Intervention de Jacqueline Fraysse (députée Front de gauche) à l’Assemblée

vendredi 6 mai 2016.
 

Mardi, 3 Mai, 2016

Faute d’avoir entendu la demande de retrait de ce texte formulée par l’immense majorité de nos concitoyens, il vient aujourd’hui en débat devant notre Assemblée.

Inacceptable dès son intitulé : "Nouvelles libertés et nouvelles protections pour les entreprises et les actifs", les trois derniers mots étant manifestement de trop tant ce projet de loi détruit les protections des salariés pour renforcer celles des entreprises.

Une réalité qui n’a pas manqué de sauter aux yeux de nos concitoyens que vous avez tort de sous-estimer.

La levée de bouclier que ce texte suscite depuis plus de deux mois, les mobilisations qui s’intensifient et les formes inédites de contestation qui ont vu le jour, montrent à la fois la lucidité et le refus de ce nouveau recul social dans un domaine essentiel, celui de l’organisation du travail et plus largement du type de société dans laquelle nous voulons vivre.

Quel avenir voulons-nous construire ? Pour qui et pour quoi faire ?

- Pour satisfaire les exigences et gâchis sans limite des sacro saints "marchés financiers", ou pour répondre aux aspirations humaines ?

- Pour poursuivre l’accumulation insolente de richesses par quelques-uns pendant que précarité, chômage et misère progressent pour tous les autres ?

- Pour continuer à sacrifier les ressources naturelles sur l’autel de la concurrence "libre et non faussée", ou pour préserver ce bien commun au bénéfice de chacun ?

Telles sont les questions de fond soulevées, au bout du compte, par votre projet. Elles n’ont pas échappé à nos concitoyens qui, à juste titre, se sentent tous concernés : hommes et femmes, jeunes et moins jeunes, actifs et retraités, précaires et sans emploi... Oui, tous !

Et, face à cette réalité, que fait le gouvernement ?

Au lieu de travailler avec ceux qui en expriment la volonté, il envoie ses policiers pour les matraquer et poursuit autoritairement l’examen de son texte au parlement, comme s’il ne se passait rien !

Voici trois ans, presque jour pour jour, nous achevions ici même l’examen d’un projet de loi dit de « sécurisation de l’emploi » qui n’avait d’autre objet, comme nous le dénoncions alors, et comme la suite l’a démontré, que de sécuriser les licenciements.

"Sécurisation" et "flexibilité" sont devenues des mots d’ordre absolus.

Mais pour qui ? Et pour faire quoi ?

- Avec vos textes précédents tels que la loi Macron qui a notamment généralisé le travail du dimanche et de nuit, vous avez déjà "flexibilisé" celles et ceux qui produisent les richesses. Pour quel résultat ?

- 17 milliards par an ont été accordés aux entreprises dans le cadre du CICE. Pour quel résultat ?

Au début du mandat de François Hollande, il y avait 4 millions 670 000 chômeurs dans notre pays. Aujourd’hui, il y en a 5 millions 750 000, soit un million de plus !

Ne croyez-vous pas que face à ce bilan désastreux, il est grand temps de questionner vos choix politiques et économiques, plutôt que de vous acharner sur le code du travail ?

Ce n’est pas la moindre des responsabilités historiques de votre Gouvernement que de transformer le code du travail en code de la sécurité des employeurs, autrement dit de nier sa raison d’exister qui est de protéger le salarié parce qu’il est en situation de faiblesse, soumis au pouvoir de direction et de dépendance économique.

Pour y parvenir, toutes les stratégies ont été utilisées.

- Le silence sur le bilan de vingt ans de dérégulation et d’attaques contre le code du travail. Où sont passés les emplois que ces réformes devaient engendrer ? les milliards d’argent public engloutis pour « alléger les charges des entreprises » ? et le « dialogue social » qui devait en sortir renforcé ?

- Les mensonges sur le code du travail dont la complexité serait supposée constituer un frein à l’emploi ? Non seulement aucun lien n’a jamais pu être prouvé entre dérégulation et recul du chômage mais c’est tout le contraire que nous constatons aujourd’hui

- Les manipulations avec cette farce dans laquelle Gouvernement et Patronat jouent cyniquement chacun leur rôle.

Le second en faisant mine de s’indigner des quelques concessions faites alors qu’aucune d’entre elles ne remet en cause la philosophie de ce texte.

Le premier en répétant que son projet est forcément équilibré puisque critiqué autant par le MEDEF que par la CGT…

Personne n’est dupe de ce mauvais théâtre comme le montrent les milliers de nos concitoyens qui, en inventant de nouvelles formes de débat et d’expression, rejettent l’idéologie dominante dont ce texte est porteur.

