Nicolas Sarkozy renoue avec les « vieux démons de la droite d’avant 1944 »

vendredi 2 septembre 2016.
 

- A) Entretien avec l’historien Alain Ruscio

- B) Sarkozy en lice pour la primaire dans le couloir le plus à droite

A) Entretien avec l’historien Alain Ruscio

Avec ces dernières propositions identitaires, Nicolas Sarkozy rompt-il avec les fondamentaux de la République française ?

Alain Ruscio : Il y a eu plusieurs républiques en France. Elles n’ont pas toujours rimé avec démocratie. Il y a eu les répressions coloniales, les mises à l’index des minorités, la chasse aux italiens… Mais Sarkozy rompt avec le minimum républicain de la Ve République pour revenir aux vieux démons de la droite d’avant 1944, pour faire revenir à lui un électorat d’extrême droite, pour hystériser la question identitaire et une islamophobie rampante qui est en train de devenir une véritable maladie de la société française.

Selon l’ancien président de la République, l’Etat de droit est évolutif…

Alain Ruscio : Le droit est évolutif, oui. Mais une évolution peut constituer une progression comme une régression, et en l’occurrence il s’agit chez Sarkozy d’une régression. Il y a par exemple cinq millions de musulmans en France et une très importante communauté juive. Si le programme de Sarkozy était appliqué, avec la fin des repas scolaires de substitution, les enfants musulmans et juifs pourraient être amenés à ne plus manger avec leurs camarades et leurs copains de classe. Ils seraient exclus d’un temps scolaire, d’un temps de vie, au nom d’une laïcité fermée et dévoyée. C’est d’une violence inouïe. Tout cela ne vise qu’à agrandir la fracture de la société française, jusqu’à la rendre infranchissable.

Nicolas Sarkozy veut créer une cour de sûreté anti-terroriste comme celle mise en place par de Gaulle pendant la guerre d’Algérie contre l’OAS…

Alain Ruscio : Il s’agissait d’une justice d’exception, présidée par un fidèle du pouvoir en place, par un juge adhoc. La comparaison est très surprenante. D’une part, les enjeux sont différents. D’autre part, que Sarkozy regarde son entourage. Même si Patrick Buisson n’est plus là, il y a parmi ses fidèles des idéologues du retour à l’esprit colonial, de Eric Ciotti à Christian Estrosi. Il y a des nostalgiques, des exaltés de l’Algérie française et de l’OAS.

Lionnel Luca, le maire de Villeneuve-Loubet (PACA), qui a pris un arrêté anti Burkini sur les plages de sa commune, avait été l’un des fers de lance de la loi sur les aspects positifs de la colonisation. Il y a là-dedans tout un magma identitaire nauséabond et empuanti.

Peut-on parler de dérive maurassienne ?

Alain Ruscio : Je ne sais pas si c’est une dérive à la Maurras ou à la Barrès, mais il y a derrière cette attaque contre le droit du sol et contre l’immigration cette vieille rengaine conservatrice selon laquelle la terre ne mentirait pas, comme l’avait repris Pétain. Ce discours défend qu’il y aurait une identité immuable et intemporelle, très fermée, et que ceux qui ne se coulent pas dedans sont en fait des « anti-France ».

Entretien publié par L’Humanité

B) Sarkozy en lice pour la primaire dans le couloir le plus à droite

Le président du parti « Les Républicains » jette le masque et annonce sa candidature pour 2017 dans un livre à paraître mercredi. Dans l’ordre de ses priorités, la remise en question du droit du sol et de l’État de droit, qui va de pair avec l’instauration d’un ultralibéralisme économique.

