Elu FN et censure culturelle

dimanche 10 avril 2016.
 

Quand un élu FN dérape

Jeudi 31 mars, il s’agissait de voter une subvention pour la commémoration du 150° anniversaire de la naissance d’Erik Satie (1866-1925) lors d’une séance du conseil municipal d’Arcueil, ville où est enterré le compositeur. Le journal Le Parisien rapporte qu’un élu de l’opposition Front National (FN), après avoir traité Satie de divers noms d’oiseau, a déclaré que l’argent public ne devait pas servir à honorer un compositeur alcoolique membre du Parti communiste.

Oui, Satie était alcoolique et il adhère à la Troisième Internationale dès 1919, quittant la SFIO peu avant le congrès de Tours. Pour autant faut-il l’interdire ? Jusqu’à preuve du contraire, l’argent public en France permet de jouer et d’honorer tous les compositeurs, indépendamment de leurs opinions politiques, religieuses ou même de leurs mœurs. Cela s’appelle la République !

Si l’on suit les préceptes de cet élu du FN, monsieur Denis Truffaut, la liste devrait bientôt s’allonger : plus de tableaux d’une exposition puisque Moussorgski était un alcoolique notoire ; terminé également pour Glazounov et tant d’autres artistes amateurs de la dive bouteille. Quant aux communistes : exit Charles Koechlin et ses Bandar-log ; fi de Louis Durey, Elsa Barraine, Jean Wiéner, Erwin Schulhoff, Hanns Eisler, Luigi Nono et tant d’autres qui ont cru au bien commun et aux avancées sociales à une époque où l’on pouvait y croire.

Bientôt, suivant cette logique, il ne faudrait plus jouer ou honorer Haendel, Tchaïkovski, Poulenc et quelques autres pour cause d’homosexualité. Mais, concernant les « bonnes mœurs », que dire alors de Brahms ou Ravel qui fréquentaient régulièrement les bordels hambourgeois ou parisiens. Schubert lui-même n’est-il pas mort d’une syphilis contractée auprès de quelque gourgandine ?

Bien sûr, cette réaction émanant d’un élu de la République peut sembler risible tant elle est ridicule. Mais, il serait dangereux de banaliser. Pour l’instant, cet élu siège dans l’opposition, mais… jusqu’à quand ? Cette vieille stratégie de l’extrême droite a déjà fait ses preuves dans le passé. Stefan Zweig, tragique exilé du IIIe Reich, en explique très bien le processus : « Sa technique de l’imposture dénuée de scrupule, se gardait bien de montrer tout le caractère radical de ses visées, avant qu’on eût endurci le monde. Ils appliquaient leurs méthodes avec prudence : on procédait par doses successives, et on ménageait une petite pause après chaque dose. »

Alors, après les communistes, les alcooliques, les homosexuels et les dépravés en tout genre, la « dose » suivante s’adressera peut-être – et la boucle sera bouclée – aux compositeurs, disons… juifs par exemple ? Facile ! Il n’y aurait qu’à reprendre les listes noires jadis établies par le gouvernement de Vichy.

Bruno Giner est compositeur et auteur de « Erik Satie » chez Bleu nuit éditeur, collection Horizons, Paris, 2016.


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