CICE : 45 milliards d’euros, pour quoi faire  ?

mardi 9 août 2016.
 

"Le taux de marge des entreprises fait un bond, les profits s’accroissent de 16%... sans que la situation de l’emploi ne s’améliore"

L’année 2013, avec la mise en œuvre d’une politique économique qui, sous couvert de compétitivité, est essentiellement axée sur le soutien à la rentabilité des entreprises, aura été le tournant du quinquennat de ­François Hollande. Cette stratégie que l’on peut assimiler à une fusée à trois étages est désormais totalement déployée. L’heure est venue d’en faire un premier bilan.

Le premier étage de la fusée aura été le crédit d’impôt compétitivité emploi, le fameux CICE. Cette mesure s’analyse comme une subvention versée annuellement aux entreprises en fonction de leur masse salariale. Elle atteindra 24 milliards d’euros en 2017. À terme, cette somme devrait être convertie en une réduction pérenne de cotisations sociales. Le second étage est constitué du pacte de responsabilité. Décidé en 2014, après une montée en charge par tranches successives, il devrait représenter environ 20 milliards d’allégements divers de cotisations de ­Sécurité sociale et de baisse d’impôts, notamment la réduction de la contribution sociale de solidarité des sociétés, la C3S. Le troisième étage consiste en une mesure de suramortissement de 40 % des investissements des entreprises dont l’effet fiscal se répartit sur l’ensemble de la vie du bien correspondant.

L’objectif est atteint. Les comptes des entreprises s’améliorent, comme en attestent les chiffres publiés par l’Insee en ce mois de juillet. La valeur ajoutée des entreprises s’accroît de 2,3 % dès 2015. Encore que cette augmentation ait plus à voir avec la baisse du prix du pétrole et des matières premières  ! Le taux de marge des entreprises, quant à lui, fait un bond à 31,4 %. Résultat  : les profits s’accroissent de 16 %. Tout cela sans que la situation de l’emploi ne s’améliore vraiment et sans que la France ne rattrape les pertes de part de marché enregistrées depuis 10 ans.

Une récente note du service des études du Crédit agricole, qui ne dissimule pas ces contradictions, donne la clé pour comprendre une stratégie toujours axée sur « la réduction du coût du travail »  : « Ces mesures permettent d’ores et déjà de redresser les marges et les profits des entreprises en contrôlant mieux l’évolution du coût unitaire du travail. »

Le million d’emplois promis par Pierre Gattaz apparaît bien a posteriori comme un leurre. Un leurre malheureusement prévisible faute de débouchés suffisants pour la production. Pourquoi les entreprises auraient-elles embauché, alors que l’austérité demeurait l’alpha et l’oméga des politiques économiques  ? Le minimum aurait été de conditionner l’aide publique à la création d’emplois de qualité. Mais chacun se souvient combien cette idée simple a été ­combattue, l’exécutif préférant les déclarations d’amour quelque peu naïves envers l’entreprise.

La seconde critique a trait au ciblage des mesures. L’État dépensera en fin de compte 45 milliards par an d’aides, soit 2 points de PIB, pour apporter seulement 9 milliards à l’industrie qui, sans aucun doute, est en difficulté. Nous sommes pourtant à un moment crucial. L’année 2015 a vu la prise de contrôle par des firmes étrangères de Lafarge, Alcatel-Lucent et de l’essentiel d’Alstom. Demain, cela risque d’être le cas pour Areva. Tous des fleurons de l’industrie nationale semblent en difficulté. Des menaces graves pèsent sur nombre de filières. Il y aurait autre chose à faire avec 45 milliards. La situation de l’industrie méritait mieux que cette politique de gribouille.

par Jean-Christophe Le Duigou

Humanité Dimanche, 4 août 2016


Signatures: 0
Répondre à cet article

Forum

Date Nom Message