Refonder la République, c’est aussi refondre l’école de la république !

mardi 3 mai 2022.
 

Cette contribution a pour ambition de soumettre au débat un certain nombre de questions qui doivent être abordées dans notre congrès du Parti de Gauche en matière d’Education Nationale, tout particulièrement pour l’enseignement secondaire. Il nous faut questionner à la fois la situation et les principes de fonctionnement qui organisent le service public de l’Education Nationale.

Un premier principe doit nous animer dans le cadre d’une démarche refondatrice de la République : l’Ecole est l’école de la République, elle ne s’appartient donc pas ! Elle n’appartient ni aux enseignants, ni aux élèves, ni aux parents … Elle est notre bien commun et toutes les solutions qui ont consisté à vouloir introduire tel représentant d’ « usager » dans les CA ou autre n’aboutit qu’à « communautariser » d’une certaine façon la question scolaire. Ce dont l’école a besoin c’est d’un débat et d’une orientation politique qui lui redonne son sens et sa place dans notre société.

Voici quelques éléments de constat pour contribuer à une réflexion sur la situation de notre école.

Premier constat : L’absence de débat sur le projet éducatif national

Depuis les années quatre-vingt, nombreuses ont été les décisions et réformes mais jamais n’a été mis en débat le projet éducatif national. Il est étonnant de constater à quel point la question scolaire est généralement traitée pour elle-même, sans que soit posée la question des choix politiques. On a beaucoup mis en avant le comment faire, mais jamais les pourquoi, pour qui, pour quoi ! Toutes les réformes ont pointé des dysfonctionnements, mis en cause les personnels « conservateurs », les élèves « qui ne respectent plus rien », les familles « dépassées » ou « démissionnaires » ; mais on a fait comme si la mission de l’Ecole allait de soi, comme si elle était tellement évidente qu’il n’y avait pas lieu d’y revenir. Or ce silence sur les objectifs éducatifs masque mal le malentendu sur la question scolaire : il n’existe pas une, mais deux Ecoles ; d’une part celle des discours, de l’égalité des chances, de l’élitisme républicain, de la promotion sociale par l’éducation et le travail, une Ecole qui n’a quasiment jamais existé et que l’on mythifie aujourd’hui et d’autre part l’Ecole réelle, fruit d’une histoire faite de projets et aspirations diverses, de contraintes matérielles et économiques, de pratiques pédagogiques et de relations quotidiennes, une Ecole enjeu des confrontations sociales.

Des « experts », autoproclamés ou réciproquement reconnus, ont critiqué les méthodes, les pratiques, les objectifs, les moyens mis en œuvre, les revendications des personnels et proposé leurs conceptions et leurs projets de réforme sans la moindre référence à l’environnement social. On continue de traiter de pédagogie sans questionner sa finalité. On analyse des taux de scolarisation, de réussite ou d’échec aux examens, d’orientation choisie ou subie, comme s’il s’agissait d’un milieu clos, séparé du monde réel.

Cette absence de débat sur les finalités de l’Ecole de la République n’est pas acceptable. Il ne s’agit pas d’abord d’une question technique. La question scolaire n’est pas indépendante de la société, de l’état du rapport des forces sociales et de sa traduction politique. Il n’est pas de projet éducatif qui ne corresponde à une vision politique, à un positionnement social ; il n’est pas de projet de société qui ne comporte de projet éducatif. Des questions fondamentales restent sans réponse pour les enseignants eux-mêmes : de quelle école sont-ils les acteurs ? Celle de l’égalité des chances ? Celle de la reproduction sociale ? Celle de la promotion de tous ou du tri social ?

Deuxième constat : L’ascenseur social a fonctionné dans un contexte particulier des rapports sociaux

Dans le contexte des années 50 et 60 marquées par une forte croissance, les besoins en nouvelles qualifications et un faible chômage, l’Ecole a pu être un véritable lieu de promotion sociale, chaque milieu social pouvant espérer une amélioration des conditions et du niveau de vie de la génération suivante. Bien sûr, il ne s’agit pas de mythifier la réalité : l’Ecole de cette période restait celle de la reproduction sociale, il n’y avait pas de réelle « égalité des chances ». Il n’en demeure pas moins que dans cette période elle a joué un rôle d’ascenseur social.