Car l’essentiel de ce qui était exigé par le MEDEF a été conservé.

C’est d’abord la remise en cause de la hiérarchie des normes et du principe de faveur pour le salarié, sur lesquels s’est construit notre droit du travail et qui empêchait qu’un accord soit adopté s’il était moins favorable que ce que dit la loi.

En faisant de l’accord d’entreprise la pierre angulaire de la détermination des règles, vous détournez le sens du dialogue social, et livrez le monde du travail à un face à face totalement déséquilibré au regard de la faiblesse des forces syndicales à ce niveau et surtout des moyens de pression dont disposent les employeurs- particulièrement dans cette période de chômage de masse.

Les fameux accords offensifs de l’article 11, dits de « préservation et de développement de l’emploi », et qui de fait remettent en cause le contrat de travail, illustrent ce hold-up opéré sur le sens des mots.

Ces accords permettraient d’imposer aux salariés de travailler plus, tout en gagnant autant, autrement dit, de baisser leur rémunération... par simple accord, sans avoir à justifier d’une quelconque difficulté économique. Et les salariés qui refuseraient cette remise en cause de leur contrat de travail seraient licenciés !

- En dehors de tout contrôle du juge puisque leur licenciement serait fondé sur un motif économique.

- En dehors de toute obligation d’établir un plan de sauvegarde de l’emploi puisqu’ils seraient licenciés selon la procédure individuelle, donc à l’abri de tout contrôle des représentants du personnel et du juge administratif Quelle meilleure démonstration de l’objectif fondamental de ce texte, celui de sécuriser les employeurs en écartant deux gêneurs essentiels que sont le juge et les représentants du personnel ?!

Nous aurons l’occasion de revenir, au cours du débat, sur ces dispositions et bien d’autres, telles que le référendum, qui procèdent de la même inspiration.

Si nous rejetons ce texte il ne s’agit pas pour autant de rester dans le statu quo.

De nombreuses propositions existent, y compris dans la convergence avec certains de nos collègues des groupes socialistes et écologistes. Certaines d’entre elles font d’ailleurs l’objet d’une proposition de loi visant à « protéger et équilibrer le temps de travail ».

De quoi s’agit-il concrètement ?

- De simplifier le code du travail.

Non pas en créant un texte « au rabais » mais en en supprimant les redondances et les lourdeurs. Il faut d’ailleurs noter que, selon de nombreux juristes, votre texte augmentera de près de 30% le volume du code du travail.

- De le moderniser en le purgeant de toutes ses sources de complexité essentiellement issues des multiples dérogations obtenues d’ailleurs par le patronat.

- D’en renforcer certains aspects tels que la sécurité et la santé au travail par exemple quand vous faites le choix de réduire à peau de chagrin les prérogatives de la médecine du travail en supprimant notamment la visite médicale obligatoire préalable à l’embauche pour en faire un simple entretien d’information

- De favoriser la réduction et un meilleur partage du temps de travail quand vous faites, vous, le choix d’allonger la durée de travail même pour les apprentis mineurs !

- De garantir une rémunération convenable des heures supplémentaires quand vous ouvrez la possibilité qu’elles soient moins bien rémunérées avec un plancher à 10% contre 20 % aujourd’hui

- De reconnaître le temps libre comme un droit des salariés à part entière quand vous créez un « droit à la déconnexion » qui n’est ni plus ni moins que du temps de repos qu’il faudrait désormais revendiquer sous une autre appellation !

- De garantir des droits applicables à tous, sur tout le territoire, quelle que soit la taille de l’entreprise, avec des dispositions favorables aux TPE et PME et des obligations renforcées pour les plus grandes entreprises.

- D’adapter notre code aux nouvelles formes d’organisation du travail en assurant la promotion de nouveaux droits, sociaux et démocratiques, déclinables par la négociation collective.

- Enfin, d’encourager la présence syndicale effective dans toutes les entreprises et de protéger ceux qui s’engagent pour la défense des intérêts communs.

Les hommes et les femmes de ce pays- qu’ils soient ou non dans la rue- sont de plus en plus nombreux, et nous nous en félicitons, à dire qu’il faut en finir avec cette spirale infernale qui produit toujours plus de précarité, d’isolement, de désespoir, de pauvreté au seul bénéfice du monde de la finance et du vote d’extrême droite.

Ils sont prêts à participer à l’élaboration d’un droit du travail ambitieux et ouvert sur l’avenir, un code du 21ème siècle.

Allez-vous enfin, Madame la Ministre, accepter de les entendre ?


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