Nicolas Sarkozy incompétent sur les questions internationales, les musulmans, l’islam et le colonialisme ( Par Alain Gresh )

samedi 14 avril 2007.
 

Cet article d’Alain Gresh est paru dans Le Monde Diplomatique sous le titre " Nicolas Sarkozy, les musulmans, l’islam et le colonialisme". La rédaction de ce site a ajouté "incompétent sur les questions internationales" car c’est ce qui ressort sans aucun doute de l’interview sur RMC.

Cela m’avait échappé. Il ne me semble pas l’avoir lu dans les grands quotidiens et il a fallu une remarque en passant pour me lancer sur la piste des déclarations de Nicolas Sarkozy sur Al-Qaida. Seuls quelques blogs les ont reprises et quelques sites de journaux (Marianne) et nouvelobs.com). Voici comment ce dernier en parle : « Invité sur RMC lundi 26 février, Nicolas Sarkozy a été testé sur ses connaissances en matière de terrorisme international.

Le journaliste de RMC, Jean-Jacques Bourdin, lui a demandé si les combattants d’Al-Qaïda étaient sunnites ou chiites. "Il est impossible d’y répondre (...) parce qu’Al-Qaïda, c’est une nébuleuse", a rétorqué Nicolas Sarkozy. A trois reprises, le ministre de l’Intérieur a refusé de répondre à la question. "On ne peut pas qualifier Al-Qaïda comme ça", a-t-il insisté. "Je vais d’ailleurs vous donner un exemple : le GSPC algérien a rejoint Al-Qaïda il y a quatre ans à peine. On ne peut pas réduire Al-Qaïda à un problème sunnites-chiites. Al-Qaïda, c’est une mouvance", a encore déclaré le candidat de l’UMP. Jean-Jacques Bourdin a toutefois tenu à lui faire remarquer que "tous les chefs d’Al-Qaïda sont des sunnites". "Nous demanderons à des spécialistes", a conclu le journaliste. ». Que le ministre de l’intérieur français, en charge de la lutte contre le terrorisme, soit aussi ignare pose un véritable problème : comment peut-il mener cette lutte s’il n’est pas capable de faire la différence entre les groupes chiites et sunnites ? de comprendre le fossé qui sépare, par exemple, Al-Qaida des groupes chiites, même les plus radicaux.

J’avais moqué, dans mon blog du 13 décembre 2006, l’ignorance des responsables politiques. Silvestre Reyes, un membre démocrate de la chambre des représentants américaine du Texas, le nouveau président démocrate du comité sur le renseignement de la chambre des représentants américaines, comité en charge de suivre « la guerre contre le terrorisme ». Jeff Stein, directeur de la revue Congressional Quarterly National Security, lui a posé des questions peu difficiles et les réponses ont de quoi surprendre. Reyes pense, par exemple, qu’Al-Qaida est une organisation chiite ; d’autre part, il est incapable de dire ce qu’est le Hezbollah.

Cette ignorance n’est donc pas proprement américaine !

Nicolas Sarkozy et ses conseillers, ont développé, au cours des dernières années, un discours sur le Proche-Orient, qui marque une rupture avec la politique traditionnelle de la France. Il fut l’un des seuls ministres à exprimer des réticences sur la condamnation par Paris de la guerre en Irak au printemps 2003. Il n’a pas non plus raté une occasion de rappeler qu’il était un ami d’Israël. J’ai regroupé ici quelques unes de ses déclarations (ou des déclarations de ses conseillers) sur le Proche-Orient, l’islam, Israël - j’en avais signalé certaines, au fil de la plume, mais j’ai pensé utile de les regrouper).

Selon un article du Monde, « A Paris, 40 000 personnes ont fêté l’amitié entre la France et Israël », signé par Xavier Ternisien ( 24 juin 2003) : « Plusieurs hommes politiques sont intervenus, au cours d’une soirée animée par le journaliste Ivan Levaï, en présence de l’ancien premier ministre israélien Benyamin Nétanyahou. Celui qui a été le plus applaudi, juste derrière Alain Madelin, est sans nul doute Nicolas Sarkozy. "Israël est une grande démocratie, et c’est suffisant pour être salué et respecté", a souligné le ministre de l’intérieur. "C’est la raison pour laquelle je n’ai pas accepté que le drapeau israélien soit bafoué par une croix gammée au cours des manifestations qui ont eu lieu contre la guerre en Irak. Parce que c’est de l’incitation à la haine raciale. Israël a le droit à la sécurité, comme toute démocratie dans le monde, ni plus, ni moins." »

