Charles Perrin : «  Rien ne pourra nous protéger d’une crue comme celle de 1910  »

vendredi 10 juin 2016.
 

Hydrologue à l’Irstea (1) et spécialiste de la prévention des inondations, Charles Perrin analyse les crues de ces derniers jours. Même si des leçons peuvent être tirées de ce drame, éviter une inondation majeure comme celle du début du siècle reste, selon lui, hors de portée.

La prévision des crues a-t-elle été à la hauteur  ?

Charles Perrin Plutôt, oui. Il n’y a pas eu de grosses surprises, même si de petits écarts ont pu être constatés ici ou là entre les prévisions et ce qui s’est effectivement passé. Il y a quinze ans, les services de l’État avaient très peu d’outils à leur disposition. Ce n’est plus le cas aujourd’hui  : les réseaux de mesures se sont considérablement développés.

Comment cela fonctionne-t-il  ?

Charles Perrin Ce sont des systèmes complexes qui partent de la prévision météo. Celle-ci anticipe les précipitations qui vont tomber sur tel bassin versant (forêts, prés, surfaces urbanisées). Une fois l’eau dans la rivière, celle-ci va se propager vers l’aval. Nous appliquons des modèles hydrologiques pour le premier phénomène, et hydrauliques pour le second, qui permettent de calculer comment va se propager, par exemple, l’onde de crue du Loing jusqu’à Paris. Ces modèles ont tous leurs petits défauts, le système naturel étant très complexe. Il revient aux prévisionnistes de corriger ces petites erreurs, grâce à leur expérience.

Quelles ont été les petites erreurs  ?

Charles Perrin Le niveau du pic à Paris a semble-t-il été un peu sous-estimé jusqu’au vendredi après-midi (de 5,30 m-5,90 m, il est passé brusquement à 6,30 m-6,50 m – NDLR). Mais il faut dire que prévoir les quantités de précipitations est très délicat. De plus, quand les sols sont gorgés d’eau, cela transforme les petites erreurs en gros écarts. Il faudra tirer les leçons de tout ça.

La ministre de l’Environnement a salué l’efficacité du site Vigicrues. Pourtant, les témoignages ne manquent pas d’habitants qui ont été surpris par la montée des eaux. N’y a-t-il pas eu un déficit de communication  ?

Charles Perrin Il faut regarder la chaîne d’alerte  : le prévisionniste fait ses calculs, transmet ses infos aux préfectures, qui, elles, préviennent les riverains si nécessaire. Pour les crues les plus rapides des petits bassins en amont, il faut aller vite, et cette chaîne peut parfois être prise de court. Sur le site Vigicrues, il y a des données affichées en temps réel, mais pas encore de prévisions. C’est pour bientôt. Cela permettra d’encore mieux informer la population.

Les infos sur Vigicrues sont-elles suffisamment claires pour tout le monde. Ne faudrait-il pas des alertes commune par commune  ?

Charles Perrin La communication de l’info est en effet décisive. Aujourd’hui, ce sont des tronçons de fleuves ou de rivières qui sont colorés en fonction des risques. Alors que les gens recherchent sans doute une info plus locale. Le problème, c’est que les alertes sont déclenchées sur la base de mesures faites à certains endroits des cours d’eau. Mais nous n’avons pas un niveau de détail suffisant pour informer sur d’éventuels débordements quartier par quartier.

L’épisode météo était très inhabituel pour cette période de l’année. S’agit-il d’un avant-goût des dérèglements climatiques à venir  ?

Charles Perrin Les crues sont il est vrai plus fréquentes en janvier ou février, même si la Loire en avait connu une très forte en juin 1856. Impossible de dire si ce genre de phénomène est appelé à se reproduire dans les années à venir. D’une manière générale, plus les crues sont fortes, plus les incertitudes le sont aussi.

Quelles autres leçons tirer de ces crues  ?

Charles Perrin Elles posent la question du statut des barrages-réservoirs, créés justement pour éviter que Paris soit inondée. Le problème, c’est qu’en juin-juillet, ces réservoirs sont quasiment pleins pour alimenter les fleuves pendant les basses eaux. Ils ne peuvent donc pas absorber grand-chose. Mais quand bien même ils auraient été vides, ils ne nous auraient pas protégés d’une crue comme celle de 1910. Celle-ci avait charrié 4 milliards de m3 d’eau, quand les réservoirs ne peuvent stocker, eux, que 850 millions de m3. Cela enlèverait grosso modo 70 cm sur une crue de 8,50 mètres. Ce n’est pas négligeable, c’est pourquoi le projet de la Bassée – qui doit créer des zones de surstockage au confluent de la Seine et de l’Yonne – peut être intéressant. Mais cela ne suffira pas. Techniquement, rien ne pourra nous protéger d’une crue comme celle de 1910.

Entretien réalisé par Alexandre Fache Mardi, 7 Juin, 2016 L’Humanité

(1) Institut national de recherche en sciences et technologies pour l’environnement et l’agriculture.


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