Négociation du TAFTA : les lobbies veulent co-écrire les lois

samedi 21 mai 2016.
 

Entretien avec Lora Verheecke, chargée de recherche pour Corporate Europe Observatory (CEO). L’influence du secteur privé se lie clairement dans le chapitre sur la coopération réglementaire qui chapeaute l’ensemble du Tafta, estime Lora Verheecke, du Corporate Europe Observatory, ONG qui traque les lobbies.

En janvier, votre organisation publiait un rapport montrant comment les négociations du Tafta ont été, dès le départ, sous pression du secteur privé. Cela se lit-il dans les textes mis à jour par Greenpeace  ?

Lora Verheecke Clairement oui, du moins en ce qui concerne le chapitre portant sur la coopération réglementaire. Celui-ci chapeaute l’ensemble du Tafta et se décline dans tous les secteurs. Un de ses articles, intitulé « pétition », permet à une personne « intéressée » de proposer une nouvelle loi, un amendement à une proposition de loi, voire de demander l’annulation d’un projet de loi nationale. En d’autres termes, il offre la possibilité à une entreprise – à une ONG aussi, dans l’absolu, si ce n’est qu’aucune n’aura jamais les moyens de le faire – d’influer directement sur un texte législatif, avant même que les Parlements européens ou américains ne soient sollicités. Ce ne sont pas uniquement les lois actuelles qui sont concernées, mais aussi toutes celles qui se décideront dans le futur, sur les nanotechnologies par exemple, ou les perturbateurs endocriniens… Or, le Business Europe et la Chambre américaine de commerce, deux lobbies très actifs, demandaient à pouvoir coécrire les lois. Le fait est que l’on n’en est pas loin.

À la lecture des textes, on comprend que les États-Unis consultent régulièrement leurs industriels. L’Europe aussi  ?

Lora Verheecke Oui, à cette différence qu’en Europe, cette manière de faire n’est pas publique. Aux États-Unis, le département commerce du gouvernement fait chaque année un rapport sur ce qu’il estime être une barrière au commerce. Ils se font ouvertement la voix des industriels, écrivant noir sur blanc  : « Tel industriel nous a parlé de telle loi qui lui pose problème. » Si l’Union disait les choses ainsi, ses États membres lui reprocheraient d’offrir trop de pouvoir aux lobbies. Les choses se font donc plus discrètement. Via des réunions, des cocktails party, des événements extérieurs… Ce qui semble marcher. L’an dernier, nous sommes parvenus à sortir le chapitre finances du tafta  : deux jours après, la City de Londres s’en réjouissait, notant sur un blog depuis fermé, qu’on aurait pu croire ce chapitre tiré de ses propres brochures.

Pour le coup, les États-Unis sont plus transparents…

Lora Verheecke Seulement dans la mesure où eux disposent d’une loi qui protège le secret des affaires. Certes, ils impliquent leurs parlementaires ou autres acteurs dans ces discussions… sachant qu’aucun ne se risquera à laisser fuiter des informations, même scandaleuses, alors que, derrière, il risque la prison.

CEO a demandé la liste des réunions organisées dans le cadre du Tafta. Qu’en est-il ressorti  ?

Lora Verheecke En fait, nous avons fait une demande d’accès aux documents officiels, en réponse de quoi nous avons reçu une liste des 597 réunions externes de la Direction générale du commerce organisées entre janvier 2012 et février 2014. 88 % de ces réunions impliquaient exclusivement des lobbies d’entreprises. Nous en avons demandé les comptes rendus, mais la commission nous a répondu que cela représentait trop de travail. Nous avons donc ciblé uniquement les échanges généraux entre l’industrie du tabac et la Direction générale du commerce. Nous avons reçu une note d’une quinzaine de pages… dont 90 % des textes étaient barrés de noir. Intérêts économiques supérieurs, nous a-t-on expliqué…

Les lobbies européens sont-ils moins pugnaces que les lobbies états-uniens  ?

Lora Verheecke Ils font cause commune, depuis un moment déjà. Ils ont créé ensemble le Conseil transatlantique des entreprises qui pousse, depuis plus de 20 ans, à la signature d’un tel traité. Le groupe Bayer, par exemple, est un membre actif du lobby des pesticides en Europe aussi bien qu’aux États-Unis. Comme lui, beaucoup de grosses entreprises ont une influence des deux côtés de l’Atlantique.

Entretien publié par L’Humanité


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