USA : Pourquoi les néoconservateurs soutiennent Clinton

mercredi 17 août 2016.
 

Bill Kristol est carrément découragé après son échec pour chercher une alternative à Donald Trump. Max Boot est indigné par la volonté « stupide » de son parti de faire entrer un taureau arrogant dans le magasin de porcelaine de la politique envers la Chine. Et le phare de la première famille de l’interventionnisme militaire - Robert Kagan – est en train de mobiliser les néoconservateurs derrière la candidate démocrate à la présidence des États-Unis.

Dans le même temps, les Démocrates sont devenus le parti de l’exceptionnalisme américain le plus cru et le plus vociférant. Cette transformation a été annoncée avec un zèle à faire péter les cordes vocales par le général à la retraite et candidat au titre de coach de motivation le plus hystérique, John Allen, à la convention démocrate dans la Ville de l’Amour Fraternel. Au cours de son « discours », quelques timides protestations de « assez de guerres ! » ont été efficacement noyés par les Démocrates scandant « USA-USA-USA ! »

C’est ce même Parti Démocrate qui est souvent critiqué par Kagan & Co. pour sa timidité, sa lâcheté et sa perfidie morale. Ce n’est pas comme si les Démocrates n’avaient jamais lâché de bombes, vendu des armes, et renversé les régimes. Ils l’ont fait. Et ils ont même eu Obama, lauréat du Prix Nobel de la Paix, pour le prouver. Mais à la différence des Républicains avec leur bellicisme enthousiaste, les Démocrates sont censés être le parti qui le fait, mais sans trop d’enthousiasme.

Mais maintenant, ils ont Hillary Clinton. Elle a militarisé le Département d’Etat. Elle aime beaucoup les changements de régime. Et la convention pour sa nomination a non seulement embrassé l’armée, mais a sanctifié les familles titulaires de médailles militaires que l’interventionnisme style neocon a l’habitude de créer. Il a certainement créé la douleur des membres de la famille Khan qui ont perdu leur fils dans la guerre illégale en Irak. Mais les Démocrates ne mentionnent pas ce triste fait depuis qu’ils ont arraché le drapeau des mains des Républicains.

Et ça, c’est vraiment néo-confusionnant.

On dirait que la réalité a changé d’axe et que nous avons atterri dans une version bizarre de l’Amérique. Les Démocrates se comportent comme des Républicains. Pat Buchanan défend « le candidat de la paix » de son parti (Républicain). Et les néoconservateurs fuient un parti qu’ils ont utilisé comme une matraque géopolitique au cours de la majeure partie de ces trois dernières décennies.

À première vue, tout cela est logique. Trump a remporté la nomination du Parti Républicain en grande partie en s’en prenant aux deux choses que les néoconservateurs préfèrent le plus au monde - la famille Bush et la guerre en Irak. Il a également laissé entendre qu’il se comporterait, concernant l’occupation israélienne de la Cisjordanie et de Gaza, avec (doux jésus !) impartialité. Trump a dit qu’il voulait vraiment « conclure l’affaire. » Sans ironie, l’ancien chouchou des néoconservateurs Marco Rubio, a fait remarquer qu’il ne s’agit pas d’une « transaction immobilière » alors qu’en fait il s’agit bien de ça.

Mais Trump, à l’échine toujours souple, est rapidement rentré dans le rang au sujet d’Israël. Il fit volte-face, se présenta à la réunion annuelle de l’AIPAC, et se positionna dans le camp des inconditionnels pro-israéliens. Mais cela n’a pas suffi pour apaiser l’angoisse des faucons républicains sans cesse en position de chasse.

Franchement, rien ne semble suffisant pour ramener les néoconservateurs vers Donald. Mais ce n’est pas faute d’avoir essayé de la part de Trump. Vraiment, il a coché la plupart des cases qui font sourire les néoconservateurs.

Trump veut un « énooorme » appareil militaire... le plus grand et le plus méchant jamais vu ! Tellement gros que personne, même dans un million d’années, ne pourra le défier. Cela ressemble beaucoup à « la paix par la force » de Reagan. Et les néoconservateurs aiment beaucoup Reagan. Et, comme s’il obéissait à un signal, le Foreign Policy Initiative dirigé par Kristol et Kagan vient de publier un appel au clairon à dépenser plus d’argent pour acheter de plus gros joujous pour une armée déjà gargantuesque. Est-ce que cela n’est pas conforme au plan de Donald de dépenser comme un soudard de l’argent pour la défense ?

