José Bové et les présidentielles : magnifique campagne, projet propagandiste, quels lendemains ?

vendredi 20 avril 2007.
 

José Bové, ses proches et ses sympathisants mènent une très belle campagne.

En voici un exemple. Je viens de parcourir les douze professions de foi et une évidence me saute aux yeux : la meilleure, c’est celle de José Bové.

Ceci dit, une bonne campagne peut-elle remplacer la cohérence d’un projet porté par une force politique organisée crédible ? Je ne le crois pas.

1) La valorisation du candidat pour toucher l’identité de son électorat

N’importe quel citoyen qui parcourt cette profession de foi remarque l’impression d’ensemble d’unité et de complémentarité, données par les photos, les slogans et le texte.

Du point de vue mise en page, elle donne envie d’être lue car elle est très aérée, très propre dans sa présentation avec ce jaune qui encadre les pages. Les couleurs bleu, jaune et rouge se marient parfaitement.

Sa photo de Page Une est la meilleure : il y apparaît naturel, tranquille, souriant, populaire, déterminé. Sur son fond bleu, le slogan en encart jaune « Un autre monde est possible José Bové » s’intègre parfaitement.

Les photos de quatrième page résument le personnage et la candidature :

-  Une de 2002 avec José sur son tracteur d’agriculteur rejoignant « la prison où il doit purger une peine de 6 mois ferme pour avoir dénoncé la malbouffe »

-  Une, splendide, de septembre 2000 où on le voit, poing levé, paraissant braver la mondialisation, au milieu « de paysans indiens contre la monopolisation des semences par les multinationales ».

-  Une très suggestive de février 2007 à Aubagne avec Yves Salesse, Francine Bavay, Claire Villiers... « Naissance d’une candidature collective, portée par des citoyen-ne-s, engagé-e-s ou non en politique, des communistes, des socialistes, des écologistes, des trotskistes, des alternatifs, des libertaires , des militants des quartiers populaires...

-  Une de février 2007 à Marseille lors d’un rassemblement pour défendre les services publics.

-  Une de Mars 2007 « dans une cité populaire de Roubaix »

2) Le programme et sa présentation

Les deux pages intérieures font valoir le programme du candidat.

L’électeur note à nouveau une excellente présentation :

Le slogan du haut de page valorise à nouveau la spécificité du candidat et crée un lien entre celui-ci et ses propositions : « Ce que je dis, je le fais. J’ai toujours agi selon mes convictions, même quand ma propre liberté était en jeu ».

La présentation du programme est également parfaite avec sept têtes de chapitre mises en évidence en noir et rouge surligné de jaune :

-  Un plan d’urgence sociale

-  Un nouveau modèle de développement

-  Priorité aux services publics, à l’économie sociale et solidaire

-  Le droit à l’éducation et la culture pour toutes et tous

-  Combattre toutes les discriminations

-  Construire un monde de paix et de solidarités en partageant les richesses

-  Un nouvel élan démocratique

Pour chacun de ces sujets, l’orientation proposée est résumée puis détaillée en propositions concrètes.

3) Certainement la meilleure lettre personnelle de candidat aux citoyens

Cette courte lettre en première page présente l’avantage d’une présentation soignée pour faciliter la lecture, d’une valorisation de la spécificité du candidat complémentaire de l’orientation proposée :

« Je suis un candidat différent des autres.

Syndicaliste paysan, militant altermondialiste, citoyen engagé...

Je sollicite vos suffrages comme porte parole d’un rassemblement de millions de citoyennes et de citoyens qui souffrent de la précarité et de l’insécurité sociale, qui contestent un système politique confisqué..., qui s’inquiètent pour eux et pour les générations futures de l’avenir de la planète...

Il y a deux ans, les électrices et les électeurs se sont insurgés contre le projet de Constitution européenne.

Le 22 avril prochain, nous avons l’occasion de décréter l’insurrection électorale contre le libéralisme économique.

Votre bulletin de vote est utile pour battre la droite et l’extrême droite...

Le 22 avril, vous pouvez dire qu’un autre monde est possible.

