Burkini : éléments du débat

mardi 23 août 2016.
 

- A) Burkini : la polémique qui détourne des vrais problèmes (PG)

- B) « Un vêtement comme les autres »… (Edwy Plenel, Mediapart)

- C) Burkini : et pendant ce temps, y en a qui doivent bien se marrer…

- D) Burkini : pourquoi il ne faut pas laisser faire (Marianne)

- E) Burkini : Valls ajoute de la tension au grotesque (LDH)

A) Burkini : la polémique qui détourne des vrais problèmes (PG)

Source : https://www.lepartidegauche.fr/comm...

Face à l’irruption d’une polémique sur le « burkini » et les arrêtés d’interdiction, le parti de gauche tient à rappeler les points suivants...

Le Burkini est le fruit d’une offensive religieuse salafiste qui ne concerne qu’une partie de l’islam et à ce titre propose une tenue vestimentaire à l’opposé de l’émancipation et des convictions féministes qui nous animent. L’intérêt commercial qu’il suscite compte sans doute également dans l’attrait médiatique. Le nom même qui rappelle la Burka des talibans et le bikini montre la grande confusion entretenue. Déplorer la mode du burkini n’est pas un acte anti-musulman, mais exprime une préoccupation quant à une offensive sociétale d’un courant particulièrement rigoriste et manifestant une conception patriarcale où la femme devrait obligatoirement masquer son corps.

La question politique à résoudre reste celle du combat des femmes à accéder librement à l’espace public. Dans ce cadre, nous déplorons également l’instrumentalisation par certains maires et Manuel Valls. Sans hasard, les dirigeants si prompts à instaurer ces interdits ne sont ils pas les premiers à réduire voir à supprimer les financements aux associations et services publics qui coucourent à l’émancipation des femmes ? L’arrêté du Maire de Cannes mêlant laïcité et état d’urgence est un faux semblant jouant de la xénophobie. Il ne peut viser les seules pratiques d’un courant religieux ; la loi municipale ne peut remplacer la loi de la République. Nous ne pensons pas que c’est par des interdits illégitimes que le combat doit être mené.

L’émancipation est d’abord et avant tout un combat idéologique des peuples, par les peuples.

B) « Un vêtement comme les autres »… (Edwy Plenel, Mediapart)

Source : https://blogs.mediapart.fr/edwy-ple...

Le propre des époques de transition comme la nôtre, de trouble et d’incertitude quand un vieux monde se meurt lentement et qu’un nouveau monde tarde à naître, c’est la perte des repères les plus élémentaires. Et notamment l’oubli des libertés fondamentales…

Ces libertés fondamentales pour lesquelles, depuis 1789 (puis 1830, 1848, 1871, 1898, 1936, 1944, 1968… pour ne prendre que les dates de surgissement des révoltes créatrices), notre peuple s’est battu contre des pouvoirs qui servaient les puissants et les dominants, au service en somme des injustices sociales. Parmi ces principes, qui sont ceux d’une République démocratique et sociale, il y a la liberté individuelle : l’égalité de droits pour toutes et tous, sans distinction d’origine, de condition, d’apparence ou de croyance, de sexe ou de genre, dont la seule limite est de ne pas imposer aux autres sa propre loi, celle d’une idéologie (politique) ou d’un dogme (religieux).

Ainsi sur une plage, chacun d’entre nous peut penser ce qu’il veut des postures choisies par les autres estivants (selon leurs cultures, leurs convictions, leurs religions, etc.), mais aucun d’entre nous n’a le droit d’imposer autoritairement aux autres son choix à la manière d’un uniforme obligatoire. Ainsi, de même que je m’opposerai demain de toutes mes forces à un pouvoir qui obligerait les femmes à couvrir leur corps dans l’espace public, de même je m’oppose aujourd’hui à ce qu’on interdise sur les plages une tenue qui les couvre parce qu’elle serait liée à une religion. Dans les deux cas, nous cédons nos libertés individuelles au profit d’une logique autoritaire et discriminatoire qui, dans le premier cas, vise les femmes en continuant d’en faire une minorité politique opprimée et, dans le second cas, vise les musulmanes en les constituant comme minorité à exclure.