Peut-être que les néoconservateurs ne veulent pas d’une armée tellement grande que personne n’osera plus bouger. Peut-être qu’ils veulent quelques défis par ci par là, pour pouvoir déployer un peu de destruction créatrice histoire de maintenir le monde en alerte. Mais Trump est à leurs côtés. Il veut « bombarder à mort » Daech. Et il a même dit que l’Amérique n’avait « pas d’autre choix que de bombarder la Libye » et « éliminer » l’Etat islamique.

Allons, les néocons ... qu’est-ce qui vous dérange ?

Et que dire de l’islamophobie de Trump ? Voilà quelque chose qui paraît tout à fait compatible avec les battements de tambours néoconservateurs de ces vingt dernières années. Trump emploie sans cesse les mots magiques - « terrorisme islamique radical ». N’entendez-vous pas ces soupirs d’aise qui s’échappent de l’American Enterprise Institute ? Il veut aussi bannir les musulmans. Ou peut-être « seulement » bannir ceux qui viennent d’un pays où les musulmans ont commis des attentats. Qui sait ? De toute façon, le message est clair :« musulman = pas bien ». Le néoconservateurs Frank Gaffney a même eu un sérieux béguin pour The Donald.

Pour être juste, d’autres néoconservateurs moins « limites » comme Kristol ont rejeté l’idée de bannir les musulmans. Mais, comme le cinéaste Robbie Martin l’a montré dans sa série qui vient d’être tournée sur les néoconservateurs et leur « agenda très chargé », même les plus intellectuellement réputés des néoconservateurs se livrent à des stéréotypes dangereux en assimilant tous les musulmans à des terroristes.

En fait, Martin a présenté un clip effrayant de deux membres de la famille Kagan (Donald, le père de Robert et son frère Fred) affirmant que l’armée américaine devrait nettoyer les territoires occupés à la suite du 11/9 parce que les musulmans radicaux et « les Arabes » sont du pareil au même. Sans oublier qu’ils ne respectent que la force brute. Alors pourquoi ne pas profiter du « Nouveau Pearl Harbor » et leur montrer à tous qui est le patron ?

C’est un peu comme pour les « musulmans dansants » que Trump - et seulement Trump – a vu célébrant les attaques de 11/9 dans le New Jersey. Même s’il ne les a pas vus, ou qu’il les a tout simplement confondus avec un incident isolé à Jérusalem-Est, quelle importance ? Pour lui, c’est tout du pareil au même. Pareil pour les Kagans. Est-ce que cela ne rend pas Trump parfaitement fréquentable au yeux de l’équipe de démolition néoconservateur ?

Et puis il y a l’accord nucléaire avec l’Iran, qui Trump a implacablement critiqué comme étant tellement mauvais qu’il en était carrément suspect. Il a dit qu’il voulait le « renégocier » dès sa prise de fonction. Et il prétend à tort que l’affaire est une voie toute tracée pour un Iran nucléarisé (une erreur qui le met carrément dans le camp des néoconservateurs). En règle générale, il devient livide devant tout ce qui touche à l’Iran. Alors, quel est le problème ? Pourquoi les néoconservateurs refusent-ils de rallier Donald Trump ?

En un mot : la Russie.

C’est présenté comme une romance virile et gênante entre Vladimir Poutine et Trump. Les critiques n’aiment pas la complaisance de Trump envers un « dictateur » qui, comme la femme de Kagan, Victoria Nuland, l’a récemment déclaré à la Commission des relations étrangères du Sénat, se livre à une « agression ». Elle est actuellement secrétaire d’Etat adjoint aux affaires européennes et eurasiennes. C’est elle qui a géré le coup d’Etat de 2014 en Ukraine. Et elle est indignée par l’agression russe en Ukraine. Mais elle n’est pas gênée plus que ça par le rôle de son mari dans l’acte d’agression le plus flagrant et injustifié du siècle - la destruction de l’Irak.

Allez comprendre.

