Marcelo Rebelo de Sousa, le nouveau président du Portugal : un héritier de la dictature

vendredi 19 février 2016.
 

Marcelo Rebelo de Sousa, le nouveau chef de l’Etat portugais, a fait ses classes sous Salazar et Caetano. Une empreinte encore perceptible aujourd’hui.

Il est par définition un héritier. Fils d’un dirigeant salazariste qui a fait tout son parcours politique sous la dictature (comme membre de l’organisation d’encadrement de la jeunesse, puis comme député, sous-secrétaire d’Etat, gouverneur colonial et ministre), Marcelo Rebelo de Sousa a été « éduqué pour devenir un homme politique ». C’est ce qu’écrit le journaliste Vitor Matos – qui se définit lui-même comme son « biographe agréé » – dans son ouvrage de 2012, que j’utilise ici [intitulé Marcelo Rebelo de Sousa].

Marcelo est un héritier, non seulement au sens strict de premier-né de l’un des personnages les plus marquants de cette élite de fonctionnaires zélés, recrutés par Antonio Oliveira Salazar (1933-1968) et son successeur Marcelo Caetano (1968-1974), mais encore en tant que professeur de droit à l’université de Lisbonne depuis 1990, produit et promoteur d’une université hiérarchisée qui, selon la définition de Pierre Bourdieu, représente « l’instance même de reproduction des privilèges et de la préservation des intérêts des héritiers ».

Marcelo Rebelo de Sousa s’est senti toute sa vie un héritier, au point de rédiger ses Mémoires dès l’âge de 27 ans (1976). Ceux-ci n’étaient d’ailleurs pas tant les siens que ceux des notables dont il était l’héritier. « Il avait connu le salazarisme de l’intérieur, lancé l’hebdomadaire « Espresso », était présent à la fondation du PPD [premier parti de droite formé après la dictature] et il avait vécu la formation de l’Assemblée constituante. Il en avait des choses à raconter… »

Depuis « l’âge de 10 ou 12 ans », son père, Baltasar, l’emmenait déjeuner le samedi au restaurant où Caetano, éloigné du gouvernement en 1958, réunissait ses fidèles partisans pendant sa traversée du désert, qui ne devait prendre fin qu’avec l’AVC de Salazar en 1968 [à la suite duquel Caetano prit le pouvoir jusqu’en 1974]. « Son père s’appliquait à lui faire découvrir les dessous du régime. Marcelo, après avoir entendu les dirigeants du régime discuter pendant des heures, pourrait bien y avoir puisé son talent pour les intrigues en coulisses. » Il décrit cette expérience comme une « école » et, détail révélateur, trouve que « les comportements politiques sont à peu près les mêmes en dictature et en démocratie – amitiés, aversions, trahisons et attirance pour le pouvoir ».

A 20 ans, il est présent à la table de tous les déjeuners officiels du gouvernement général du Mozambique, que son père préside depuis 1968. Lorsque Caetano arrive au pouvoir, il déjeune une fois par semaine avec lui. L’adolescent, qui ne manque ni d’intelligence ni d’intuition quand il s’agit de pouvoir, s’engage à fond dans « cette éducation qui vise à faire de lui un homme politique », à savoir un futur pilier du régime. Certains se souviennent encore de l’avoir entendu dire, au lycée, qu’il serait un jour président du Conseil. Très jeune, il a assumé les discours et les thèmes d’« exaltation nationaliste » du salazarisme des années 1960 : il critique « le manque d’amour de la patrie de ceux qui se sont divertis directement ou indirectement durant ce carnaval de 1962 », quelques semaines après la perte de Goa [reprise militairement par l’Inde cette année-là]. « Bien plus qu’une attitude scélérate, c’était un affront, une véritable trahison. » En 1963, il écrit : « Pauvres nations, négligées par leurs fils… » Il est finalement surprenant qu’il ne se soit pas engagé, quelques années plus tard, dans les guerres coloniales en Afrique [1961-1975]. Il aurait eu le temps : il a obtenu sa licence de droit en 1971 et a été diplômé du cours complémentaire de politique économique en 1972.

