1982-1983. Pour eux, il est possible de s’en sortir dans la mondialisation sans déconstruire le modèle social français. La loi travail, au contraire, implique le risque d’une compétition par le bas, en faisant aboutir l’inversion de la hiérarchie des normes. En ce sens, elle va plus loin que les seules baisses de cotisations pour les entreprises, dont on retrouve des occurrences sous les précédentes législatures socialistes.

L’échec de Matteo Renzi, au début du mois, avec son référendum en Italie, n’est-il pas un signe de plus d’une social-démocratie en perdition  ?

Fabien Escalona Matteo Renzi, par son histoire et celle de son parti, était déjà dans une sorte de post-social-démocratie. Cela dit, au vu de ses références très « New Democrats » (à la Bill Clinton – NDLR), on peut le considérer comme un avatar italien de la social-démocratie dans son âge social-libéral. Sa défaite, avec le renoncement de Hollande, marque l’épuisement de cet âge. Ce que change la crise de 2008, c’est une déstabilisation de couches sociales qui n’avaient pas été fondamentalement heurtées par l’ordre productif néolibéral. Cette déstabilisation se traduit par un affaiblissement du club des grands partis de gouvernement, que les sociaux-démocrates ont intégré depuis longtemps, en adoptant leurs codes et soi-disant contraintes.

Une primaire à 3,5 millions d’euros

Le président du comité d’organisation de la primaire du PS, Christophe Borgel, n’a pas voulu s’avancer sur un objectif de participation, estimant que , « vu l’état de la gauche, il y en aura peut-être un peu moins que la dernière fois ». Le coût total est estimé à 3,5 millions d’euros (6 millions en 2011). Les votants devront verser 1 euro par tour, « de nature à couvrir à peu près le coût de la primaire »  : il faudra un minimum de 1,75 million de participants, donc.

Entretien réalisé par Audrey Loussouarn, L’Humanité


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