Cour des comptes : Une institution publique aux missions perverties

lundi 14 mars 2016.
 

- Les rapports de la Cour des comptes se suivent et se ressemblent. La plupart des commentateurs y voient la preuve du sérieux de l’institution. On peut plutôt y voir la marque de son aveuglement.

- par Pierre Khalfa Coprésident de la Fondation Copernic

La Cour des comptes est une juridiction financière d’ordre administratif et sa mission est donnée par l’article 15 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen  : « La société a le droit de demander compte à tout agent public de son administration. » C’est là sa charte fondamentale, inscrite au fronton de sa grand-chambre. Certes, depuis lors, ses missions ont été élargies  ; en 2008, une réforme constitutionnelle est venue lui donner une mission nouvelle. Désormais, selon l’article 47-2 de la Constitution, « la Cour assiste le Parlement et le gouvernement dans le contrôle de l’exécution des lois de finances et de l’application des lois de financement de la Sécurité sociale ainsi que l’évaluation des politiques publiques ». Son rôle doit se borner à juger et à certifier les comptes, à contrôler la bonne exécution des lois votées par le Parlement, à évaluer a posteriori les politiques publiques. Elle doit s’en tenir à examiner les politiques menées, à juger si elles ont été conduites selon les règles du droit et si elles ont été efficaces par rapport à leurs objectifs. En aucun cas, la Cour ne peut prescrire des politiques publiques, qui relèvent du seul débat démocratique et de la décision politique.

Or, depuis quelques années, la Cour tend à outrepasser son rôle, évolution qui s’est encore aggravée depuis la nomination de Didier Migaud à sa tête, et les rapports se multiplient qui promeuvent une orientation politique ultralibérale. On y retrouve, rapport après rapport, tous les poncifs concernant les dépenses publiques. Ainsi le niveau des prélèvements obligatoires serait trop élevé, affirmation dépourvue de sens si on n’indique pas les services fournis en contrepartie, très différents suivant les pays, ni que ce niveau reflète simplement le degré de socialisation d’un certain nombre de dépenses qui seraient, sinon, effectuées de façon privée mais n’en resteraient pas moins « obligatoires ». Les recommandations, qui ressemblent comme deux gouttes d’eau aux plans d’ajustement structurel du FMI ou aux mémorandums de la troïka en Grèce, sont à l’avenant  : réduction des dépenses d’intervention de l’État, baisse du nombre de fonctionnaires et de leurs salaires avec le gel du point d’indice et le ralentissement des déroulements de carrière, désindexation des retraites, des allocations chômage et de la plupart des prestations sociales par rapport à l’inflation, augmentation de la durée du travail, etc.

Année après année, c’est une véritable saignée que préconise régulièrement la Cour des comptes, et cela pose une nouvelle fois la question de sa fonction. Si la Cour est dans son rôle lorsqu’elle examine par exemple la sincérité des chiffres avancés par le gouvernement pour construire sa trajectoire budgétaire, elle ne l’est pas quand elle préconise des orientations. Elle l’est encore moins lorsque ces orientations ne font l’objet d’aucune évaluation quant à leurs conséquences, qu’elles soient économiques, avec la logique récessive dont elles sont porteuses, ou sociales. En s’en tenant à une description purement comptable et en s’exonérant généralement d’une véritable analyse macroéconomique, la Cour des comptes est, de fait, devenue un organe faisant, sous le couvert de l’objectivité, l’apologie des politiques néolibérales. Avec des orientations présentées comme une évidence indiscutable, la Cour participe ainsi à la crise démocratique actuelle, dont l’une des racines est l’exclusion du débat public et de la décision citoyenne de tout ce qui relève des politiques économiques et sociales.

Texte publié dans L’Humanité


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