Obama à Cuba. Une victoire, des espoirs et des pièges

jeudi 24 mars 2016.
 

par Jean ORTIZ

Après sa visite historique à Cuba les 21 et 22 mars, le président états-unien se rend en Argentine les 23 et 24 mars. Mais le rétablissement des relations diplomatiques entre La Havane et Washington ne signifie pas que les capitalistes nord-américains ont renoncé à leur main mise sur l’Amérique latine.

Alors que Cuba organise des mutations économiques et sociales malgré un blocus toujours en vigueur, l’objectif des États-Unis reste le même : venir à bout, consumérisme aidant, de la révolution cubaine.

Nous n’allons pas bouder notre plaisir. Les luttes ne sont jamais vaines. La visite du président Obama à Cuba, hier encore « dictature castriste », révolution satanisée, constitue pour le peuple cubain une énorme victoire.Victoire de la dignité, de la résistance. Le président de l’arrogant « empire » est contraint de reconnaître de fait l’échec de la « politique cubaine » des ÉtatsUnis. Mais s’il veut entrer vraiment dans l’histoire, il devra annoncer des actes forts dont la levée du criminel blocus, ce cordon sanitaire qui étouffe l’île depuis 1961. Cet état de siège économique viole le droit international, il a coûté plus de 750 milliards de dollars à l’économie cubaine. Barack Obama devra solennellement le déclarer caduc, et user immédiatement de ses prérogatives pour commencer à le démanteler, sans se retrancher derrière le « refus du Congrès ».

Donner la fausse impression que « tout est réglé », alors que blocus et sanctions demeurent, relèverait de la plus coupable hypocrisie. Le président Obama devra également se déclarer pour la restitution à Cuba du territoire de Guantanano, occupé illégalement depuis 1902 par une base navale nordaméricaine. Toute autre attitude relèverait d’une opération cosmétique au service d’un sombre marché de dupes destiné à l’opinion internationale. Pour entrer dans l’histoire, Barack Obama devra présenter des excuses pour « crime contre l’humanité » : affamer un peuple afin de renverser un régime souverain, mais endeuillé par plus de 5 000 attentats terroristes (3 478 victimes). Les impérialistes n’ont jamais pardonné à la révolution cubaine son existence, à quelques encablures de la Floride.

UN BRAS DE FER HISTORIQUE

Cuba n’est pas une situation virtuelle, ni un petit morceau de l’ex-URSS qui s’obstine à survivre. Il est impossible de comprendre la révolution en contournant le contexte, le bras de fer historique entre La Havane et Washington. La révolution cubaine constitue le prolongement des guerres d’indépendance, du nationalisme révolutionnaire, d’un processus de libération nationale. Peu de pays ont payé aussi cher leur liberté et résisté à 55 années de siège, de déstabilisations multiples, de sabotages, d’attentats, d’étranglement. Barack Obama se trouve au pied du mur.S’agit-il pour les États-Unis de renouveler leur leadership dans les Amériques, comme il l’a déclaré à plusieurs reprises, ou d’un vrai changement de politique ? En juillet 2015, lors du rétablissement des relations diplomatiques avec Cuba, il déclarait : « Des décennies d’isolement ne nous ont pas permis d’atteindre l’objectif permanent : promouvoir l’émergence d’une Cuba démocratique. » Insupportable ingérence ! Cuba ne demande pas aux États-Unis de renoncer au capitalisme. En voulant isoler ce territoire, Washington s’est « isolé de ses voisins de l’hémisphère », a reconnu Barack Obama. Si le fusil change d’épaule, l’objectif final reste le même : en finir avec cette révolution qui résiste contre tempêtes et cyclones.

UNE VRAIE NORMALISATION ?

Qui a donc le plus à gagner ? On parle de « gagnant-gagnant »... Aujourd’hui en crise avérée, la révolution cubaine, engagée dans un processus difficile « d’actualisation du modèle », vit dans un climat de tension sociale le changement le plus important depuis 1959. Il faut remédier à une économie peu productive, à un système trop centralisé, trop étatisé, inefficient, à une crise de valeurs préoccupante, à un égalitarisme paralysant, à un dynamisme et à des contre-pouvoirs émoussés... Raul Castro et son équipe mettent en place une nouvelle donne économique, introduisent des mécanismes d’offre et de demande, stimulent l’initiative individuelle dans le cadre d’une planification souhaitée plus participative, moins bureaucratique. Près de la moitié de la population a accès au dollar... Cela crée des inégalités mal supportées dans une révolution qui les avait bannies. Aux commandes depuis février 2008, Raul Castro oeuvre à une réactivation politique et économique devenue absolument vitale ; elle passe par des réformes structurelles. Pas à pas, Raul Castro jette les bases d’un « socialisme » avec des mécanismes de marché. Cuba a besoin d’investissements étrangers, d’entreprises mixtes (à participation majoritaire cubaine) et qui embauchent aux conditions négociées avec Cuba, d’accéder à des financements à des taux normaux.

Seulement 25 % des Nord-Américains considèrent désormais cet État comme une menace ; la grande majorité souhaite que les familles séparées puissent se retrouver, voyager... Dans ce contexte, contraint de rétablir les relations diplomatiques, le président Obama ira-t-il jusqu’au bout de la normalisation attendue ? Si la politique de Washington a changé, l’objectif final reste le même : liquider la révolution cubaine. Et le marché, le dollar, l’« invasion » de touristes, les vols désormais quotidiens des compagnies aériennes, l’apologie du consumérisme lui paraissent aujourd’hui plus efficaces que les GI et les marines. On connaît la fable du renard libre dans le poulailler libre.

JEAN ORTIZ, HUMANITÉ DIMANCHE)


Signatures: 0

Forum

Date Nom Message