Le pape François et le "fumier du diable" qui a fait du capital une idole

mardi 29 mars 2016.
 

En Bolivie, le pape avait invité les chrétiens à s’engager pour en finir avec une société gangrenée et dominée par l’argent, « le fumier du diable », et qui a fait du capital une idole, une nouvelle religion... Cela vaut aussi pour les dignitaires de l’église !

Le pape François surprend. Le Festival CulturAmérica de Pau lui a consacré une soirée de débat politico-papal. Au final, fumée nuancée, bicolore. Ce pape à la pensée mobile fut lié au régime des militaires argentins, comme l’attestent documents et témoignages. Le cardinal argent-in Bergoglio, archevêque de Buenos Aires, se montra peu belligérant pendant la dictature de Videla, et c’est un euphémisme. Comme la hiérarchie épiscopale, il n’entendait pas les cris des suppliciés. Dès le premier « golpe » de la doctrine de « sécurité nationale », en 1964 au Brésil, l’Eglise rangea, une nouvelle foi, le goupillon du côté du sabre. Bénie soit la dictature si elle nous débarrasse des « subversifs », des hâtés d’en finir avec le capitalisme.

Elu pape, premier pape latino-américain, le cardinal argentin Bergoglio devient le pape François et vire de bord, largue les soupapes, et renoue avec l’Eglise « pauvre pour les pauvres », avec « l’option préférentielle » qui fut celle de la « théologie de la libération » dans les années 1960-1970, mais désormais en plus consensuel : sociologie marxiste et sociologie « libérale » renvoyées dos-à-dos.

La « théologie de la libération », issue du Concile « Vatican II » du pape Jean XXIII, intégra des éléments du marxisme, s’inséra dans la lutte des classes aux côtés des travailleurs, des sans-terre, des chômeurs, des exclus... Loin de jeter l’anathème sur le socialisme, elle s’inscrivit dans cette perspective.

Les classes dominantes se voyaient déjà en enfer... Elles bénirent empressées le nouveau pape, de « guerre froide », Jean Paul II, le Polonais ; il reprit en main l’institution et les brebis égarées, réprima les théologiens, prêtres, évêques, progressistes, avec la bénédiction « urbi et orbi » de la CIA et des gouvernements réacts du « monde libre »... d’exploiter le monde. En Amérique latine, berceau de la théologie de la libération, sa sainteté à la poigne de fer se comporta quasiment en inquisiteur, cassa la « petite Eglise », obligea le père nicaraguayen ministre sandiniste Ernesto Cardenal, à rentrer dans le rang. J.P. II mit l’Eglise au pas et au garde-à-vous pour le compte des puissants et du capitalisme. Mérite vraiment d’être canonisé ! Mais le peuple s’éloigna peu à peu de cette Eglise officielle ; elle perdit environ un tiers de ses fidèles, parmi les plus démunis. Et vice vers çà.

Le pape François s’est livré depuis à une saine et sainte autocritique et a commencé à déployer la panoplie du renouveau afin de reconquérir le terrain perdu. Le 9 juillet 2015, lors du « Rassemblement des Mouvements populaires » à Santa Cruz, en Bolivie, il a invité les chrétiens à s’engager pour en finir avec une société gangrenée et dominée par l’argent, « le fumier du diable », et qui a fait du capital une idole, une nouvelle religion. Il a revendiqué non seulement les « droits sacrés », les « trois T » (Terre, Toit, Travail), mais aussi des « changements de structure » pour « construire une alternative humaine à la globalisation qui exclut », à l’économie qui « tue ».

Un discours ahurissant, vibrant, le plus politique depuis son élection. C’est que la situation devenait critique et préoccupante. Le terrain perdu par l’Eglise est occupé par une multitude d’églises évangéliques et pentecôtistes, qui brassent beaucoup d’argent, liées à la CIA, et qui manipulent, aliènent les consciences. A Montevideo, elles ont acheté tous les grands cinémas et théâtres, les plus pimpants édifices de « l’avenue du 18 juillet », artère principale. Dans un pays laïque. Les célébrations religieuses de ces « sectes » quasi officielles, revêtent un aspect de fête « rocky » et fraternelle, de consolation collective, de contact avec l’autre, de lien social. On se donne la main, on saute, on s’entraide, on saute encore, on chante, on s’enchante... et hop ! Ces « églisectes », facteur de pénétration impérialiste, occupent la place laissée vacante par l’Eglise officielle et par la gauche, qui n’est plus autant sur le terrain comme jadis.

Le pape revient aux fondamentaux par ce qu’il appelle « la théologie des peuples » (branche de l’autre), mais se livre également à une recomposition du rôle de l’Eglise pour occuper le terrain. Il a adopté pour cela une position plus intelligente et plus naturelle que ce que beaucoup d’observateurs attendaient, en reprenant « l’idée de Dieu », en tant que foi, mais aussi antan qu’être ensemble. La recomposition passe par un rééquilibrage géostratégique des forces. Ne vise-t-elle pas, en dernier ressort, à marginaliser la gauche , à lui damer le pion ?

Au Brésil, le principal acteur de la déstabilisation du régime, le député évangélique Eduardo Cunha, président de la Chambre des députés, est à la tête d’un important pouvoir économique.

Cet évangéliste sulfureux a lancé une procédure de destitution contre la présidente Dilma Roussef.

Le « fumier du diable » pue chaque jour davantage.

Jean Ortiz


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