Alain Juppé prêt "à baisser le RSA"

samedi 22 octobre 2016.
 

Bon, c’est sûr, Alain Juppé ne sacrifie pas à la logorrhée de son concurrent à la primaire, il est plus doucereux, plus diplomate. Mais sur les questions d’assistance, ses écrits et déclarations posent problème. Et il vient de déclarer, dans l’indifférence générale, qu’il était prêt à baisser le RSA.

Sur son site de campagne (alainjuppe2017.fr), il affirme son souhait de cohésion sociale : "Retisser du lien, retrouver l’envie de partager un projet commun, créer des richesses pour tous, c’est cela la cohésion sociale fondée sur la Fraternité". Et de préciser cette cohésion sociale : "un pays qui soutient ses jeunes, ses familles et ses personnes âgées". Il appelle cela l’objectif des politiques sociales. Par ailleurs, il assène que "la solidarité, ce n’est pas l’assistance".

Eh bien si, la solidarité c’est par définition l’assurance et l’assistance, c’est-à-dire des droits sociaux ouverts par les cotisations ET des droits sociaux découlant de la solidarité nationale (pour des personnes n’ayant pas cotisé). C’est le cas du RSA, de l’Allocation Adulte Handicapé (AAH) mais aussi de l’aide au maintien à domicile pour les personnes âgées dépendantes (Allocation Personnalisée d’Autonomie, APA, attribuée à tous, pas seulement aux plus démunis, sans qu’il s’agisse d’une contrepartie à une cotisation).

Les politiques sociales ce sont aussi l’aide apportée à ceux qui sans être "enfant", "famille" ou "personne âgée", sont sans ressources pour vivre. L’oubli n’est certainement pas fortuit, car cela concerne, entre autres, pour partie les bénéficiaires du RSA. Or Alain Juppé a une position bien inquiétante au sujet de cette prestation sociale. Lors de L’Émission Politique sur France 2 le 6 octobre, à deux reprises, il a tenu à préciser son projet en ce qui concerne les minima sociaux.

Dans une agence de Pôle Emploi, il s’entretient avec un homme qui vient de créer son entreprise, après une période de chômage et qui avoue qu’il avait auparavant une image négative des gens au chômage (des "feignants"). Ne dégageant pas encore de chiffre d’affaire, il perçoit le RSA et a changé d’avis. Alain Juppé en profite alors pour déclarer qu’actuellement "en additionnant les allocations familiales, les APL [logement], le RSA, on a un revenu égal ou très proche de celui qui se lève le matin pour aller travailler au Smic. Là, il y a une injustice. Je propose que l’on reste en dessous". Et de la main, il fait un signe imageant ce niveau inférieur.

Par ailleurs, il défend, devant des chômeurs de l’agence, l’idée d’une dégressivité. Comme il sent que ses interlocuteurs n’apprécient pas une telle mesure, il temporise en disant qu’"une immense majorité […] cherche du travail", mais une "petite minorité", non. "Je reconnais que ça peut être très pénalisant", il ajoute qu’il ne l’appliquera que si le marché du travail redémarre.

Cherchant ses mots pour faire passer la pilule, il confirme son intention de supprimer l’ISF. Et de citer la taxe à 75 % "qui a été un désastre, et sur laquelle il a fallu revenir". Ce qui est faux : ce projet a été retoqué par le Conseil constitutionnel, et ne s’est appliqué que deux ans (comme prévu au départ) non pas auprès des individus mais de leurs employeurs (pas exclu d’ailleurs que Jérôme Cahuzac ait saboté les modalités de cette taxe pour qu’elle échoue).

Face au maire xénophobe et raciste de Béziers, Robert Ménard, invité on se demande bien pourquoi par France 2 pour porter contradiction (sinon pour espérer de l’audimat) et déversant sa haine anti-immigrés sans aucune retenue, il croit devoir prendre les devants des reproches possibles en disant qu’il restreindra l’Aide Médicale d’État (AME, pour les soins aux sans-papiers). C’est bon ça, car la droite extrême fait ses choux gras avec l’AME. D’ailleurs, Ménard ne cache pas sa satisfaction.

Le maire de Béziers réclame d’exiger 5 ans de présence avant d’avoir droit à une allocation. Juppé essaye de s’en sortir en évoquant des accords internationaux pour certaines allocations, sans préciser que ce délai existe pour certaines d’entre elles : le RSA, justement, et l’ASPA (minimum vieillesse).

Ménard, après avoir affirmé que les étrangers viennent en France pour les allocations, croit pouvoir s’invoquer d’une employée de la CAF pour dire le ras-le-bol de ces agents se faisant engueuler par des femmes issues de l’immigration, ayant enfants et mari sans emploi, tirant de leur situation des revenus supérieurs aux employés de la CAF. Juppé, consensuel, n’envisage même pas de mettre en doute ces propos (Ménard est capable de tout) rappelle son intention de créer "un compte unique de prestations sociales" pour s’assurer que ces revenus d’assistance restent en dessous du "salaire du travail".

Mais là où il dépasse les bornes c’est lorsqu’il dit, avec une certaine discrétion, sans être tonitruant : "s’il le faut, je ferai baisser le RSA", renouvelant son geste pour montrer cette baisse. Cette prise de position est choquante, gravissime, mais peut-être que ce qui l’est davantage, c’est le fait que les deux intervieweurs (David Pujadas et Léa Salamé) ne réagissent pas, et qu’aucun média n’ait commenté cette ignominie. Il pourra dire qu’il avait prévenu, dans un silence total (il a même une petite phrase sibylline dans laquelle il dit que cette proposition "a été bien accueillie"). Rappel : le RSA pour une personne sans aucune ressource c’est 470,95 €, son montant n’a pas suivi, depuis la création du RMI en 1988, l’évolution du Smic. Cette somme ne permet pas à une personne de vivre, n’est donc pas conforme à la Constitution (1). Si elle est trop proche des 1130 € nets du Smic, alors augmentons le Smic. Laurent Wauquiez et Nicolas Sarkozy, entre autres, qui ont déversé des tombereaux de mépris sur les assistés, sur tous ces gens percevant des minima sociaux, s’ils ont contesté sans cesse la prétendue proximité entre les revenus du travail et ceux de l’assistance, n’ont jamais ouvertement proposé de baisser les montants. C’est Alain Juppé qui le fait, à une heure de grande écoute, et, paradoxalement, avec une certaine discrétion.

Puis les deux hommes se quittent, l’un reprochant à l’autre, s’il est élu président, d’augmenter de 2 millions le nombre d’étrangers (!), l’autre prévoyant la "guerre civile" si le Front National l’emporte.


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