Depuis les années soixante-dix une profonde transformation s’est opérée avec le développement du chômage et de la précarité. Accentuées dans le contexte de crise du capitalisme financier, les restructurations, délocalisations, externalisations continuent à détruire par milliers, chaque année des emplois. C’est dans ce nouvel environnement social qu’évolue notre système éducatif actuel avec des réussites indéniables : accueil de toute une génération dans le second degré, doublement du taux d’accès au bac, objectif proclamé de 80% d’une classe d’âge au niveau baccalauréat. Toutefois le changement de l’emploi dans la société a eu des conséquences dans l’Ecole. Aujourd’hui, lorsque les enseignants disent à leurs élèves que les études permettent une insertion professionnelle, et donc sociale, plus rapide, ils tiennent un discours qui est de moins en moins vrai. Certes les statistiques confirment que plus élevée est la qualification obtenue, moins longue sera la recherche d’emploi ; mais elles ne disent rien de la nature du contrat, ni du niveau de rémunération obtenus dans ces conditions, ni du déclassement des diplômes obtenus : combien de bacheliers, voire de diplômés du supérieur, doivent accepter pour vivre de travailler au SMIC, en situation de précarité, dans des emplois d’exécution pour lesquels aucune qualification particulière n’était requise mais où ils sont cependant préférés à d’autres moins diplômés. La dévalorisation des diplômes y a trouvé sa source et a été développée par des politiques délibérées entretenant le chômage de masse pour peser sur le rapport de force entre salariés et employeurs, créant les conditions d’un « marché du travail » défavorables aux premiers.

Enfin cette évolution a été accompagnée par une ségrégation spatiale accrue. La concentration des catégories les plus pauvres s’est considérablement renforcée au cours des trente dernières années. Sans doute la distinction entre « beaux quartiers » et « quartiers populaires » est-elle ancienne, mais le coup d’arrêt donné depuis trente ans à la relative mobilité sociale des années précédentes, l’envolée des prix de l’immobilier, les politiques d’exclusion sociale de certaines communes ont contribué à cloisonner davantage l’habitat. Dans les grands ensembles de l’après guerre, jusqu’au début des années soixante-dix, diverses populations se sont succédées : jeunes ménages d’employés et ouvriers, migrants, nouveaux citadins issus d’une ruralité en mutation... Ces situations diverses étaient souvent provisoires : on gagnait d’autres habitats lorsque le niveau de vie familial s’améliorait un peu. D’une certaine façon, le renouvellement relatif des populations de ces quartiers traduisait dans l’espace les possibilités d’ascension sociale. Là aussi le développement massif du chômage, avec ses conséquences de précarisation des emplois et de pression sur le pouvoir d’achat de ceux qui continuent à travailler, la fin de l’immigration provisoire d’hommes seuls, et le regroupement familial qui l’a accompagnée, la fuite vers les zones périurbaines, voire rurbaines, de ceux qui restaient les moins défavorisés parmi les classes laborieuses, ont contribué à accroître le cloisonnement et à le figer. De vastes zones ont été abandonnées à une population nombreuse et démunie, sans réelle perspective d’évolution, que ce soit au plan de la situation individuelle, en raison du contexte économique et social, ou au plan collectif et politique, puisque la fin du XXème siècle, avec ses alternances politiques sans alternative sociale, est aussi marquée par la disparition de l’espoir de changement que pouvaient incarner les partis de la gauche d’avant les années quatre-vingt. Désormais, l’opposition au sein de l’Ecole entre les filières de promotion et de relégation a laissé la place à l’opposition des établissements des beaux quartiers, réputés pour la réussite des élèves et des établissements des zones défavorisées, chargés d’un rôle de maintien de l’ordre social.

Ainsi l’Ecole réelle a subit les conséquences de ces évolutions : difficultés scolaires des plus démunis, absence de perspective et de motivation, perméabilité aux frustrations et violences de la société, fin de la sanctuarisation des lieux d’éducation. Mais l’Ecole idéale, ou idéologique, celle du discours républicain, le « projet éducatif de la nation », en sont également victimes. Dans une société de classes moyennes, inégalitaire mais où chaque catégorie pouvait espérer améliorer son sort, il pouvait exister un point d’équilibre entre les intérêts des uns à conserver leurs positions acquises et les aspirations des autres au progrès social, et donc un certain consensus « républicain » autour de ce projet éducatif. Aujourd’hui, l’école n’est plus un ascenseur social car la société dans laquelle nous vivons ne le permet plus. Le consensus sur le projet éducatif en a été laminé …

Troisième constat : Les limites de la logique de massification sont atteintes[1]

La logique d’une démarche – celle de démocratisation de l’accès à l’éducation incarnée, pour faire vite, par le collège unique et l’objectif des 80% d’une génération au niveau du Bac- a atteint aujourd’hui ses limites. Quelques indicateurs peuvent étayer cette affirmation : il s’agit par exemple du nombre de jeunes qui quittent l’Education Nationale sans diplôme ou encore de la stagnation aux alentours de 70% d’une génération à avoir le niveau Bac… Les écarts de réussite scolaire selon l’origine sociale sont plus ou moins maintenus. Le débat massification/démocratisation est derrière nous : si il existe une quasi égalité d’accès au service public de l’Education Nationale, toutes les catégories sociales n’en tirent pas le même bénéfice.

