28 juillet 1939 Lucien Sampaix (directeur de L’Humanité) poursuivi et acquitté

samedi 30 juillet 2016.
 

Lucien Sampaix (secrétaire général de L’Humanité) avait dénoncé le 18 juillet des journalistes liés au nazisme comme celui du Figaro payé un million de francs pour des documents concernant la défense nationale. Son procès le 28 juillet éclaire les responsabilités dans le risque d’une victoire des armées fascistes.

« On étouffe  ! On étouffe  ! » Le 18 juillet 1939, Lucien Sampaix, secrétaire général de l’Humanité, dénonce en une du journal la connivence entre des responsables nazis (en particulier l’ambassadeur de l’Allemagne à Paris, Otto Abetz) et des journalistes du Temps et du Figaro. Ils « battent, écrit Sampaix, les records de l’impudence ». Ainsi « l’espion Aubin », « découvert au Temps, où il jouait un rôle important. Ce traître avait livré à Hitler des documents intéressant la défense nationale. Pour son acte infâme, il avait reçu la somme de 3 500 000 francs » (environ 5 300 euros). Quant au journaliste du Figaro accusé des mêmes faits, il aurait touché, lui, un million de francs (1 500 euros).

La réaction gouvernementale ne tarde pas  : le lendemain, Lucien Sampaix est convoqué au Quai des Orfèvres et inculpé « à la requête du ministère public » pour « avoir à Paris, le 18 juillet, enfreint les dispositions de la loi du 26 janvier 1934 (…) en divulguant des renseignements relatifs à des enquêtes ou informations suivies sur une infraction prévue par ladite loi. » Il risque 3 000 francs d’amende et jusqu’à trois ans de prison.

Marcel Cachin et Gabriel Péri, témoins à la barre

Le 28 juillet, accompagné de ses avocats, Mes Paul Vienney, conseil de l’Humanité, et Vincent de Moro-Giafferi, ténor du barreau parisien, Lucien Sampaix se présente devant la 12e chambre correctionnelle de la Seine. « L’ouverture de l’audience était prévue pour 13 heures. Mais, à partir de 10 h 30, des gens s’étaient présentés aux portes du palais de justice, raconte le lendemain l’Humanité qui consacre trois pages au procès. C’étaient des ouvriers, des militants de notre parti et des syndicats, ou plus simplement des amis de l’Humanité ou de Lucien Sampaix. »

À 15   h 45, après un bref interrogatoire d’identité, Lucien Sampaix prend la parole. « C’est avec un sentiment de crainte que je comparais aujourd’hui devant vous. Non pas de crainte d’une condamnation qu’en toute conscience vous ne pourriez m’infliger, l’accusation ne reposant sur rien, mais ce sentiment de crainte me vient surtout de l’ampleur que j’ai pu constater de cette propagande étrangère en France. » « D’une voix ferme, écrit Pierre-Laurent Darnar, rédacteur en chef adjoint de l’Humanité, Lucien Sampaix, loin de se placer sur la défensive, établit un véritable réquisitoire contre les agents directs et indirects de Hitler en France. »

Viennent les témoins. Parmi eux, Marcel Cachin et Gabriel Péri demandent « qu’il soit bien entendu que la campagne de Lucien Sampaix est la campagne collective de l’Humanité ». Suivent Gabriel Cudenet, de la Ligue des droits de l’homme  : « En condamnant Sampaix il n’y aurait plus de régime de la liberté, plus de défense du pays »  ; Lucien Bossoutrot, député radical, président de la commission de l’Aéronautique  : « C’est mon devoir de Français de féliciter (Lucien Sampaix) pour les attaques qu’il a menées contre l’ennemi de l’extérieur et de l’intérieur ». Guérin, journaliste de l’Œuvre, dénonce des poursuites qui « constituent une attaque contre la liberté de la presse ». Hermann du Populaire et secrétaire général du syndicat des journalistes juge, avec Harmel de la Vie ouvrière, que le mot « arbitraire » s’applique pleinement à ce procès. Louis Aragon, pour sa part, souligne combien il « estime profondément Lucien Sampaix, comme homme et comme journaliste ». Dans son réquisitoire, l’accusation ne peut ensuite évoquer qu’une « légère infraction ».

Arrive l’heure de « l’ad-mirable » plaidoirie de Me Moro-Giafferi. « Je remercie monsieur Sampaix de m’avoir choisi pour défenseur alors qu’il sait bien que je ne partage pas ses opinions, déclare-t-il d’entrée. Je le remercie, car ce procès est celui de la liberté d’opinion  ; Sampaix est ici le représentant de l’opinion publique. Il a reçu tant de lettres, tant de félicitations, le dossier, je dirais d’encouragement, est si volumineux, qu’on a hésité à l’amener dans votre prétoire. Et quels étaient ses correspondants  ?… C’était toute la France, messieurs, ses ouvriers, ses républicains, ses syndicalistes, ses universitaires, ses officiers… car aujourd’hui, c’est de la liberté de la presse qu’il s’agit. C’est, plus encore, le droit de l’opinion à être renseigné qui se trouve en jeu  ! » L’impressionnant exposé juridique qui suit met à mal le ministère public. Il permet au maître du barreau d’achever sa brûlante plaidoirie par ces mots   : « Acquittez Sampaix, qui a l’honneur d’incarner aujourd’hui la complète liberté d’opinion. Acquittez-le, car, dans notre pays, parler est utile, savoir est nécessaire  ! »

« Acquittés  ! L’Humanité et Sampaix avaient donc raison »

Après une heure de délibéré, vers 20 h 45, les juges réapparaissent  : Sampaix est relaxé. « N’applaudissez pas, réclame le président de la 12e chambre. Faisant notre devoir, nous n’acceptons pas plus l’éloge que le blâme. » Le lendemain, l’Humanité peut annoncer sur toute la largeur de sa une  : « Acquittés  ! L’Humanité et Sampaix avaient donc raison. »

Moins d’un mois plus tard, le 26 août 1939, Daladier interdit la parution de l’Humanité. Lucien Sampaix participe à sa reparution clandestine, mais il est arrêté en décembre 1939. Il parvient à s’échapper un an plus tard avant d’être repris en mars 1941. Il sera fusillé le 15 décembre 1941 par les nazis.

Jean Rabaté, L’Humanité

Dans l’Humanité du 29 juillet 1939

« Dans une brillante et originale revue de presse, Me de Moro-Giafferi lit des citations de la Lumière, du Matin, de l’OEuvre, du Petit Parisien, de l’Intransigeant, et de Paris-Soir qui, tous, ANTÉRIEUREMENT AU 18 JUILLET, ont relaté ce que Sampaix disait le 18 juillet. En quelques occasions et à la grande joie de l’auditoire, le grand maître fait en aparté quelques subtiles réflexions et il revient bientôt à son sujet : ‘‘Si ce dont j’entretiens mes lecteurs est déjà connu, je ne divulgue rien du tout. Au ministère de la Justice, il y a un service de presse, j’ai bien peur qu’il ne lise pas la presse. Car vraiment on aurait pu poursuivre le premier qui a DIVULGUÉ. (…) Et qu’on nous entende bien. Nous ne citons pas ces journalistes pour les dénoncer. S’ils étaient poursuivis, nous serions à leurs côtés. Mais croyez que la justice ne se grandit pas à ces cris vulgaires’’. »

Par Perre-Laurent Darnar


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