28 février 1957 Naissance de Gaston Lagaffe, antihéros par excellence

jeudi 29 février 2024.
 

Un gaffeur-né, certes, mais pas seulement. Au fil des décennies, le garçon de bureau s’est avéré plus subversif qu’il n’y paraît.

M’enfin  ! Qui l’eût cru  ? Apparu pour la première fois le 28 février 1957 dans les pages du journal Spirou, Gaston Lagaffe fête ses 60 ans cette année. Créé par André Franquin (1924-1997), ce rêveur impénitent, aux trouvailles aussi inattendues que catastrophiques, est l’un des personnages les plus célèbres de la bande dessinée. Qu’il se mêle d’améliorer la vie de bureau, de s’occuper d’un chat ou d’une mouette rieuse, d’inventer des instruments de musique ou de perfectionner sa voiture, Gaston déclenche immanquablement explosions, incendies et désastres en cascade. Il déborde d’énergie pour paresser à l’envi, inventer l’inutile, créer de la poésie, s’amuser d’un rien…

Son histoire débute presque comme un gag. André Franquin propose d’insérer par-ci par-là un personnage «  sans emploi  ». Franquin racontait  : «  Je ne sais plus comment l’idée m’en est venue. Je sais seulement que le rédacteur en chef de l’époque, Yvan Delporte, était très ouvert à toutes les suggestions, même les plus farfelues, pour animer le journal. Je sais aussi qu’un jour, je suis allé le trouver en lui disant qu’il serait peut-être amusant d’essayer dans le journal un personnage de bande dessinée qui ne figurerait pas dans une bande dessinée parce que, contrairement aux héros, il n’aurait aucune qualité, il serait con, pas beau, pas fort. Ce serait un “ héros sans emploi ”, un héros dont on ne voudrait dans aucune bande dessinée tellement il est minable… (…) L’idée était tellement informe et minuscule que je ne savais pas moi-même où je m’engageais en lançant ce personnage. Il en a été ainsi pendant tout le début de la carrière de Gaston  ; pendant des semaines, on a vu arriver ce personnage à la rédaction, il a intrigué tout le monde… Yvan et moi les tout premiers…  »

Le 28 février, Gaston apparaît donc pour la première fois, en bordure de page, vêtu d’un costume de ville et d’un nœud papillon, sans explication aucune. La semaine suivante, on le retrouve dans un coin de page. Cette fois, il est affalé sur une chaise, affublé de son costume qu’il ne quittera jamais, col roulé, jean et espadrilles. Deux mois plus tard, à un Spirou qui s’interroge sur sa présence, il répond  : «  J’attends, j’sais pas…  » Dans le numéro suivant, il commet sa première bévue, renversant de l’encre sur un concours que devait lancer le journal. Silhouette anecdotique venue remplir les creux de la mise en page tout en animant et déstructurant les pages, Gaston apparaît à ce rythme une année durant, avant de s’imposer comme un personnage à part entière  : d’abord dans un double strip de trois cases en décembre 1957, puis sur une demi-page et, à partir de 1966, dans une série pleine page…

Entre 1957 et 1996, Franquin publiera plus de 900 planches de Gaston Lagaffe dans le journal Spirou et en albums, renouvelant le ton de la BD franco-belge. Il faut dire que ce personnage détonne dans un univers dominé par des Lucky Luke, Gil Jourdan et autres Buck Danny… Enfermé dans cette vie de bureau trop étroite qu’il bouscule en y invitant animaux, inventions, détournements d’objets et catastrophes en tout genre, Gaston fait imploser le décor de la rédaction. Ce petit théâtre de la vie ordinaire s’épaissit progressivement de gags en tout genre dans lesquels Gaston donne une vision du monde singulière  : il campe dans son époque, sensible à l’environnement et à la préservation du monde qui l’entoure. S’il apporte de la fantaisie, le personnage de Gaston n’en est pas moins une œuvre charnière dans l’histoire du 9e art.

Plus que tout autre, cet antihéros par excellence s’est construit au gré des mutations des années 1950, 1960 et 1970 : pacifisme ambiant, début de l’écologie, années beatniks, antimilitarisme, avènement de la publicité, évolutions du monde du travail, relations hommes-femmes, consumérisme, valeurs individuelles, rejet de l’autorité… Au-delà des gaffes qui ont fait sa réputation, se dessine un Gaston Lagaffe subversif, frondeur ou militant écologique. Une personnalité et des caractéristiques qui ne sont pas sans évoquer certains des traits d’André Franquin, qui joue constamment avec son personnage et puise dans une part de son existence matière à créer et à dessiner. En le créant, Franquin s’est offert un moyen de dénoncer toutes les choses qui l’insupportaient, et un bel espace de liberté. Gaston lui permettait en effet de créer un univers peuplé d’animaux invraisemblables (le chat, la mouette rieuse) et de personnages pittoresques comme la pétulante M’oiselle Jeanne, Monsieur De Mesmaeker, l’homme d’affaires qui tente en vain de signer des contrats, l’agent Longtarin, Prunelle, ses amis Bertrand Labévue et Jules-de-chez-Smith-en-face…Contrairement aux séries comme Astérix, Lucky Luke, Blake et Mortimer… relancées par leurs éditeurs, Gaston est, comme Tintin, l’un des rares personnages dont la vie s’est arrêtée, à ce jour, avec le décès de leur créateur. Mais elle résiste au temps, tant les traits de caractère sont intemporels. Soixante ans plus tard, Gaston est encore l’une des BD les plus lues par les lecteurs de tous âges.

À 60 ans, Gaston reprend des couleurs

Nouvelle consécration pour le 9e art. Après «  Tintin  » au Grand Palais, Gaston Lagaffe a, pour ses 60 ans, investi le Centre Georges-Pompidou, pour une exposition unique, proposée au sein de la Bibliothèque publique d’information (BPI) du musée jusqu’au 10 avril. L’exposition propose aux visiteurs des planches originales, des dessins inédits, des photographies et des inventions en tout genre pour (re)découvrir le gaffeur de Franquin. Elle pose un regard neuf sur l’importance de ce personnage qui aura entraîné son créateur bien au-delà de la bande dessinée jeunesse. L’exposition s’inscrit en écho au programme éditorial de l’anniversaire du personnage porté par les éditions Dupuis, dont le point d’orgue est l’édition spéciale au tirage limité de la série Gaston en 22 volumes, avec des couleurs restaurées.

Alexandra Chaignon, L’Humanité

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