Les résultats obtenus par le système actuel doivent également nous alerter sur l’urgence de refondre l’école de la République. La sélection/orientation qui s’opère à partir du collège est en grande partie une sélection sociale. La faible présence d’élèves/étudiants issus des catégories populaires dans les filières destinant aux métiers les mieux rémunérés en attestent. Cette sélection est aussi sexiste, les filles malgré leurs excellents résultats sont orientées vers des filières spécifiques débouchant sur des métiers aux rémunérations plus faibles.

Enfin au risque de heurter il n’est pas inutile de se pencher sur le contenu d’enquêtes scientifiques comme PISA. Non comme le font les médias pour le classement international qui n’a pas d’intérêt réel (les situations nationales étant trop différentes), mais pour des résultats qui méritent notre attention et notre réflexion. En voici quelques éléments : le niveau des résultats des élèves français diminue au cours des années 2000. Mais surtout c’est le niveau des plus faibles qui diminue fortement. Ainsi ce sont les inégalités de résultats entre élèves français qui augmentent et ce selon l’origine sociale ! PISA montre qu’il s’agit là d’une spécificité française au sens où, si dans tous les pays on constate cette inégalité sociale de réussite, celle-ci est plus marquée en France … Il est à noter que PISA montre nettement que ce sont les sociétés où les inégalités sociales sont les moins fortes qui ont les meilleurs résultats et qui présentent aussi dans le même mouvement le moins d’écart de niveau selon l’origine sociale. On le voit l’école n’est pas responsable de tout ! Enfin les pays où le tronc commun dure le plus longtemps sont aussi les pays où les écarts selon origine sociale, sexe, … sont les plus faibles.

Ces trois constats (qui méritent sans doute débat) ouvrent un questionnement fondamental.

Les limites des principes d’égalité des chances et de méritocratie ne sont-ils pas atteints eux aussi ? N’est-il pas temps de changer de paradigme scolaire ?

L’école de la République repose sur le principe méritocratique et sur celui de l’égalité des chances. Ces deux principes sont indispensables pour légitimer une fonction fondamentale assurée par l’école en France : la sélection des élites. L’école, et tout particulièrement le secondaire en France, fonctionne en partie comme une machine à sélectionner et donc à éliminer. Les deux principes sont alors indispensables d’un point de vue démocratique : sans égalité des chances comment accepter que certains réussissent et accèdent à certains diplômes et à des études supérieures et d’autre pas ? L’égalité des chances justifie la sélection selon le principe du mérite. Or à ce stade deux problèmes apparaissent : ainsi que de nombreux sociologues l’ont montré pas plus en France que dans d’autres pays l’égalité des chances n’existe ! On devrait même sans doute parler d’inégalité sociale de réussite scolaire pour caractériser la situation de manière objective ! En d’autres termes pour réussir dans ses études mieux vaut être issu de milieux sociaux aisés que populaires. S’en tenir à ce constat a amené la gauche à prendre des mesures comme les ZEP pour aider davantage ceux qui en ont le plus besoin… Il s’agissait d’essayer de se rapprocher d’une réelle égalité des chances. Les résultats n’ont pas été à la hauteur des espoirs !

Faut-il en rester à cette logique et conserver le principe de l’égalité des chances ou le moment n’est-il pas venu de changer de logique et de principes ?

Des arguments solides existent en faveur d’un changement de logique. Dans le cadre du projet républicain l’école doit apporter à chacun les moyens de son émancipation. Celle-ci passe tout d’abord par la délivrance de diplômes reconnus. Le futur salarié sorti du système de formation doit pouvoir s’appuyer sur cette reconnaissance pour faire valoir des exigences salariales et autres … De ce point de vue j’ai donc une divergence avec la contribution d’ Anny Sire-Richard (réflexion sur les missions …) mais ce n’est peut-être qu’une question de formulation. Dans le cadre de la société salariale capitaliste, l’école a un rôle important pour la défense des salariés. Toutefois nous l’avons vu plus haut dans ce domaine elle ne peut pas tout. L’évolution de l’emploi, les rapports de force sociaux influent fortement sur cette question.

