Que sont les militants de gauche devenus  ?

lundi 18 avril 2016.
 

« La gauche peut mourir. » Quand Manuel Valls a prononcé cette phrase, beaucoup y ont décelé un souhait, plus qu’un signal d’alarme. Mais force est de constater que, si la gauche n’est pas morte, elle est bien malade. Sous les coups de boutoir de l’exécutif, dont la loi El Khomri est le dernier avatar, la gauche est groggy. Militants et sympathisants en sont réduits à observer le triste spectacle d’une gauche en recul, non seulement au niveau électoral, mais également idéologique. Alors, comment reconstruire  ? Avec qui  ? Et qu’est-ce qu’être de gauche  ?

Des espoirs de 2012, ils sont pour la plupart passés à la grande désillusion. Celui qui se présentait en « ennemi de la finance » est parti en lune de miel avec le MEDEF, et nombre de militants ne savent plus à quelle gauche se vouer. Les élections municipales, européennes puis régionales ont été catastrophiques. Dix villes de plus de 100 000 habitants et 28 départements perdus, moins de la moitié des super-régions, contre 22 sur 23 auparavant : la saignée est considérable. L’électorat de gauche, dégoûté, s’abstient, et se retrouve parfois réduit, comme en PACA ou dans le Nord- Pas-de-Calais-Picardie, à voter à droite afin d’éviter le pire : une victoire du FN. Et la perspective de la présidentielle de 2017 ne semble pas vraiment leur donner d’espoir : ils assistent au spectacle d’une gauche fracturée, sur fond d’état d’urgence permanent. Ils sont en première ligne et prennent en pleine figure la défiance grandissante envers les partis politiques. Pourtant, sur le terrain, ils sont là, n’ont pas abandonné leur parti. Socialistes, communistes ou écologistes, ils gardent le coeur à gauche – hormis une frange des socialistes contaminés par la politique du gouvernement. L’« HD » est allée à leur rencontre : communistes dieppois (Seine-Maritime), écologistes levalloisiens (Hauts-de-Seine) et socialistes creillois (Oise). Le ps entraîne la gauche dans sa chute

Inévitablement, les conversations s’engagent sur l’analyse de la situation, de la politique gouvernementale et de l’état de la gauche. Et, même chez les socialistes de Creil, il ne se trouve personne pour défendre le gouvernement. Johann, le secrétaire de la section, se dit « en désaccord total » et s’interroge sur la légitimité de Manuel Valls, « qui a fait 5 % à la primaire mais gouverne en notre nom ». Alain, 41 ans, est plus mesuré et, s’il estime que « le gouvernement n’est plus socialiste et s’est droitisé, il ne faut pas oublier qu’on a récupéré le pays dans un état lamentable ». Alain milite au PS « depuis qu’il a connu Sarko », glisse-t-il dans un sourire, et pense que, « là, le gouvernement va trop loin dans la favorisation du patronat. Mais (je) suis et reste socialiste, (je) n’ai pas envie de changer de parti, mais il y aurait besoin d’une gauche plurielle ». Le problème est que la fracture est profonde avec le reste de la gauche : à Dieppe ou à Levallois, les mots sont à la hauteur de la colère. Gilles est dégoûté par ce PS « qui a détruit le mot même de gauche ! ». Car, sur le terrain, les citoyens assimilent la gauche au PS, qui entraîne dans sa chute l’ensemble de la gauche. Il s’agit donc, pour beaucoup, de repenser le terme, ou de revenir aux racines de leur engagement. Pour Liliane, militante PCF dieppoise, « être de gauche, être communiste, c’est avancer. Défendre ce qu’on a gagné, OK, mais c’est aussi avoir un programme ». C’est aussi l’objectif de Philippe, militant PCF et CGT, quand il prend la parole : « Pour moi, être à gauche, déjà ça peut être différent d’un autre militant. Il ne s’agit pas de s’embrasser sur la bouche… mais on n’a pas les moyens de tout faire tout seul ! Je suis un pragmatique : quand on voit les scores, on a besoin de l’union. Sinon, c’est comme si on se mettait en jachère, comme le PS dans le Nord ou en PACA. »

Ce besoin d’unité est palpable chez la plupart des militants. À Levallois, la secrétaire de section, Dominique, évoque ainsi les militants socialistes : « Beaucoup ont un référent commun, surtout les anciens avec qui on a partagé des bagarres. » Elle-même est passée du PCF à EELV, au milieu des années 1990, et connaît bien les militants de toute la gauche. Pour elle, la difficulté vient de ce que « le libéralisme est entré dans toutes les têtes. Moi, je revendique d’être du XIXe siècle ! » s’exclame-t-elle alors que, la veille, Manuel Valls quali- fiait ainsi les opposants à sa politique de droite. Haci a 24 ans et s’est engagé récemment au PS creillois. Avec son ami Abdoulaye, 29 ans, ils sont très remontés contre le gouvernement. « À chaque fois qu’il y a une nouvelle loi, elle est pire que la précédente », souffle Haci. Abdoulaye, comme la plupart de ces jeunes, est particulièrement choqué par la déchéance de nationalité : « C’est grave, on coupe la France en deux. » On peut se demander les raisons qui ont conduit ces jeunes à adhérer au PS dans cette période. Fouad répond qu’il l’a fait « pour essayer de changer les choses », au sein d’une section qui, il est vrai, reste ancrée véritablement à gauche. Dans les rues de la ville, ils ont même placardé des affiches qui exhortent le premier ministre : « À gauche, Manu ! » peut-on lire, même si cela ressemble fort à un voeu pieux. Ils en sont d’ailleurs bien conscients. C’est peu dire que les militants, quels qu’ils soient, s’interrogent sur les directions de leur parti. Paradoxalement, si la section PS de Creil est réunie, c’est pour accueillir… les nouveaux militants. Depuis un an, elle en compte 24… pour aucun départ.

