Hugo Melchior, militant rennais criminalisé – Le recours aux « interdictions de séjour » contre le mouvement social

dimanche 19 juin 2016.
 

par AUTAIN Clémentine.

Jeune universitaire rennais mobilisé contre la loi travail, Hugo Melchior est « interdit de séjour » dans sa propre ville. Un exemple, parmi beaucoup d’autres, de la répression du mouvement social grâce au prévisible détournement de l’état d’urgence.

Hugo Melchior est un militant du mouvement Ensemble-Front de gauche, ancien membre de Sud-étudiant et de la LCR, actuellement doctorant en histoire et chargé de cours à l’université de Rennes. La France compte de nombreux Hugo Melchior. Un jeune homme engagé, qui aime défendre ses idéaux, manifester pour les valeurs humanistes qui l’animent, agir contre ce qui le révolte. Mais nous vivons une époque si formidable que la lutte contre Daesh se mue aujourd’hui en traque de militants politiques, une chasse aux sorcières aussi violente que silencieuse si l’on s’en tient aux médias dominants. Et Hugo Melchior en constitue un triste symbole.

Mardi 17 mai, trois fonctionnaires de police sont venus chez lui pour lui remettre en mains propres un procès-verbal lui notifiant une interdiction de séjour dans le centre de Rennes, avec un périmètre assez étendu comprenant la gare, la mairie, le vieux Rennes, et ce pour une durée de quinze jours. Hugo n’est pas seulement interdit de circulation le temps des manifestations, mais à toute heure du jour et de la nuit. Cette interdiction découle de la loi du 3 avril 1955 relative à l’état d’urgence.

La traque du mouvement social

Les raisons invoquées sur le procès-verbal d’Hugo Melchior relèvent d’une logique préventive : sa participation aux manifestations serait susceptible d’engendrer des troubles graves à l’ordre public. Les forces de l’ordre se sont appuyées sur des considérants reposant sur sa trajectoire politique. Ce qui est mis en lumière, c’est sa participation à différentes manifestations les années précédentes : en 2013, Hugo a manifesté à la suite de la mort de Clément Méric, le 22 février 2014 contre l’organisation d’un meeting du FN, en novembre 2014 pour dénoncer la mort de Rémi Fraisse...

La police fait référence à sa proximité avec la mouvance « anarcho-autonome », qui est en effet présente à Rennes depuis quinze ans. Cette proximité est énoncée simplement parce qu’il a participé à des manifestations avec eux. Le fait qu’il ait été un militant de la LCR puis d’Ensemble n’est en revanche pas pointé. À aucun moment, le procès-verbal de son interdiction ne mentionne qu’il aurait lancé des pierres sur les policiers, insulté les forces de l’ordre ou pris part à des affrontements.

En réalité, Hugo Melchior joue un rôle très actif dans la mobilisation contre la loi El Khomri. Serait-ce là le danger ? Hugo Poitevin, militant à la Jeunesse communiste et conseiller municipal, vient lui aussi de recevoir une interdiction de séjour. À travers la France, depuis des mois, les récits de cette traque des acteurs du mouvement social circulent sur les réseaux sociaux. Le détournement de la loi de l’état d’urgence est effective. La lutte contre l’Organisation de l’État islamique est sans fard instrumentalisée pour entraver le militantisme.

Politique de dissuasion

Cette mesure administrative, extra-judiciaire, unilatérale de la préfecture et donc du ministère de l’Intérieur, est pour Hugo Melchior une atteinte à ses libertés fondamentales. Elle a des conséquences concrètes sur sa capacité à militer. Ces semaines sans pouvoir circuler librement dans le centre de Rennes parasitent sa vie quotidienne. L’état d’urgence est sensé lutter contre le terrorisme et nous sommes face à des mesures coercitives qui touchent des secteurs totalement étrangers aux réseaux djihadistes. Ce qui est invoqué, c’est le maintien de l’ordre. Comme l’interdiction est purement individuelle, l’enjeu est autre que de prévenir des débordements lors de manifestations. Il s’agit de distiller la peur en faisant un exemple, de focaliser sur un militant très actif pour le faire craquer, pour qu’il renonce à militer parce que cette interdiction est humainement éprouvante.

Ce qui est à l’œuvre, c’est une logique politique. Le ministère de l’Intérieur, et donc le gouvernement sont en cause dans cet usage politique de la loi de 1955. Au même moment en Bretagne, des journalistes ont été matraqués, des collégiens à Saint-Malo ont été blessés.

Dans un contexte où le gouvernement a choisi de rendre durable l’état d’urgence et d’imposer par le 49.3 une loi El Khomri pour laquelle il n’a ni majorité dans le pays, ni majorité parlementaire, dans ce moment où le patron du Medef, Pierre Gattaz, qualifie la CGT de terroriste, tout devient possible… Sauf si nous sommes suffisamment nombreux à exprimer notre refus de telles atteintes aux libertés dans un État de droit.

Clémentine Autain


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