En déplacement en Israël, du 14 au 16 décembre 2004, en tant que président de l’UMP, Nicolas Sarkozy a été « accueilli en véritable homme d’Etat - "selon un protocole largement au-dessus de celui réservé généralement à un chef de parti", note un diplomate à Jérusalem -, le président de l’UMP a aussi rencontré Moshe Katzav, président de l’Etat israélien. « Nous avons parlé des relations entre nos deux pays, de la situation en Europe et de l’interdiction de la chaîne Al-Manar sur les ondes françaises », a expliqué M. Katzav alors que M. Sarkozy relevait que la France était "le seul Etat à avoir adopté une telle disposition contre une chaîne de télévision antisémite" » (« Reçu en Israël en homme d’Etat, M. Sarkozy s’est posé en héraut de la lutte contre l’antisémitisme, » Yves Bordenave, Le Monde, 17 décembre 2004).

C’est au cours de cette visite et dans un discours prononcé à Herzliya, le 16 décembre 2004, que Nicolas Sarkozy, a salué le combat commun menés par « nos soldats » en 1956, lors de la triste expédition coloniale contre l’Egypte de Nasser et pour récupérer le canal de Suez, combat qui se poursuit grâce à l’action « de nos services de renseignement »... Cette déclaration n’a été reprise par aucun organe de presse en France.

Dans un étrange article intitulé « Segolene hasn’t yet come » (Ségolène n’est pas encore venue) sur le fait que Ségolène Royal ne s’est pas encore rendue aux invitations du CRIF ni en Israël (ceci est écrit à la veille de l’annonce du voyage de Ségolène en Israël et en Palestine !) , le correspondant en France du quotidien Haaretz (28 novembre) fait parler Christian Estrosi, ministre délégué à l’Aménagement du territoire. Celui-ci aurait déclaré Sarkozy est « le candidat naturel des électeurs juifs ». Surpris par cette intervention, j’ai interrogé le porte-parole du ministre. Selon lui, Estrosi aurait déclaré : « Il semble que la grande majorité des juifs voteront pour le candidat de droite. Sarkozy est leur candidat naturel. ». Il n’y a pas de grande différence entre les deux phrases et elles appellent quand même un commentaire. Que veut dire « candidat naturel » et qui sont « les électeurs juifs » ? y-a-t-il un candidat naturel des électeurs musulmans ? ou des électeurs corses ? y-a-t-il « un vote » juif, musulman, ou breton ?

Au cours de son voyage aux Etats-Unis, en septembre 2006, durant lequel il a rencontré le président Bush et les organisations juives américaines, Sarkozy a déclaré : « Je veux dire combien je me sens proche d’Israël. Israël est la victime. Il doit tout faire pour éviter de passer pour l’agresseur. » Il a cependant ajouté qu’en tant qu’ami d’Israël il se devait d’appeler les Israéliens à la retenue. « Nous sommes à vos côtés, mais ayez la réaction appropriée, pas la réaction disproportionnée », a-t-il dit (Le Monde, 14 septembre 2006). Et le journaliste du Monde de préciser : « Sur Israël, il a tenu le langage que tout présidentiable américain pourrait adopter. »

Voici un compte-rendu plus détaillé du voyage donné par l’agence de presse Fil-info-France

« Nicolas Sarkozy, Ministre d’Etat, ministre de l’Intérieur et de l’aménagement du territoire et président du parti de droite au pouvoir, Union pour un Mouvement Populaire (UMP), a rencontré à New-York, Etats-Unis, les principaux représentants des organisations juives américaines dont Israël Singer président du Congrès juif mondial, WJC, qu’il avait décoré de la Légion d’honneur le 3 mai 2004 à Paris. Nicolas Sarkozy était accompagné des principaux responsables de l’UMP, dont le député "atlantiste" UMP et ancien conseiller diplomatique de Jacques Chirac, Pierre Lellouche, président de l’Assemblée parlementaire de l’OTAN, vice-président du groupe d’amitié France Israël à l’Assemblée nationale. Israël Singer a souligné que "les déclarations de Nicolas Sarkozy sur l’antisémitisme, la lutte contre l’islamisme et les positions en faveur d’Israël qu’il a rappelées au Président George W Bush, le terrorisme palestinien et du Hezbollah, ou sur l’Iran, sont telles qu’elles pourraient avoir été faites par un leader d’une d’organisation juive." Israël Singer a également déclaré avoir reçu Nicolas Sarkozy en leader politique et candidat aux élections présidentielles françaises de 2007. (Source WJC, traduction du 13 septembre 2006). A propos d’Israël, The New York Times rapporte que lors de la rencontre à Washington avec le Président américain George W bush, Nicolas Sarkozy a déclaré qu’en ce qui concerne la seconde guerre du Liban : "Je veux dire combien je me sens proche d’Israël. Israël est la victime. Israël doit tout faire pour éviter de passer pour l’agresseur." Cette rencontre a eu lieu mardi 12 septembre 2006 en présence de Cécilia Sarkozy et de Pierre Lellouche, député UMP, dans le bureau du conseiller à la sécurité nationale, Stephen Hadley . »