La liberté ne se divise pas, et elle est donc aussi celle de ceux dont nous ne partageons pas les idées ou les préjugés. À condition, évidemment, qu’ils ne cherchent pas, à leur tour, à nous les imposer autoritairement – et ce n’est certes pas le cas de ces femmes musulmanes qui, comme en témoignent nombre de reportages, vont vêtues à la plage en compagnie d’amies aussi dévêtues qu’on peut l’être, affichant ainsi la diversité et la pluralité qui anime les musulmans de France. Faut-il rappeler à nos intolérants d’aujourd’hui qu’en 1905, lors du vote sur la loi de séparation des églises et de l’État, certains républicains conservateurs voulurent faire interdire le port de la soutane dans l’espace public ? Et qu’évidemment, Aristide Briand (qui portait la loi, fermement soutenu par Jean Jaurès) s’y opposa au nom de la liberté, celle d’afficher ses opinions (donc aussi sa croyance), avec le soutien de tous les républicains progressistes (lesquels hélas, comme les autres, oubliaient les femmes qui, alors, n’avaient pas voix au chapitre, ni droit de vote – avec parfois, ce prétexte, qui ne manque pas d’ironie rétrospective, qu’elles seraient sous l’emprise de l’obscurantisme religieux).

Les tenants de l’interdiction du « costume ecclésiastique » (comme d’autres, aujourd’hui, qui veulent interdire tout « costume islamique ») affirmaient qu’il s’agissait d’un habit de soumission et que le devoir de l’Etat républicain était d’émanciper par la loi (donc par la force… de la loi) les prêtres de la soutane. Au passage, machistes affirmés, ils affirmaient que la soutane, qui est une robe, portait atteinte à la « dignité masculine ». Voici ce qu’Aristide Briand leur répondit, en refusant qu’une loi qui entend « instaurer un régime de liberté » veuille imposer aux prêtres « l’obligation de modifier la coupe de leurs vêtements » : « Votre commission, messieurs, a pensé qu’en régime de séparation la question du costume ecclésiastique ne pouvait se poser. Ce costume n’existe plus pour nous avec son caractère officiel (…). La soutane devient, dès le lendemain de la séparation, un vêtement comme les autres, accessible à tous les citoyens, prêtres ou non. »

Autrement dit (et d’ailleurs Briand lancera, provocateur, à cette assemblée masculine qu’il était du droit de chacun, dans un régime de liberté, de se promener s’il le souhaitait « en robe ») si, demain, des hommes (quels qu’ils soient) veulent se rendre en soutane à la plage, et se baigner sous cette apparence, ils en ont le droit… De même, d’ailleurs, que l’on peut rencontrer, en feuilletant Paris Match de cette semaine, un homme nu se promenant sur une plage non naturiste de Biarritz qui, croisant Emmanuel Macron et son épouse, les salue, salut que le ministre lui rend avec le sourire. Mais les mêmes qui s’alarment des tenues de plage couvrantes de musulmanes ne se sont pas émus de cette transgression exactement opposée. Dans les deux cas, nous sommes face à des choix relevant de la liberté individuelle. Si son exercice ne s’accompagne d’aucun prosélytisme (cherchant à contraindre la liberté d’autres individus), accepter qu’une autorité la contraigne, c’est ouvrir la voie à ces morales d’État qui ont toujours accompagné les régimes autoritaires, quels qu’ils soient et quelle que soit leur intensité.

Toutes ces polémiques, qui n’ont pour effet que de tomber dans le piège tendu par Daech (stigmatiser les musulmans par quête de boucs émissaires à nos peurs – voir plus bas), sont profondément ridicules quand on les confronte à un raisonnement logique. Va-t-on interdire, demain, au nom du refus de toute visibilité des convictions religieuses dans l’espace public, que des religieuses catholiques en coiffe se rendent à la plage ? Ou que des juifs pratiquants s’y promènent avec une kippa sur la tête ? Mais, demain, va-t-on également, au nom de la « neutralité » de l’espace public interdire des T-shirts affirmant des opinions supposées subversives ou des tenues juvéniles supposées dissidentes ? Faire la chasse aux cheveux longs, aux piercings, aux tatouages, etc. ?