C’est la fin d’un long suspense qui n’en était plus un. ­Depuis septembre 2014 et son « retour » dans la vie politique qu’il n’avait jamais vraiment quittée après sa défaite face à François Hollande, Nicolas Sarkozy cachait mal sa soif de revanche sur son rival de 2012. Dans un livre à paraître ce mercredi (Tout pour la France, éditions Plon), celui qui est encore président en exercice du parti « Les Républicains » (LR) pour quelques heures lève donc définitivement le voile sur ses ambitions  : « J’ai décidé d’être candidat à l’élection présidentielle de 2017 », écrit-il. Candidat à la primaire de LR et du centre serait plus juste, ce qui porte à treize le nombre de postulants, le nouveau prétendant sortant du bois juste avant la date limite, fixée au 25 août, pour démissionner de la direction de LR s’il souhaite concourir. « Je participerai à la primaire de la droite et du centre (les 20 et 27 novembre - NDLR). J’en respecterai chacune des règles », confirme d’ailleurs Nicolas Sarkozy, qui a annoncé dès hier soir sur son compte Twitter que « ce livre est le point de départ ». De sa reconquête  ?

Il est toujours distancé dans les sondages parAlain Juppé

Comme lors de sa réélection à la tête de son parti, l’ex-président battu en 2012 met en scène son retour, confiant avoir « hésité » et « retourné les données du débat dans tous les sens ». Puis, après avoir « écouté », il a « finalement » décidé, dit-il, « car l’évidence s’était imposée ». Personne ne sera obligé de le croire, mais l’important, pour Nicolas Sarkozy, est d’accréditer l’idée que, s’il a consenti à devenir candidat, c’est parce que personne d’autre que lui n’est plus qualifié pour assumer les plus hautes fonctions. L’homme providentiel, celui qui fait don de sa personne à la France presque malgré lui, en quelque sorte. Voilà pour le “storytelling” sarkozyste, comme disent les communicants, cette façon de scénariser et de romancer un message publicitaire. La vérité est plus triviale  : toujours distancé dans les sondages par Alain Juppé bien que l’écart se resserre (8 points les séparent au premier tour de la primaire, selon un récent sondage Ipsos), deux Français sur trois (66 %) rejettent une candidature de Nicolas Sarkozy, selon l’Ifop pour Atlantico. La prose du futur ancien président de LR ne leur donnera pas tort  : dans son livre, il met en avant cinq « grands défis à affronter », dont l’ordre livre par avance la tonalité de sa campagne à venir, flirtant ouvertement avec la droite extrême.

L’autorité contre «  les minorités  »

En tête de gondole, comme l’annonçaient ses récents entretiens accordés au Monde et à Valeurs actuelles, la bataille pour « l’identité » de la France, dont Sarkozy fait son « premier combat pour défendre notre mode de vie » (sic). Le retour annoncé des thèmes brassés lors du débat sur « l’identité nationale » opposée à « l’immigration » et du discours de Grenoble en 2009-2010, version choc des civilisations dans le contexte terroriste. Dans le viseur  : l’État de droit qui, pour Sarkozy, n’est plus une règle intangible mais serait « évolutif » et pourrait donc être revu, selon les circonstances, et le droit du sol, acquis de la République qu’il entend passer à la moulinette de la « présomption de nationalité » pour les enfants nés ici mais de parents étrangers, sorte de « sas » faisant d’eux des sous-citoyens où seront triés ceux qui méritent la nationalité et les autres. Un régime « inhumain et kafkaïen », sans « aucun précédent dans l’histoire de France ni aucun équivalent en Europe ou dans le reste du monde libre », prévient déjà l’historien Patrick Weil.

Viennent ensuite, dans l’ordre des priorités, la compétitivité pour que la France « redevienne une puissance économique » (l’ultralibéralisme n’est jamais loin de l’autoritarisme chez Nicolas Sarkozy), l’autorité contre « les minorités » accusés de « chantage », et la liberté, économique et entrepreneuriale, principalement.

À ceux qui ne verraient dans le contenu du livre qu’un coup de communication, Nicolas Sarkozy, instruit de l’impopularité de la politique de son successeur à rebours de ses engagements de 2012 et de sa propre défaite, répond par cet avertissement, à prendre très au sérieux  : « C’est seulement en disant tout avant que nous aurons la légitimité pour tout faire après. Rien ne sera possible sans cette exigence de clarté. » À la conquête du plein pouvoir, en somme.

Sébastien Crépel, L’Humanité


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