Le système électoral US

mercredi 26 octobre 2016.
 

Raffaele Simone Le système électoral américain offre un exemple époustouflant de baroquisme et d’absurde. Créé il y a plus de deux siècles, il s’est fondé sur l’idée, typiquement paternaliste et pédagogique, selon laquelle le peuple, étant rude et mal informé, il faut passer son opinion par le filtre d’un deuxième niveau, constitué par des personnes plus préparées, réflexives et avec une plus grande expertise. Ce sont elles qui peuvent vraiment interpréter les besoins du peuple, qui, lui, n’est pas à même de dire exactement ce qu’il veut et ce dont il a besoin. Donc, la démocratie qu’aimait tant Tocqueville se base sur l’assomption cruelle que sur le fond le peuple est bête et sauvage et qu’il lui faut un pédagogue pour lui apprendre ce qu’il veut lui-même  ! Or, il est bien connu que la manœuvre sur la loi électorale est un des instruments les plus puissants pour déterminer les résultats politiques, comme le cas de Trump (de même que celui de Gore il y a quelques années) l’a démontré de la manière la plus criante. Du coup, il est surprenant que personne, aux états-Unis, ni même chez les radicaux, ne s’attaque à cette loi dérisoire et offensive et ni ne réclame sa révision en profondeur. Entre-temps, la démocratie américaine se confirme paternaliste et hypocrite, quoique pût en penser le bon Tocqueville.

Raffaele Simone Dans la modernité occidentale, on souffre de deux décalages fatals  : celui de la politique face aux besoins des citoyens et celui des médias face à la vie réelle. Le premier est dû à la mauvaise direction qu’a prise la politique depuis des décennies  : sphère close, ou quasiment close, mandarins, clientélisme, cumul, dans la durée, des charges et des mandats, privilèges, professionnalisation rampante, etc. Cette métamorphose – prévue lucidement déjà au début du siècle passé par Max Weber – a été révélée par l’action et la place grandissantes de l’information et, plus récemment, d’Internet. Si l’on veut un exemple caractéristique, triomphant, de cette distorsion, il suffit de regarder la bureaucratie européenne, où les gens qui commandent et déterminent le sort des différents pays sont inconnus et très bien récompensés. Les citoyens ne se font plus leurrer et répondent soit en protestant, soit en tournant le dos aux élections. Quant au second décalage, il est clair désormais que les médias sont de moins en moins rivés aux faits et immergés parmi les gens et leurs soucis réels, sauf à l’occasion de catastrophes et de situations dramatiques  : les bureaux de presse, les sondages, les communications produites par les lobbies ont pris le dessus. Les médias ne racontent plus la vie des gens, mais plutôt les manigances des puissants, des célébrités et des fortunés. Conséquence de cette logique  : la couverture de faits importants comme l’élection américaine, la Brexit et les primaires françaises a été totalement faussée par cette distorsion. La réalité parle évidemment un autre langage, que les médias ne connaissent pas.

Entretien dans l’Humanité du 27 novembre 2016


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