Quand une liberté commence à tomber, sous un prétexte idéologique qui, en l’espèce, est sécuritaire, il est non seulement difficile de la reconquérir mais, surtout, elle en vient à être perdue pour tous, et pas seulement pour ceux que sa restriction semble viser. Demain, selon les aléas de notre vie politique, des municipalités, des gouvernements, des entreprises prendront prétexte de la restriction idéologique d’une liberté visant les corps et les apparences pour s’en prendre à d’autres attitudes jugées non conformes à leurs préjugés, à leurs dogmes, à leurs intérêts. Défendre nos libertés individuelles (parmi lesquelles celles de nos corps, de leurs vêtures ou de leurs nudités), c’est défendre la liberté de se battre pour nos droits, et de ne pas être soumis à la servitude des pouvoirs (qu’ils soient étatiques, économiques, idéologiques, religieux, sexuels, etc.).

La deuxième déclaration des droits de l’homme, la plus aboutie mais la plus éphémère, celle de l’An I de la République (1793) énonce ceci en son article 6 : « La liberté est le pouvoir qui appartient à l’homme de faire tout ce qui ne nuit pas aux droits d’autrui ; elle a pour principe la nature ; pour règle la justice ; pour sauvegarde la loi ; sa limite morale est dans cette maxime : Ne fais pas à autrui ce que tu ne veux pas qu’il te soit fait ».

PS : j’ajoute à ce billet ce que j’ai récemment posté sur les réseaux sociaux, simple appel à la raison quand tant d’autres sujets (démocratiques, sociaux, écologiques, géopolitiques, scientifiques, etc.) devraient mobiliser nos énergies comme en témoignent les priorités éditoriales de Mediapart tout cet été :

À l’été 2014 (il y a deux ans donc, avant les attentats de 2015 et 2016), j’ai écrit ce qui suit, dans Pour les musulmans (Éditions La Découverte, lire ici). Est-il besoin de souligner que cette mise en garde est toujours d’actualité, plus que jamais ? Et qu’il est de notre devoir de soutenir toutes celles et tous ceux qui sont stigmatisés non pas pour ce qu’ils auraient fait mais pour ce qu’ils sont, en raison de leur croyance ou de leur apparence ? Voici donc l’extrait : « Sous toutes les latitudes, le sort fait aux minorités dit l’état moral d’une société. (…) Au-delà de mon pays, j’écris contre cette guerre des mondes dans laquelle on veut entraîner les peuples en fabriquant des haines identitaires dont la religion est l’alibi. Mais je suis en France, j’y vis, j’y travaille, et c’est ici même que, pour nous, se joue ce sursaut des consciences. Jamais les crimes commis par de prétendus musulmans ayant eux-mêmes sombré dans ces guerres sans fin ne justifieront qu’en retour, nous persécutions les musulmans de France. Jamais des dérives individuelles ou des conflits lointains n’autoriseront que, dans notre pays, on en vienne à assimiler en bloc des hommes, des femmes et des enfants à un péril qui menacerait l’intégrité, voire la pureté de notre communauté nationale, au prétexte de leur foi, de leur croyance, de leur religion, de leur origine, de leur culture, de leur appartenance ou de leur apparence. Jamais les désordres du monde ne sauraient excuser l’oubli du monde. De sa complexité, de sa diversité et de sa fragilité ».

C) Burkini : et pendant ce temps, y en a qui doivent bien se marrer…

Source : http://nadiageerts.over-blog.com/20...

L’affaire enflamme les réseaux sociaux, suite à la décision de deux maires français d’interdire le burkini sur leurs plages : ont-ils eu raison ou pas ? Question complexe, à laquelle je ne prétends pas apporter de réponse. Et certainement pas au nom de la laïcité, qui me semble difficilement pouvoir être invoquée ici. Il n’empêche : pendant que nous tortillons du croupion pour savoir si on a bien le droit d’interdire une tenue sous prétexte qu’elle charrie une idéologie peu sympathique, les barbus – y compris ceux dont la barbe pousse à l’intérieur… - doivent bien rigoler.