Aux urnes citoyens »

4) Passé et avenir de la candidature Bové

Concernant le passé : La candidature Bové est souvent justifiée par ses sympathisants pour des raisons conjoncturelles : « la LCR n’avait pas voulu du rassemblement ; le PC avait présenté Buffet... »

Cette réécriture de l’histoire ne me paraît pas juste. Divers courants voulaient la candidature Bové et aucune autre. Pour défendre ce choix, ils utilisaient des arguments antipartis qui obligeaient la LCR et le PC soit à se soumettre et disparaître, soit à se présenter seuls. Je me rappelle de plusieurs débats dont un en présence des leaders nationaux ( Bavay, Villiers, les Alternatifs...) ; des deux objectifs, construire un rassemblement antilibéral unitaire et présenter Bové aux présidentielles, seul comptait ce dernier.

La sorte d’avant-garde large antilibérale apparue au travers de la campagne du NON est beaucoup plus politisée qu’il n’y paraît. Une partie est aujourd’hui attentiste parce qu’elle a compris ce jeu tactique de certains des réseaux soutenant Bové. Elle ressent cette candidature comme essentiellement celle du courant mouvementiste altermondialiste, un courant fort et indispensable à la gauche antilibérale mais ne représentant pas toute celle-ci.

Concernant l’avenir : Des citoyens et militants de la gauche antilibérale vont voter Bové comme moyen pour avancer vers une force politique unitaire antilibérale cohérente ; par ailleurs, ceux que j’ai rencontrés sont clairs sur le vote au deuxième tour pour le candidat de gauche le mieux placé. S’il se confirme que le projet de José Bové repose sur ces deux objectifs, nous serons nombreux à le considérer positivement. Dans l’immédiat, plusieurs questions restent en suspens.

5) Un projet politique propagandiste, nécessairement limité

La profession de foi de José Bové avance : « Nous pouvons vraiment changer la vie. Nous pouvons imposer, ici et maintenant, une véritable transformation sociale, féministe, démocratique et écologique ».

Cette phrase reprend intelligemment des mots de l’espérance de 1981. En même temps, ces mots pointent les limites de la candidature Bové qui ne peut être porteuse d’un projet politique plus crédible qu’en 1981.

La campagne de José Bové pour ces présidentielles met beaucoup plus en avant des références identitaires altermondialistes qu’une stratégie politique visant à une « véritable transformation sociale, féministe, démocratique et écologique ».

De toute façon, si le dénigrement de tout parti comme forme organisée reste le leitmotiv de forces importantes réunies autour de José Bové, toutes les campagnes futures de celui-ci resteront seulement propagandistes, c’est à dire incapables de concrétiser un projet politique. Ce ne serait pas un progrès mais un recul, cent ans en arrière, du mouvement social en France.

6) Quels lendemains pour le réseau Bové après une campagne d’auto-affirmation triomphaliste presque déraisonnable ?

La quatrième page de la profession de foi exhale un parfum de triomphalisme propagandiste, ne prenant en compte ni les rapports de force réels, ni les capacités politiques du seul réseau Bové, qui me rappelle l’ultra gauche de l’après 68 :

" Depuis des dizaines d’années, nous sommes des millions d’hommes et de femmes mobilisés pour défendre nos vies, pour combattre les inégalités et les injustices engendrées par le libéralisme économique, pour refuser un système de domination qui détruit la planète.

Le 22 avril, nous pouvons mettre en accord nos façons de vivre, nos actes, nos rêves et notre vote :

* pour affirmer qu’un autre mode de vie, de production et de consommation est possible et nécessaire ;

* pour battre la droite et l’extrême droite et rassembler toutes celles et touis ceux qui ne se résignent pas à une gauche renonçant à transformer le monde ;

* pour sortir de la division et contribuer à l’émergence d’une gauche alternative et anti-libérale enfin rassemblée".

Les termes de la dernière phrase sont bien choisis : "contribuer à l’émergence d’une gauche alternative enfin rassemblée". Qu’en sera-t-il demain sous l’emprise d’un certain sectarisme qu’entraîne toujours la surestimation de ses forces ?

