Stoppons nos frappes en Syrie et renforçons l’ONU

dimanche 7 août 2016.
 

Par Chloé Maurel, docteure en histoire, spécialiste des Nations unies

La tuerie de Nice le 14 juillet 2016, après celle du Bataclan le 13 novembre 2015 et celles de Charlie Hebdo et de l’Hyper Cacher de la porte de Vincennes en janvier 2015, confirme un peu plus, aux yeux de beaucoup de nos compatriotes, que nous sommes engagés dans une guerre. Effectivement, la France est clairement engagée militairement en Syrie et en Irak, et ce, sur un mode crescendo  : depuis les débuts de l’opération « Chammal » en septembre 2014, la France a effectué plus de 4 000 sorties aériennes et a mené plus de 600 frappes, tuant environ 1 100 personnes. Et le président Hollande a affirmé récemment vouloir encore intensifier ces frappes. Plutôt que d’intensifier ces attaques aériennes qui ont fait des dizaines de victimes civiles innocentes, notamment des femmes et des enfants, il faut arrêter ces frappes en Irak et en Syrie  ! Sinon nous serons pris dans une spirale infernale, celle d’une guerre qui frappera de plus en plus de civils qui n’ont rien à voir avec tout cela, en Syrie comme en France. Et cela pourrait bien entraîner un éclatement de la société française, un repli des communautés sur elles-mêmes, une xénophobie croissante, et même l’arrivée du fascisme au pouvoir  ! C’est justement ce que veulent aussi bien les islamistes que l’extrême droite  : scinder la société, exacerber les clivages, les haines  : entre musulmans et non-musulmans, entre Occidentaux et réfugiés…

Ce n’est pas à la France de faire le gendarme du monde, il y a une organisation internationale qui a été créée pour cela voilà plus de soixante-dix ans  : c’est l’ONU  ! Elle a justement été fondée pour éviter que de telles dérives se produisent. L’ONU est souvent taxée d’impuissance et d’inefficacité, et c’est vrai qu’elle est souvent insuffisamment efficace ou court-circuitée par d’autres instances (Otan, G7, OCDE…), mais c’est à nous, les États, c’est à nous, les peuples, de pousser pour rendre à l’ONU le rôle qui lui a été attribué dans la charte des Nations unies de 1945.

L’ONU a créé en 1948 les « casques bleus », qui ont depuis leur création été engagés dans une soixantaine de missions de paix, et ont souvent permis de régler des conflits épineux. Ils ont d’ailleurs obtenu le prix Nobel de la paix en 1988. Au-delà du « maintien de la paix » (peacekeeping), l’ONU est aussi à même de faire de la « consolidation de la paix » (peacebuilding), comme l’a théorisé son secrétaire général Boutros Boutros-Ghali en 1992, c’est-à-dire aider un pays à (re)construire, sur le long terme, un État de droit, démocratique, en organisant des élections, etc. Depuis 2001, l’ONU a développé l’idée de la « responsabilité de protéger », qui affirme que si un État n’est pas en mesure de protéger sa population, il revient à la communauté internationale, donc à l’ONU, de le faire. Ainsi, l’ONU est particulièrement bien placée pour intervenir dans le conflit syrien.

Au lieu de dépenser des sommes colossales dans l’armement et dans ces frappes meurtrières à l’étranger, la France devrait consacrer son argent à financer davantage les services publics comme la santé, l’éducation, la culture, l’aide à l’emploi… Ainsi, cela réduirait la fracture au sein de la société, le sentiment de beaucoup de Français de se sentir exclus, la frustration et l’amertume qui conduit bien des jeunes à se réfugier dans la radicalisation islamiste, et d’autres à adopter des réflexes xénophobes et à écouter les sirènes fascistes.

En outre, il y a une contradiction dans l’attitude de la France  : alors que le président Hollande affirme vouloir lutter contre Daech, il entretient de bonnes relations avec l’Arabie saoudite, pays qui défend le wahhabisme, islamisme puritain et sectaire dont se nourrit Daech. Le président Hollande a ainsi en mars 2016 décoré de la Légion d’honneur le prince héritier d’Arabie saoudite, Mohammed ben Nayef, également ministre de l’Intérieur de son pays, alors que rien ne justifiait cette décoration. De plus, la France a conclu d’importants contrats d’armement avec l’Arabie saoudite. Comme l’affirme l’écrivain algérien Kamel Daoud, l’Arabie saoudite n’est que la face propre et respectable de Daech  : « Daech noir, Daech blanc. Le premier égorge, tue, lapide, (…) et déteste (...) la femme et l’étranger non musulman. Le second est mieux habillé et plus propre, mais il fait la même chose. L’“État islamique” et l’Arabie saoudite. Dans sa lutte contre le terrorisme, l’Occident mène la guerre contre l’un tout en serrant la main de l’autre. » À l’appui de ce jugement, dans une tribune publiée par le Monde le 17 novembre 2015, les historiens Sophie Bessis et Mohamed Harbi ont montré, également, l’existence d’une filiation idéologique entre Daech et l’Arabie saoudite.

Il faut donc que la France et les autres pays occidentaux mettent un terme à leur attitude contradictoire qui fait que nous entretenons de bonnes relations avec l’Arabie saoudite, qui fait le lit du djihadisme, et que nous vendons (indirectement certes, mais quand même) des armes à Daech, et achetons (indirectement certes, mais quand même) du pétrole à Daech. Si tous les pays occidentaux coupent les financements à Daech et cessent de lui vendre des armes, et si l’on confie à l’ONU la mission de rétablir la paix en Syrie et d’y organiser des élections et l’arrivée au pouvoir d’un gouvernement démocratique, on pourra désactiver ce dangereux guêpier.

Tribune publiée par L’Humanité dans sa rubrique Débats et controverses


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