A gauche – oui, j’ai remarqué que les gentils sont souvent à gauche, c’est comme ça -, nous avons donc les gentils. Les gentils, ils trouvent qu’évidemment, c’est une tenue un peu étrange pour se baigner, ils lui reconnaissent même parfois un caractère profondément sexiste, mais qui ne voient pas encore au nom de quoi l’interdire : après tout, si des femmes choisissent de porter cette horreur, ça les regarde. Et l’interdire nous priverait de toute supériorité morale sur ceux qui, au nom de la pudeur, rêvent d’un monde où toutes les femmes seraient bâchées. Parmi ces gentils, certains, très gentils, soulignent même doctement le caractère après tout éminemment sexiste, symbole d’asservissement aussi, du bikini, qui enjoint mine de rien aux femmes d’être sexy, minces, avenantes, alors que dans un burkini, vous comprenez, elles sont plus égales en somme… Ces très gentils oublient manifestement que personne ne parle de commercialiser un burkini pour hommes, histoire que les bedonnants-grassouillets-adipeux-suants qui, jusqu’ici, n’osaient pas se montrer en maillot et sont donc restés cloîtrés chez eux, obtiennent enfin le droit de se baigner. Parce que si si, il y a un droit de se baigner, et ce sont les méchants (à droite, pour ceux qui ont du mal à suivre) qui en privent les malheureuses musulmanes – oui, c’est un détail bien sûr, mais je précise tout de même que les femmes dont nous parlons sont musulmanes (même si nous ne parlons pas ici de toutes les musulmanes, pas d’amalgame). Retenez bien ça : les méchants, ce ne sont pas les islamistes qui ont décrété que pendant que monsieur exhibait ses pectoraux sur la plage, madame serait tolérée à ses côtés (ou mieux, quelques pas derrière) à condition qu’on ne puisse pas voir un centimètre carré de sa peau. Et que personne ne la regarde, sinon le fusil-harpon est à portée de main, comme on l’a vu en Corse. Non. Les méchants, c’est ceux qui disent non à cette triste mascarade.

A droite, nous avons les méchants. Ceux qui veulent interdire sous les prétextes les plus risibles : la laïcité, la liberté, l’égalité, l’hygiène, la dignité, la culture occidentale, la lutte contre le terrorisme, le risque de troubles à l’ordre public, et j’en oublie sûrement.

Le problème, c’est qu’évidemment aucun de ces arguments ne tient vraiment :

La laïcité ? Que vient-elle faire sur une plage ? Il ne s’agit pas ici de défendre le principe de séparation du religieux et du politique. Il ne s’agit même pas de refuser un accommodement par rapport à un principe général (l’interdiction de se balader le visage masqué), comme ce fut le cas dans le cas de la burqa.

La liberté ? Comment interdire à des femmes majeures de se soumettre librement à un code vestimentaire qui nous semble abscons, certes, sans devenir aussi liberticides que ceux que nous, démocrates, prétendons combattre ?

L’égalité ? Proclamer cette égalité entre les hommes et les femmes ne nous donne pas le droit d’interdire à une femme d’accepter pour elle-même une idéologie inégalitaire. Sinon, il faudrait mettre un flic dans toutes les habitations pour vérifier que monsieur ne se décapsule pas une bière pendant que madame fait la vaisselle avant de donner le bain au petit dernier…

L’hygiène ? La mer est grande, soyons sérieux, on ne parle pas ici d’un bassin de natation. Et de toute manière c’est bien connu : les poissons baisent dedans, alors…

La dignité ? Si du point de vue de ce qui le fonde, le burkini est l’équivalent de la burqa, il faut reconnaître qu’il ne permet pas de confondre la femme avec un parasol : il ne la déshumanise pas. Il rappelle juste à tous que sa porteuse est une femme, donc un être éminemment tentant, à qui il incombe de protéger à tout moment sa vertu, tandis que les mâles profitent insolemment du soleil, de l’eau et du sable.

La culture occidentale ? Terrain glissant, évidemment, car quid alors de notre idéal de brassage culturel, de respect des différences, de vivre ensemble, et tout ce genre de choses ? Si nous ne voulons vivre qu’avec des gens qui partagent nos valeurs, notre manière de vivre, nos codes sociaux, sommes-nous encore vraiment ce que nous prétendons être ?