Dans un entretien accordé la revue Le Meilleur des mondes (automne 2006) et à ses rédacteurs Pascal Bruckner, André Glucksmann, Michaël Prazan et Yasmina Reza. Question posée par Bruckner : « Il y a de beaux discours sur Israël ! D’un côté il y a les palinodies sur la juste paix et l’établissement d’un Etat palestinien, mais de l’autre il y a une tradition au Quai d’Orsay qui consiste à diaboliser Israël et à toujours remettre en cause sa légitimité en tant qu’Etat. »

Le ministre répond ainsi : « Je ne partage pas cette perception. Israël est une démocratie et un pays francophone. (...) Par ailleurs, je ne partage pas l’idée qu’il faille tout accepter d’Israël, et cela même si j’ai été le premier à dire que ce que faisait Sharon à Gaza était utile et courageux. Et mon premier voyage en tant que président de l’UMP était en Israël pour rencontrer Sharon. Historiquement, ce sont toujours les faucons qui ont fait les colombes en Israël. Sharon, l’homme de toutes les guerres, pouvait amener Israël à la paix. Aujourd’hui, le Premier ministre (Olmert) souffre de ne pas avoir cette légitimité. Voilà pourquoi il fallait soutenir Sharon, contrairement à ce que pensaient d’autres à l’époque. »

Dans son entretien déjà évoqué à la revue Le Meilleur des mondes (n° 2, automne 2006), Nicolas Sarkozy explique : « Pour revenir à la Turquie, la liberté de circulation des personnes et des biens avec l’Anatolie centrale, c’est une grande difficulté. Parce que l’on a quand même un problème d’intégration des musulmans qui pose la question de l’islam en Europe. Dire que ce n’est pas un problème, c’est se masquer la réalité. Si vous faites rentrer cent millions de Turcs musulmans, qu’est-ce qu’il en sera ? Et enfin, dernier point : la Turquie c’est l’Asie Mineure et nous sommes en train de parler de l’Europe. » Et, poursuit-il, si on fait entrer la Turquie, on fera du problème kurde un problème européen. « Il vous restera à faire du Hamas et du Hezbollah des problèmes européens. »

En février 2006, l’American Jewish Committee a organisé un voyage d’une vingtaine de députés français en Israël, dirigés par M. François Fillon, proche conseiller de Sarkozy. A l’issue d’entretiens avec les participants, l’agence Guysen Israel News notait, le 5 février 2006, que ce qui avait frappé le plus Fillon, c’est qu’« Israël et la France - en tant que démocraties parlementaires - sont dans une même position face à l’islam ».

Entretien donné au Figaro Magazine, à Sylvie Pierre-Brossolette et Michel Schifres, le 1er septembre 2006

Q. - Le Hezbollah est-il un mouvement terroriste ?

« Oui. L’attitude qui consiste à envoyer des roquettes sur le nord d’Israël sans se demander sur qui vont tomber ces roquettes est une opération terroriste. Accepter d’être financé par l’Iran dont on sait ce que disent ses dirigeants revient à se situer dans le camp des terroristes. »

Q.- Vous vous revendiquez toujours comme l’ami d’Israël ?

« Oui. Le droit à la sécurité pour Israël est un droit sur lequel on ne peut pas transiger. Israël est une démocratie. Israël est né dans les conditions que l’on sait. C’est une responsabilité essentielle, pour tous les pays libres, d’assurer sa survie. Est-ce que pour autant je considère que le gouvernement israélien a eu en se défendant, je dis bien en se défendant, la réponse appropriée ? Je n’en suis pas sûr. J’ajoute que si je suis l’ami d’Israël, je suis aussi celui du Liban qui doit devenir un pays véritablement souverain. »

Voici des extraits du discours de politique étrangère prononcé par Nicolas Sarkozy, président de l’UMP, le 12 septembre 2006, au cours de son voyage aux Etats-Unis. Le texte intégral est sur le site de l’Union pour la majorité présidentielle.

