Spinoza : Le panthéiste ambivalent

lundi 5 septembre 2016.
 

Spinoza ou l’« athée vertueux », de Alain Billecoq. Éditions Le Temps des cerises, 164 pages, 15 euros. À propos du « prince des philosophes », comme le nommait Deleuze, on a presque tout dit et écrit, en mal comme en bien.

Sa réputation sulfureuse s’est construite tout au long des XVIIIe et XIXe siècles autour de son prétendu panthéisme décrié comme une forme sournoise d’athéisme. Être taxé de « spinoziste » revenait alors à s’exposer à un risque de stigmatisation et de rejet. À tel point qu’on oublie un peu trop vite que cette réputation se caractérise avant tout par son ambivalence, donnant lieu à un procès toujours en cours d’instruction, comme le souligne avec force le philosophe Alain Billecoq dans un ouvrage salutaire par sa précision et sa rigueur. Spinoza fait, en effet, à la fois l’objet d’une attitude de suspicion, qui vire même à la répulsion pure et simple pour certaines de ses formules les plus fortes (« Dieu ou la nature » et « la religion, asile de notre ignorance »), et d’une sorte de fascination liée à une existence dont le caractère irréprochable sur le plan moral n’a pas manqué de frapper jusqu’à ses plus farouches contempteurs.

L’expression qui donne son titre à l’ouvrage sous la forme d’un oxymore chargé de rendre compte de cette ambivalence est attribuée au philosophe et écrivain français Pierre Bayle, transfuge chrétien oscillant entre protestantisme et catholicisme, mais appelant surtout à une forme de tolérance religieuse en des temps où l’idée avait encore aussi peu de consistance que la chose. L’accusation d’athéisme ne provient pas seulement des rangs chrétiens, elle est aussi le fait des philosophes eux-mêmes, comme le cartésien Leibniz, et des membres de la communauté juive qui excommunièrent Spinoza. Mais comme c’est souvent le cas, l’accusation résulte d’une simplification, qui n’exclut pas une forme d’aveuglement et de violence faite aux textes de l’auteur posthume de l’Éthique.

L’ambition d’Alain Billecoq, qui remplit parfaitement la feuille de route sur laquelle repose son étude, est de résoudre cette énigme récurrente de l’histoire de la philosophie moderne. Il le fait en reconstituant avec minutie tous les éléments historiques et conceptuels d’un procès trop longtemps mené entièrement à charge de l’intéressé, qui fut condamné avant d’être jugé au tribunal des idées dominantes et des lectures hâtives. Le lecteur est alors invité, avec une grande clarté, à télescoper les débats classiques sur la religion, le questionnement moral d’inspiration kantienne sur la nature de la vertu et une conception inédite de l’être, en les relisant à la lumière de la façon dont Spinoza s’est personnellement conduit tout au long de son existence. Une leçon de philosophie qui, comme toutes celles qui méritent d’être reçues, est aussi une leçon de vie.

Stéphane Floccari, L’Humanité


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