Loi El Khomri... légalité tyrannique

samedi 10 décembre 2016.
 

Une légalité tyrannique

par Sophie Wahnich Historienne, directrice de recherche CNRS,IIAC/EHESS

Il faut à mon sens ne pas considérer que la démocratie relève seulement du comptage des voix, que ce soit dans le pays ou à l’Assemblée. Car la voix minoritaire partout peut être aussi la voix de la vérité. Lorsque la majorité défend des lois iniques, il n’y a plus non plus de démocratie. Un sondage affirme que 54 % des Français sont contre cette loi, mais là encore ce n’est peut-être pas le fond de l’affaire, ce qui ne veut pas dire que c’est négligeable, mais au même moment 80 % des Français disent apprécier leur police et la majorité est encore favorable à l’état d’urgence.

La démocratie ne repose pas prioritairement sur le vote et le comptage, mais sur la pratique délibérative qui produit des arguments qui éclairent l’opinion afin que le pays se dote de lois dignes de ce nom. Robespierre, en 1793, avait explicité ce qu’était une loi véritable dans son projet de déclaration des droits de l’homme et du citoyen. Ainsi affirmait-il à l’article V  : « La loi ne peut défendre que ce qui est nuisible à la société  : elle ne peut ordonner que ce qui lui est utile. » Et à l’article VI  : « Toute loi qui viole les droits imprescriptibles de l’homme est essentiellement injuste et tyrannique  : elle n’est point une loi. »

Chacun doit donc mesurer la qualité de nuisance ou de protection offerte par toute nouvelle loi et argumenter sur cette qualité pour savoir si oui ou non la loi peut porter un tel nom. Chacun peut alors opiner puis voter effectivement en connaissance de cause sur les lois qui doivent faire débat public. Car l’adoption d’une loi doit toujours en démocratie faire débat public, puisque les lois sont supposées être produites par le peuple pour le peuple et qu’il devra ensuite leur obéir. La démocratie suppose en effet de ne respecter que des lois qu’on s’est soi-même données.

Qu’est-ce qu’une loi qui passe en force, sans même évoquer le 49-3  ? Une loi qui n’a pas fait l’objet de délibérations suffisantes pour que chacun sache à quoi il est supposé adhérer, une loi qui loin de protéger opprime et qui ne pourra être aimée. Une loi qui de ce fait fragilisera tous les liens démocratiques qui ne peuvent reposer que sur l’amour commun des mêmes lois. Si la loi au lieu de protéger opprime, elle n’est plus une loi démocratique mais une légalité tyrannique.

Autant dire que toutes les lois qui mettent à découvert les pratiques d’alerte (sûreté des affaires), qui autorisent la pollution de la planète à grande échelle, qui restreignent les droits à la santé, à l’éducation, à la culture, sont toutes des lois iniques et tyranniques. Qu’à ce titre nous ne sommes déjà plus en démocratie mais dans un régime de force effectif où l’évaluation de la pertinence et de la valeur des lois ne se fait plus au regard du bien-être du peuple, mais bien de ceux qui nous dominent.

Or ce qui est ici terrifiant, ce n’est pas seulement le passage en force, mais à nouveau un passage en force après délibération nationale inédite. Nous sommes un peu comme dans la période qui a précédé le référendum en vue d’une constitution pour l’Europe. Au moment où le pays se fait expert des lois qu’on veut lui imposer, le gouvernement fait passer à la trappe le débat parlementaire qui devrait à ce moment-là en être le relais. Mais ça ne le trouble plus car lui sait bien qu’il ne fait pas des lois mais qu’il organise une légalité tyrannique. Quand François Hollande en 2006 prétendait défendre la démocratie, il n’avait que des critiques à faire au 49-3. « Le 49-3 est une brutalité, le 49-3 est un déni de démocratie, le 49-3 est une manière de freiner ou d’empêcher le débat parlementaire… », mais désormais il ne le prétend même plus…


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