7) La campagne Bové paraît, dans l’immédiat, plus fondée sur un objectif de rapport de force face aux autres candidats antilibéraux et écologistes que sur des perspectives unitaires

* pour gagner des voix écologistes à Dominique Voynet, il lance le nom de Nicolas Hulot comme son futur premier ministre s’il est élu. Puis, devant la presse réunie à son siège de campagne, il choisit de ne pas assumer : « Il y en a qui ont pris cela au premier degré, mais bien évidemment, on est dans la boutade. C’était pour faire une boutade, il n’y avait aucune arrière-pensée » . Le même matin, dans le journal gratuit 20 Minutes, il assure pourtant, en parlant de son équipe que « le Premier ministre sera un écologiste. Pourquoi pas Nicolas Hulot s’il accepte ».

* contre Besancenot et Laguiller, il fustige "le vote protestaire" « qui, dans le passé, n’a servi à rien ».

* il s’en prend à Buffet et à nouveau Voynet accusés de « se raccrocher au Parti socialiste, peut-être pour avoir un ministère ».

* il se présente comme l’héritier historique des comités du "non de gauche" au Traité Constitutionnel Européen

* il considère représenter l’alternative unitaire antilibérale : « Cette alternative, je l’incarne, parce que je suis le seul à pouvoir réunir d’anciens communistes, des Verts, des trotskystes... »...

8) Une gauche unitaire antilibérale ne naîtra pas d’un rassemblement de mécontents de la société actuelle intégrant par exemple des islamistes, des boudhistes et des altermondialistes de la décroissance absolue.

J’avais déjà trouvé bizarre que son site de campagne unis avecbové intègre dans sa rubrique "Programme politique" un long texte de "108 propositions pour une République Française laïque, écologique et sociale", resucée indigeste, obscurantiste et "décroissante" de type cléricalo-bouddhiste...

Son interview sur le site religieux islamique Oumma.com me reste en travers de la gorge.

Question : "La loi de mars 2004 qui bannit les signes religieux ostensibles de l’école a eu pour conséquence la déscolarisation de dizaines de jeunes filles et leur éviction du monde du travail. Quelles mesures pourrez-vous prendre pour faciliter leur réintégration dans la société ?"

Réponse de José Bové - " J’ai toujours été clairement contre cette loi. Il est évident que c’est une loi qui est principalement préjudiciable aux musulmanes, en plus d’un certains nombre de Sikhs. C’est une loi discriminatoire qui doit être abrogée. Je suis, plus largement, pour une législation qui se donne les moyens de défendre effectivement le libre choix des femmes, entre autre de porter le foulard ou de ne pas le porter. Cela signifie de se donner de réels moyens d’interdire toute discrimination et tout préjudice lié au port du foulard, de se donner également les moyens d"interdire toute contrainte faite aux femmes, notamment de le porter. Les filles déscolarisées doivent bien entendu avoir à nouveau accès à l’école publique".

Considérer cette loi comme discriminatoire peut se discuter mais ne formuler aucune critique sur le voile lui-même comme symbole d’une discrimination à l’encontre des femmes n’est pas correct pour un progressiste quand on connaît ce qu’il révèle dans plusieurs pays.

9) Une Gauche antilibérale unitaire ne naîtra pas sans clarté politique

José Bové en appelle sans cesse à la création d’un rassemblement antilibéral à la gauche du parti socialiste. C’est parfaitement son droit et cet objectif trouve un large écho, aujourd’hui affaibli par la multiplicité des candidatures sur ce créneau.

Cependant, c’est quoi "être à gauche du Parti Socialiste" dans les réponses concrètes à apporter aux besoins de notre peuple ? C’est quoi être antilibéral dans la stratégie politique comme dans le choix de société que l’on propose en alternative au capitalisme ? C’est quoi être altermondialiste comme nouvelle identité politique après le républicanisme, le socialisme et le communisme ( globalement comme conception du monde, plus concrètement en matière de rapport aux classes sociales, de laïcité, d’institutions, , de construction organisée du rapport de force mondial...) ? Quelles propositions politiques transitoires en matière de démocratie sociale, d’énergie, de rapports Nord Sud ?

Il ne servirait à rien de construire une force " à la gauche de la gauche" apportant encore plus de confusion dans les réponses à ces questions. Il ne servirait à rien de construire un rassemblement antilibéral s’il n’était pas utile pour changer vraiment la vie par la mobilisation d’une grosse majorité de notre peuple ; pour cela la question de l’unité de la gauche n’est pas secondaire. Le débat est donc nécessaire.

Jacques Serieys


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