« Le régime iranien, par son soutien au Hezbollah, par les propos inacceptables de son président sur l’Holocauste et l’existence d’Israël s’est mis lui-même au ban des nations. La perspective d’un tel régime doté d’armes aussi destructrices que des missiles nucléaires est terrifiante. Elle ouvrirait la voie à une course aux armements meurtrière dans la région car d’autres pays pourraient souhaiter sauter le pas. Elle serait aussi une menace constante pour l’existence d’Israël. L’Histoire nous a montré les conséquences de la complaisance face à l’agression et au fondamentalisme. Nous devons faire preuve de la plus grande fermeté et d’unité pour régler cette question. La diplomatie doit être notre arme principale mais il faut laisser toutes les options ouvertes. » (...)

« Il est donc de notre devoir de tenter de mettre fin ensemble aux conflits qui mettent le feu aux poudres au Moyen Orient. Nous ne pouvons pas accepter de rester impuissants devant la montée des tensions et l’agressivité de certaines forces régionales. Or l’expérience des derniers mois montre que lorsque nous travaillons ensemble, Américains et Français, nous sommes efficaces. Ainsi en a-t-il été avec le vote de la résolution 1559 du conseil de sécurité de l’ONU sur le Liban, qu’ensemble, Américains et Français, nous avons inspirée. C’est cette unité et cette détermination qui nous ont permis de soutenir la réaction nationale des Libanais et de provoquer le départ des troupes syriennes. Aujourd’hui, je me réjouis du vote de la résolution 1701 et soutiens sans réserve la décision du président Chirac d’envoyer 2000 soldats au Liban pour servir au sein de la FINUL. On peut juger maladroite et disproportionnée l’intervention israélienne au Liban. La vérité est qu’il n’y a eu qu’un agresseur et c’est le Hezbollah. Israël avait le droit et le devoir de défendre ses citoyens. Le Hezbollah, quant à lui, a décidé de prendre en otage le peuple libanais dans une aventure insensée. »

Lundi 5 février 2007, sur le plateau de TF1, dans l’émission « J’ai une question à vous poser », Nicolas Sarkozy déclare : « Personne n’est obligé, je le répète, d’habiter en France. Mais quand on habite en France, on respecte ses règles, c’est-à-dire qu’on n’est pas polygame, on ne pratique pas l’excision sur ses filles et on n’égorge pas le mouton dans son appartement et on respecte les règles républicaines. » Le public applaudit.

Deux jours plus tard, à Toulon, le même fait l’éloge de l’entreprise coloniale.

Discours du 7 février 2007, à Toulon. « Le rêve européen a besoin du rêve méditerranéen. Il s’est rétréci quand s’est brisé le rêve qui jeta jadis les chevaliers de toute l’Europe sur les routes de l’Orient, le rêve qui attira vers le sud tant d’empereurs du Saint Empire et tant de rois de France, le rêve qui fut le rêve de Bonaparte en Egypte, de Napoléon III en Algérie, de Lyautey au Maroc. Ce rêve qui ne fut pas tant un rêve de conquête qu’un rêve de civilisation.

Cessons de noircir le passé. L’Occident longtemps pécha par arrogance et par ignorance. Beaucoup de crimes et d’injustices furent commis. Mais la plupart de ceux qui partirent vers le Sud n’étaient ni des monstres ni des exploiteurs. Beaucoup mirent leur énergie à construire des routes, des ponts, des écoles, des hôpitaux. Beaucoup s’épuisèrent à cultiver un bout de terre ingrat que nul avant n’eux n’avait cultivé. Beaucoup ne partirent que pour soigner, pour enseigner. On peut désapprouver la colonisation avec les valeurs qui sont les nôtres aujourd’hui. Mais on doit respecter les hommes et les femmes de bonne volonté qui ont pensé de bonne foi œuvrer utilement pour un idéal de civilisation auquel ils croyaient. Il faut respecter ces milliers d’hommes et de femmes qui toute leur vie se sont donné du mal pour gagner par eux-mêmes de quoi élever leurs enfants sans jamais exploiter personne et qui ont tout perdu parce qu’on les a chassés d’une terre où ils avaient acquis par leur travail le droit de vivre en paix, une terre qu’ils aimaient, parmi une population à laquelle les unissait un lien fraternel.

Je veux le dire à tous les adeptes de la repentance qui refont l’histoire et qui jugent les hommes d’hier sans se soucier des conditions dans lesquelles ils vivaient, ni de ce qu’ils éprouvaient.

Je veux leur dire : de quel droit les jugez-vous ? »


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