La lutte contre le terrorisme ? Qui pense sérieusement qu’interdire le burkini sur les plages fera reculer le terrorisme ? Bien sûr, on peut voir dans l’apparition de cette tenue, peu de temps après les attentats qui ont frappé la France – et en particulier celui de Nice – une odieuse provocation. Mais après ?

Le risque de troubles à l’ordre public ? Voilà bien un argument que je n’aime pas. Car en somme, il contient en creux l’idée selon laquelle c’est pour les protéger qu’on interdit aux femmes le port du burkini, car l’islamophobie est telle qu’on risquerait de les agresser… Voilà une bien curieuse manière de protéger l’intégrité physique des gens, et on pourrait aisément, avec un tel raisonnement, interdire demain la mini-jupe ou le bikini, pour peu que le rapport de force s’inverse…

Bref, on n’est pas sortis de l’auberge. Et pendant ce temps-là, j’imagine les barbus se marrer : qu’on interdise, et ils auront tôt fait – ils le font déjà – de nous sortir, outrés, une armada de ces beaux principes démocratiques dont ils se torchent par ailleurs. Qu’on les laisse faire, et je les vois d’ici se rouler par terre de rire, à la seule idée de la manière dont ils nous ont bien eus, avec la seule force de nos beaux principes.

Vous l’aurez compris, j’ignore ce qu’il faut faire. Il y a la stratégie, qui exige des mesures efficaces – c’est-à-dire qui fonctionnent, non pas simplement pour faire disparaître le burkini des plages (ça c’est facile), mais pour faire reculer l’islamisme. Il y a les principes, qui se contredisent, entre le « Pas de liberté pour les ennemis de la liberté » et le « Je ne suis pas d’accord avec ce que vous dites, mais je me battrai pour que vous ayez le droit de le dire », ou entre la défense de l’égalité hommes/femmes et le « Ne me libère pas, je m’en charge » de tant de féministes. Il y a les difficultés de diagnostic, entre la nécessité de traquer la bête immonde où qu’elle soit, quelque forme qu’elle prenne, et la nécessité tout aussi impérieuse de ne pas la voir derrière toute manifestation de bigoterie à la sauce islamique…

Je n’ai pas de recette, mais j’ai une certitude : le burkini est une nouvelle manière de contrôler le corps des femmes, mais aussi de s’emparer de l’espace public pour y instaurer un nouvel état de fait, une nouvelle « normalité » islamiste. Et quoi qu’en disent les gentils, il y a là un grand danger. Car non, on ne parle pas que de chiffons, de pudeur et de convictions religieuses. On parle du droit des femmes à disposer librement de leur corps. On parle de préserver ce que nous et nos prédécesseuses avons durement (et pas totalement) acquis au cours de ce dernier siècle : le droit au plaisir de jouir du soleil, de l’eau et du sable sur sa peau, le droit de le faire à égalité avec les hommes, et non en étant simplement tolérées, à condition de remplir un série de conditions édictées par les hommes. Le droit à être respectées en tant qu’humains, et non réduites au rang de sexe forcément impur, forcément honteux – le tout sous le prétexte fallacieux de « sacralité ».

Je n’ai pas de recette, mais parfois, je l’avoue, je regrette qu’on se casse tant la tête. Bien sûr, c’est ce qui fait notre humanité, notre noblesse oserais-je dire, que de refuser de laisser prévaloir l’arbitraire, le pulsionnel, l’intuitif. Et pourtant tout en moi me dit que nous reculons sous les coups de boutoir de ces fous de Dieu. Que nos filles – et nos fils – n’auront certainement pas autant de liberté que nous en avons eues. Et j’aimerais ne pas devoir me dire que c’est à cause de nous, de nos atermoiements, de nos scrupules, qu’ils vivent moins libres que nous ne l’aurons été.

Et une petite voix en moi me dit qu’interdire les chiens, la cigarette ou la nudité sur les plages n’a jamais suscité autant de foin. C’est bien la nature religieuse du burkini qui pose problème, et ce dans les deux camps : à gauche, on invoquera la tolérance et la liberté de culte (pratiquer son culte sur la plage : on aura tout vu ! mais passons…), et à droite, la lutte contre le retour d’un religieux manifestement à l’offensive.