Très étonnant dans un contexte national de forte défiance – voire de rejet du PS. En réalité, à Creil, on milite local, « sur des vraies valeurs de gauche, précisent Fouad et Abdelkader, 29 ans, tous deux engagés dans une association, Avenir jeunesse de Creil. Les dirigeants du PS ? Ils ne parlent qu’à des électorats, en ne pensant qu’à leur propre personne pour les élections futures ». C’est sans doute paradoxal, mais la dé- fiance envers les partis politiques se ressent… jusque chez les militants. « Déjà, il s’agirait de suivre les vraies valeurs de gauche, estime Abdelkader : aider et rassembler la population. » Chez EELV, la crise du parti est profonde et interroge tout le monde, d’autant que la réunion a lieu quelques jours après ce qui a été vécu comme une trahison pour les militants : l’entrée d’Emmanuelle Cosse au gouvernement. « On est tous sous le choc », souffle Olivier, les yeux dans le vague, très critique : « Les partis de gauche, leur fonctionnement surtout, ressemblent de plus en plus aux partis de droite, avec une attirance pour la monarchie républicaine. » Frédéric, 53 ans, militant EELV depuis 2001, renchérit : « On n’est pas aidé par les directions et les lignes politiques ! » Chez les communistes, c’est un peu différent : il s’agit plutôt de mettre en action, sur le terrain, l’engagement communiste. Céline, par exemple, est originaire de Vitry et se définit, en plaisantant, comme « coco par droit du sang ». La question se pose davantage de savoir comment on peut être majoritaire. Ils en ont l’expérience : à Dieppe, le maire, Sébastien Jumel, est communiste. La question est de la transposer à plus grande échelle... Pour Philippe, « on peut avoir une majorité d’opinions sur des propositions concrètes, de bon sens ». Les services publics, l’hôpital, le rail... Christian, ancien député de la circonscription, pense que « la gauche a besoin de constituer une force dans laquelle les communistes auront toute leur place ».

Reste que 2017 approche et tourne déjà dans les têtes. « Aujourd’hui, le débat électoral ne m’intéresse pas », glisse Gilles, désabusé. Mais, en réalité, personne ne sait ce qui peut se passer. Une chose est sûre, personne ne votera pour François Hollande. Y compris chez les socialistes. Haci est clair : « 2017 ? C’est mort. Moi, je ne voterai pas Hollande, ni au premier ni au second tour. » Abdoulaye acquiesce : « Il faudrait un candidat pour toute la gauche, essayer d’avoir un consensus. » Via des primaires ? La question divise tous les militants. À EELV, Thierry y est favorable, mais pas de gaieté de coeur : « S’il n’y en a pas, c’est Hollande, le candidat, soupire-t-il. Et personne ne votera pour lui, ni au premier ni au second tour. »

Désabusés et inquiets, ces militants réfléchissent tous à la façon de partir en reconquête. Sur le terrain. Au plus près d’une population qui souffre. Johann, à Creil, pense que « la gauche, ses valeurs et ses sympathisants ne se sont pas volatilisés ». Tous en sont convaincus : l’attente est là. « Déjà, faut commencer par changer de président ! » glisse Fouad dans un rire. Hélène, à EELV, parle d’« ancrage local : en dehors des appareils, il se passe plein de choses » ! À Levallois, les militants mènent des batailles contre la politique du maire, le tristement célèbre Patrick Balkany. Et ça marche. Ouvrir les yeux, relever la tête

« On a besoin d’actions près des gens, de parler d’idées, d’écologie, de défendre la bibliothèque et la culture », analyse Frédéric. Pour Dominique, il y a des « luttes communes à mener, écolos ou non, de préservation de l’outil de production aussi ». Même son de cloche à Dieppe, où Céline pense qu’il faut « miser aujourd’hui sur des choses que les gens réaliseront peut-être plus ta rd... même dans di x piges » ! Chez elle, ça a marché : « Je me suis aperçue, en partant de Vitry, que ce n’était pas partout que les fournitures scolaires étaient fournies à la rentrée... J’ai ouvert les yeux. » Ouvrir les yeux, relever la tête : dans une période où la gauche est en danger, et dans un contexte de mondialisation capitaliste, Christian analyse la situation de façon claire : « Analyser les mécanismes globaux, fournir des explications pour proposer autre chose et, à partir de là, bâtir un projet, puis rassembler. » Sur le terrain, de nombreux militants, issus de toute la gauche, y sont prêts. Mais, si la volonté ne manque pas, la période de grand flou ­ notamment la politique de droite d’un gouvernement dit de gauche ­, n’aide pas à la reconquête. En fait, beaucoup semblent attendre un coup de balai en 2017 et une clarification, afin de mieux repartir de l’avant.

Benjamin König, Humanité Dimanche


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