Les moyens de l’émancipation offerts par l’école passent aussi par la capacité à l’exercice de la citoyenneté et notamment l’exercice du débat argumenté… Cette mission de l’école s’inscrit dans tout projet politique alternatif visant la restauration d’une véritable démocratie, construite sur la participation des citoyens. Le versant éducatif d’un tel projet de société devrait proposer l’objectif général suivant : assurer à tous les jeunes (jusqu’à dix-huit ans ?) une éducation complète qui leur donne les moyens d’être pleinement acteurs de leur devenir ; elle doit apporter à tous une culture générale d’un niveau suffisant pour permettre à chacun de faire ses choix, qu’il s’agisse d’orientation professionnelle, de vie personnelle ou familiale, ou de participation à la démocratie, politique, sociale et associative, en toute responsabilité. Quelle est aujourd’hui la borne « naturelle » de l’apprentissage d’une culture générale commune, sans pour autant remettre en cause les poursuites d’études plus spécialisées, qu’elles soient universitaires ou professionnelles ? Le baccalauréat devrait-il être la sanction officielle de ce tronc commun d’éducation ?

Réfléchir en ces termes suppose de permettre des parcours de réussite pour tous. Le premier degré s’est d’emblée construit dans une perspective d’universalité de ses objectifs, structures et contenus. En revanche, l’unification relative du second degré, la massification, en particulier du premier cycle, s’est effectuée par imitation des premières classes des anciens lycées et a donc ouvert à un public plus large et plus divers une structure pédagogique conçue au départ comme élitiste et orientée essentiellement sur les disciplines littéraires : lettres, langues, mathématiques. Les apports culturels différents qu’auraient pu apporter l’intégration des cours de primaire supérieur, des cours complémentaires, puis des CEG, ont été obérés par leur transformation en filières internes, vite hiérarchisées et donc justement combattues par les forces attachées à une véritable démocratisation. Il en résulte aujourd’hui un collège dans lequel les aspects scientifiques, techniques, artistiques, corporels et sportifs de la culture commune font figure de parents pauvres en regard de l’importance accordée aux disciplines littéraires et aux mathématiques. Cela présente deux conséquences néfastes, d’une part la perte de pans entiers de connaissances et de savoir-faire, d’autre part la valorisation d’une seule catégorie d’élèves au détriment des autres. Si on ne peut faire peser sur la seule organisation scolaire la dévalorisation des métiers manuels et techniques, l’école a sa responsabilité propre en matière de représentation de ces métiers et nous sommes loin de la place faite aux « arts mécaniques » dans « l’Encyclopédie ». Il est indispensable de rééquilibrer les disciplines, tant pour une question de richesse partagée qu’en raison de la diversité des élève.

Dans cette perspective, assigner comme objectif au projet éducatif d’aller vers l’égalité de droits de tous en matière d’éducation amène à légitimement se demander si le principe d’égalité des chances est le plus adapté pour nous y mener ? N’est-il pas temps de passer d’une égalité des chances de réussir à une égalité de réussite ? En effet l’égalité des chances suppose que l’on donne la même chance à chacun de réussir. On est donc dans une logique de compétition où chacun est supposé avoir les mêmes chances de gagner que les autres. Qui dit compétition, dit gagnants … et perdants ! Comment traite-t-on ceux qui échouent ? Que leur propose-t-on si on accepte l’idée que l’objectif de l’école est d’offrir à chacun les moyens de son émancipation ? L’échec scolaire signifierait-il que certains n’auraient pas les moyens de s’émanciper ? On le voit, conserver le principe d’égalité des chances pose de redoutables questions sur les finalités de notre enseignement secondaire. Ne faudrait-il pas promouvoir un nouveau principe qui serait celui de la réussite pour tous jusqu’à un certain niveau, niveau considéré comme indispensable pour être capable d’exercer pleinement sa citoyenneté ? Une telle approche demande de rompre avec la sélection et la compétition jusqu’au niveau où la nation souhaite amener ses futurs citoyens. L’égalité des chances ne serait requise que pour aller au-delà …

Alain Dontaine, comité 1, Isère

NOTE

[1] Je partage assez ce que Francis Daspe en écrit dans son texte « dépasser le collège unique … »


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