D’un autre coté, Poutine a le culot de déplacer les forces militaires à l’intérieur des frontières de son propre pays. On l’accuse pour le piratage du Parti Démocratique - en dépit d’absence de preuves et des propres actes de piratage de la NSA. Et il est accusé d’ « ingérence » dans les élections américaines - une accusation plutôt ironique étant donné la longue histoire d’ingérences électorales en sous-main des Etats-Unis à travers le monde.

Il n’y a pas de doute que « Vlad le méchant » aime bien Donald. Et Donald aime bien Vlad. Mais le vrai problème n’est pas leur amitié virile. Le vrai problème est la volonté des néoconservateurs à assurer que les États-Unis demeurent les garants de l’ordre géopolitique. Il s’agit de la Pax Americana. Il s’agit de ressusciter le rêve fané d’un nouveau siècle américain.

Et quel est l’obstacle au rêve néoconservateur de « domination globale » ? L’arsenal nucléaire de la Russie.

La Russie est la seule nation avec un arsenal suffisant pour résister au chantage nucléaire subtil du programme de « mise à niveau » de milliers de milliards de dollars des Etats-Unis. Voilà pourquoi la Russie est préoccupée par les systèmes de défense antimissile déployés à ses frontières. Ces systèmes peuvent intercepter des frappes de représailles, ce qui rend possible, du moins en théorie, une première frappe avec de nouveaux missiles de croisière nucléaires.

Les États-Unis utilisent également l’expansion de l’OTAN pour encercler de plus en plus une nation qui était autrefois l’égal géopolitique des Etat-Unis. Voilà pourquoi la critique de Trump du soutien hors normes des Etats-Unis pour l’OTAN a dû être le point de basculement vers la panique à la fois chez les néoconservateurs et les néolibéraux interventionnistes.

La bizarrerie est qu’il semble y avoir une réelle affinité entre Trump et Poutine. Les déclarations de Trump sur l’Ukraine pourraient être facilement ignorées si son directeur de campagne Paul Manafort n’avait pas travaillé en tant que consultant politique auprès de la direction de l’Ukraine à l’époque pré-Nuland. Et les déclarations de Trump sur la Crimée pourraient être oubliées s’il voulait bien publier sa feuille d’impôts pour mettre fin aux spéculations sur ses liens financiers avec le régime de Poutine.

Mais la réaction viscérale contre ses appels répétés pour une coopération - « Au fait, ce ne serait pas génial si nous nous entendions avec la Russie ? » - montre à quel point l’ensemble de l’appareil politique est carrément sur la même longueur d’onde. Ils sont à la manœuvre pour une Guerre Froide version 2.0 et Trump est la seule grande figure prête à contester cette orthodoxie.

Contrairement à Hillary Clinton, évidemment. Ce qui nous ramène à toute cette confusion qui plane sur cette étrange élection. Hillary est dans le camp des néoconservateurs – pas officiellement, mais certainement par ses actes. Elle dit qu’elle « ne se laissera pas faire » devant Bad Vlad. Qu’elle est la cible des pirates russes parce que Poutine préfère son « idiot utile » Donald Trump. Et Donald est, selon un récit émergent, un nouveau Neville Chamberlain qui veut inviter les Russkoffs à prendre le contrôle des états baltes, l’Ukraine, et Dieu sait quoi d’autre.

La plus grande ironie de tout ceci est que Trump s’est catapulté par dessus les candidats préférés des néoconservateurs en démolissant leur projet fétiche - la guerre en Irak. La critique de Trump de cette guerre et le chaos qu’elle a engendré a touché une corde chez ces électeurs que les néoconservateurs tenaient pour acquis et considéraient comme des bouseux peureux et manipulables. Et ils se sont retrouvés touts penauds au moment même où ils se démenaient pour se sortir de cette pagaille sans nom qu’ils appellent « la guerre mondiale contre le terrorisme ».

Ce qu’ils veulent vraiment, et ont toujours voulu, est de faire revivre la plus grande guerre de toutes - la Guerre Froide. Voilà le grand échiquier sur lequel ils aspirent à jouer une fois de plus. La guerre contre le terrorisme n’était qu’un petit shoot, de la méthadone pour impérialistes. Mais désormais, ils ont marqué des points parce qu’il semblerait que le parti supposé être celui de l’intransigeance impérialiste, sous la direction de Hillary Clinton, s’apprête à arracher les rênes des mains du Parti Républicain souillé par Trump.

Article original : http://theantimedia.org/neocons-sup...


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