Jean-Luc Mélenchon, stratège politique hors norme

samedi 12 mars 2016.
 

L’entrée aussi tonitruante que précoce de Jean-Luc Mélenchon en campagne pour 2016 a surpris beaucoup de monde et pris de court la quasi totalité des appareils politiques de gauche, qui étaient trop occupés par une hypothétique primaire pour voir le coup venir. Il a imposé son sens du timing proche de la perfection.

La candidature de Jean-Luc Mélenchon a suivi un timing d’une justesse impressionnante, entre la débâcle parlementaire sur le projet de loi de réforme de la constitution et la présentation du remaniement ministériel. Comme d’habitude, l’animal politique a su placer ses pions au mieux. On peut ne pas être d’accord avec cette candidature (c’est mon cas) mais on est obligé de reconnaitre sa pertinence stratégique dans cette situation.

Pris au piège d’une primaire dont il ne voulait pas et qu’il n’avait aucune chance de gagner, il ne pouvait pas laisser les blancs et le premier coup à ses adversaires potentiels de tous bords ni se laisser ralentir par des tractations de longue haleine, et potentiellement vaines, pour son organisation. Il a donc dégainé le premier à gauche, laissant tous les autres dans l’embarras, et en premier lieu le Parti Communiste. Mélenchon a à nouveau bousculé le calendrier des uns et des autres et a fait preuve d’un sens stratégique très affuté.

Tout n’est cependant pas simple. Tout d’abord, à en juger par le feu nourri aussi bien de la part de ses anciens alliés du défunt Front de Gauche qui se retrouvent pris de court que de ses meilleurs ennemis au Parti Socialiste qui pensaient encore pouvoir espérer une candidature unique avec une primaire providentielle, il semble certain qu’aucun cadeau ne lui sera fait. Accusé rapidement de "prendre la gauche en otage" il lui sera néanmoins facile de balayer cet argument par le simple fait que la primaire prenait, elle, carrément le premier tour de la présidentielle en otage (voir ici). Ensuite la route va être longue et hasardeuse entre la course aux 500 signatures et le maintien d’un rythme de croisière sur 14 mois. La faiblesse cruelle et inhabituelle de ses moyens humains et financiers sera un handicap très important, au même titre qu’un lancement de campagne sans le moindre projet politique détaillé sur lequel s’appuyer, même si ce problème est camouflé par la volonté de faire écrire le programme par "le peuple" ... on a vu ce qu’il en a été pour la démocratie participative de Ségolène Royal en 2007 et ses Désirs d’Avenir !

Une autre question va se poser. Le raz-le-bol indéniable de l’électorat envers le personnel politique en place s’appliquera t-il à lui ? le fait qu’il "grenouille" dans la vie politique depuis 40 ans ne sera pas un atout dans ce sens et il risque de cristalliser les reproches liés à ses changements assez fréquents depuis 15 ans : Pour le traité de Maastricht, contre le TCE, avec le Parti Socialiste, puis contre le Parti Socialiste avec le Parti de Gauche puis finalement sans le Parti de Gauche. Beaucoup de revirements qui risquent de décrédibiliser sa position d’homme providentiel et de le classer dans celles de opportunistes. Mais sa qualité d’orateur et sa capacité à manier les mots peuvent lui permettre de surmonter ça.

Les dés sont néanmoins jetés. Le PS sachant qu’il n’a plus de possibilité de se présenter en candidat unique est contraint à naviguer à vue et les autres partis de gauche se retrouvent empêtrés dans une primaire qu’ils ont encouragé mais qui n’a plus aucun intérêt et dont il leur sera difficile de se défaire. Au final, Mélenchon fait le meilleur choix possible en se positionnant très tôt comme le seul recours à gauche. Avec un PS cramé et proche de l’implosion qui n’aura d’autre choix que de soutenir un Hollande aux aboies et les autres partis en manque de personnalités charismatiques, il fait un gros coup initial. Cela restera t-il un bon coup en mai 2017 ? ça peut l’être. Soit la primaire à quand même lieu et le nombre de candidats à gauche sera réduit, soit elle n’a pas lieu et il aura de toute manière une longueur d’avance sur des opposants moins affutés que lui et dispersés. Dans les 2 cas il a l’avantage.

Mais de quoi parle t-on ? d’une place honorable comme en 2012 ? cela changerait quoi ? Pour espérer mieux, et pourquoi pas une place en finale, il en faudra beaucoup plus et surtout une proposition choc qui prendrait tous les autres à contre courant, et notamment Marine Le Pen. Il y a d’ailleurs dans son projet une ébauche de proposition choc sur laquelle il pourrait capitaliser : Il dit vouloir rentrer chez lui une fois que la constituante aura abouti à la mise en place de la VIe république. Cela sous entend qu’il ne compte pas se représenter à l’issu de son mandat. Mais pourquoi ne pas aller plus loin et annoncer clairement que sa candidature a pour objet la seule mise en place de nouvelles institutions, plus à même de porter la France dans l’avenir et donner au peuple les clés de cet avenir et qu’une fois le processus terminé, il s’engage à démissionner ? et que durant le processus, il mettra en place un gouvernement de transition, qui ne prendra pas d’initiatives majeures (hors situation exceptionnelle) et gèrera au mieux le quotidien. Ce serait un signe d’une force incroyable qui pourrait rallier autour de lui de nombreuses personnes et associations et créerait un contraste mortifère avec ses concurrents qui ne pourraient que représenter la recherche du pouvoir personnel. Là, il serait l’homme providentiel qui rassemble au delà des clivages et offre au peuple son avenir. Il en a l’étoffe. L’osera t-il ?


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