Reste l’éducation, bien sûr. L’école donc, pour sensibiliser les enfants à l’égalité entre les hommes et les femmes. Pour faire comprendre que le véritable respect de l’autre est inconditionnel, et ne saurait donc passer par l’adoption de codes de conduite imposés comme en étant la condition. Pour apprendre à être à l’aise avec le corps, le sien et celui des autres. Pour lutter contre une religiosité envahissante, exhibitionniste, indécente. Pour développer la citoyenneté.

Mais tout cela prend du temps, hélas…

Et pendant ce temps, les barbus rigolent dans leur barbe.

Nadia Geerts

D) Burkini : pourquoi il ne faut pas laisser faire (Marianne)

Source : http://www.marianne.net/burkini-pou...

Le burkini est en passe de devenir le feuilleton de l’été. Ce que sentent bien l’immense majorité de nos concitoyens dans cette affaire, en dépit des plaisanteries à deux balles et des hésitations d’une partie de leurs représentants, c’est qu’il s’agit là d’une nouvelle bataille et que reculer ne mènera nulle part sauf à se trouver un jour le dos en mur.

Tout a commencé à Marseille lorsqu’un parc aquatique et la municipalité divers gauche des Pennes-Mirabeau (Bouches-du-Rhône) ont décidé de retoquer la demande de réservation faite par des femmes des quartiers nord de Marseille ayant prévu une sortie piscine en burkini. Dans la foulée, le maire de Cannes, suivi par d’autres édiles Les Républicains, signa un arrêté interdisant le port de ce vêtement ostentatoire sur ses plages en raison des « risques de troubles à l’ordre public ». Samedi 13 août, des heurts ont éclaté à Sisco, en Corse, qui n’étaient pas sans rappeler ceux de décembre 2015, opposant des familles musulmanes, dont les femmes se baignaient en burkini (c’est en tout cas ce qui a été rapporté par des témoins dans un premier temps) et des Corses. Au cours de ces affrontements, il y eut plusieurs blessés dont une femme enceinte. Bref, le burkini est en passe de devenir le feuilleton de l’été.

S’agit-il d’un épiphénomène, d’une mode vestimentaire comme une autre, d’une polémique montée de toutes pièces par la droite ultra qui fait ricaner les médias étrangers, et notamment anglo-saxons (vous savez, les mêmes qui prétendaient qu’il existait des armes de destruction massive en Irak) ? Ce qui est sûr, c’est que, voilà, une fois encore, l’artillerie lourde est de sortie pour nous convaincre que notre pays si éprouvé par le terrorisme est une nation hystérique prenant la mouche pour des peccadilles.

EST-IL BESOIN DE CONTINUER QUAND LES COUPS DE CANIF PORTÉS AU BON SENS RÉPUBLICAIN SONT SI NOMBREUX ?

Le problème est qu’on connaît la chanson car, à moins d’être aveugle, comment ne pas voir que le surgissement de cette question du burkini vient s’ajouter à la longue liste des attaques répétées contre l’indifférenciation et à l’affirmation d’une visibilité radicalement différente. Impossible en effet, à moins d’avoir une mémoire de poisson rouge, de ne pas inscrire cette question dans le droit fil des débats posés par le foulard à l’école, la prière dans la rue, le repas dans les cantines, les programmes scolaires, l’apartheid sexuel dans les piscines publiques, le refus qu’une femme puisse être examinée par un médecin homme à l’hôpital public... Est-il vraiment besoin de continuer quand les coups de canif portés au bon sens républicain sont si nombreux ?

De même, il est aisé de prévoir ce qu’il adviendrait si la pratique du burkini s’installait le long des plages. Dans la foulée de la nouvelle antienne contemporaine : « C’est ma religion, donc il faut en respecter les recommandations, les commandements, les interdits, etc. », on verrait très vite surgir une nouvelle demande réclamant de prévoir systématiquement des maîtres-nageuses à côté de leurs collègues masculins et si possible vêtues d’un burkini rouge et jaune, comme c’est le cas en Australie. Un autre « beau » débat en perspective assurément quand on connaît le poids et l’embarras de vêtements mouillés en cas de secours rapide. Passons. Mais ce que sentent bien l’immense majorité de nos concitoyens dans cette affaire, en dépit des plaisanteries à deux balles et des hésitations d’une partie de leurs représentants, c’est qu’il s’agit là d’une nouvelle bataille et que reculer ne mènera nulle part sauf à se trouver un jour le dos en mur.

S’agissant des tissus religieux, aucun argument ne tient la route face à cette mise en garde de Mona Eltahawy, aucun : « Les femmes du monde occidental portant un voile contribuent à asservir les femmes ailleurs dans le monde pour lesquelles le port du voile est une contrainte. » Il faut une forte dose de cynisme ou de bêtise, voire des deux, pour revendiquer de se couvrir toujours plus alors qu’au même moment des images nous proviennent des zones libérées de Daech, où l’on voit des femmes brûler leurs geôles de tissu en étreignant des combattantes kurdes et arabes tête nue.

C’EST BIEN DE CELA QU’IL S’AGIT : UNE SERVITUDE VOLONTAIRE

Certaines musulmanes clament que c’est leur droit, que c’est leur choix ? Grand bien leur fasse. Nous savons depuis plusieurs années déjà combien les fondamentalistes religieux sont habiles à revisiter les idéaux de 1789 et des Lumières pour les retourner à des fins obscurantistes. Parce que nous vivons encore sur la queue de comète des mouvements de libération du corps des années 60 et leurs illusions, nous avons du mal à appréhender ce qui a été décrit, il y a plus de cinq siècles, par La Boétie dans son essai sur la servitude volontaire. Car c’est bien de cela qu’il s’agit : une servitude volontaire. Et peu nous importe de savoir si ce rapprochement que nous faisons va provoquer les criailleries de tous ceux qui considèrent que le burkini est un « vêtement comme un autre ». Si c’était le cas, nous attendons avec un intérêt tout particulier les premiers hommes en burkini sur les plages et, bien sûr, la première « burkini pride » à Sciences-Po.

Le Collectif contre l’islamophobie en France s’indigne et tempête ? La belle affaire ! Le Canard enchaîné vient de souligner, textes à l’appui, combien cet organisme n’est pas autre chose qu’une machine de guerre instruisant en permanence le procès de la laïcité en France. Dans un entretien à la Provence, mercredi 17 août, Manuel Valls a apporté son soutien aux élus à l’origine de ces décisions, « s’ils sont motivés par la volonté d’encourager le vivre-ensemble, sans arrière-pensée politique ». On ne peut dire mieux. Et d’expliquer que les plages, comme tout espace public, doivent être préservées des revendications religieuses. Un peu de sable estival pour faire grincer quelques dents à gauche.

Joseph Macé-Scaron

E) Burkini : Valls ajoute de la tension au grotesque (LDH)

COMME À SON HABITUDE LE PREMIER MINISTRE AJOUTE DE LA TENSION AU GROTESQUE

Au grotesque d’un débat autour d’un vêtement de bain, le Premier ministre, fidèle à lui-même, ajoute aux tensions en faisant de comportements individuels la marque d’un projet politique. Le Premier ministre s’aligne ainsi sur le trait d’union que les maires de Cannes et de Villeneuve-Loubet font entre les actes de terrorisme et le port de ce vêtement. En maniant cette rhétorique, le Premier ministre participe à la stigmatisation d’une catégorie de Français, devenue, en raison de leur foi, a priori des suspects.

Quel que soit le jugement que l’on porte sur le signifiant du port de ce vêtement, rien n’autorise à faire de l’espace public un espace réglementé selon certains codes et à ignorer la liberté de choix de chacun qui doit être respectée. Après le « burkini » quel autre attribut vestimentaire, quelle attitude, seront transformés en objet de réprobation au gré des préjugés de tel ou tel maire ?

Ces manifestations d’autoritarisme n’empêcheront rien mais elles constituent un dévoiement de la laïcité. Et assurément, elles renforcent le sentiment d’exclusion et contribuent à légitimer ceux et celles qui regardent les Français musulmans comme un corps étranger à la nation.

La LDH continuera à engager les procédures nécessaires pour faire annuler des arrêtés provocateurs et appelle tous les acteurs de la vie publique à cesser d’ajouter de la tension au grotesque.

Paris, le 17 août 2016


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