Au lycée, il était considéré comme un « nationaliste » (un terme qui, encore récemment, ne lui répugnait pas), alors que beaucoup d’autres s’étaient engagés dans le mouvement étudiant du secondaire, et passaient directement dans l’opposition ouverte à la dictature une fois à l’université. Il n’est peut-être pas très pertinent de parler de choix à l’âge de 15 ans, mais à l’université le choix est déjà conscient. Marcelo y fait celui de la droite salazariste, celle qui voulait « combattre l’idéologie du marxisme ». Lors de la révolte étudiante de 1969, il « participe aux manifestations publiques de soutien à la dictature ». Lors des élections qui se tiennent la même année, moment de prise de conscience politique pour tant de jeunes de sa génération, il a 21 ans et soutient à nouveau le parti unique.

Un informateur

« Personne ne se souvient de déclarations de Marcelo faisant état d’une hostilité à la guerre dans les colonies », assure Vitor Matos. Avec un père ministre des Colonies, cela paraît compréhensible. Mais il est aujourd’hui pour le moins étrange d’entendre Leonor Beleza [députée du PSD, parti de centre droit], fille d’un sous-secrétaire d’Etat de la dictature et camarade d’université de Marcelo, affirmer que « si à l’époque il était commode d’être d’un côté ou de l’autre, il était bien plus risqué de ne participer à aucun groupe et de rester au centre ». Quant à la « commodité » qui amena des étudiants à être arrêtés, torturés et envoyés à la guerre en raison de leur opposition, Leonor Beleza ne semble pas s’en souvenir. En 1970, avec elle et Jorge Braga de Macedo [également membre du PSD], Marcelo infiltre les meneurs de la grève de l’université. Il se rapproche ensuite de Veiga Simao, ministre de l’Education de l’époque, et lui fournit des « informations » sur les « mouvements universitaires ». C’est d’ailleurs grâce à ce dernier qu’il occupera son premier poste au cabinet du ministère de l’Education, dirigé par Adelino de Palma Carlos, autre fils du sous-secrétaire, qui tentera à plusieurs reprises de le faire adhérer à l’Opus Dei.

Proche de Caetano

Il est vrai qu’il fait part publiquement de son scepticisme sur la viabilité de la réforme de l’éducation que Simao veut mettre en place. « La véritable démocratisation de l’enseignement […] me semble impossible dans le cadre d’un régime autoritaire et antidémocratique », écrit-il en 1971, ce qui incite Marcelo Caetano à exiger sa démission. Mais Veiga Simao ne le révoque pas. D’une grande ambiguïté, l’assistant juridique, encore jeune, ne désespère pas d’obtenir le pardon de Caetano. En 1973, dans l’Expresso, il s’excuse pour « la fougue » de ses 24 ans et assure qu’il « a toujours eu la conviction que ses principes ne s’opposaient pas personnellement à Son Excellence [Marcela Caetano] », rendant hommage à « sa présence à la tête du gouvernement », et promettant sans équivoque de « s’éloigner de ce qui pourrait être compris comme une activité politique ostentatoire ». Sa mère, qui espérait bien que son fils aurait le destin d’un héritier, intercède auprès de Caetano. En janvier 1974, le journaliste Artur Portela Filho écrit : « Il était l’enfant prodige du régime. Sur mesure, calibré, façonné. »

Héritier d’une hiérarchie politiquement influente, dont la famille, pour cette seule raison, était automatiquement cooptée au sein de la plus haute bourgeoisie, « Marcelo commence à comprendre la vie des possédants ». Et il l’apprécie, aujourd’hui encore. Même s’il affiche une préoccupation chrétienne envers les plus démunis, « il affirmera tout au long de sa vie : “Etre riche c’est bien, être l’ami des riches, c’est mieux” ». Il semble étrange qu’il ait pu écrire, en 1999, dans la Photobiographie de son père, que « dans les années 1950, les gouvernants doivent s’abstenir de mener une vie de riches, même s’ils le sont. Ils le peuvent entre eux, avec leurs familles, mais ils doivent éviter les contacts avec ce monde pervers, qui les détournera de l’intérêt général ». Curieux, car ce n’était pas vrai.

Une girouette

Après le 25 avril, nous savons bien pourquoi ses propres coreligionnaires le décrivent comme une girouette et évoquent son « habileté naturelle à faire illusion » (Expresso), pour avoir soutenu, puis trahi, parfois rejoint après une réconciliation, des dizaines de personnes, pour des faits politiques imaginaires. Paulo Portas, figure de la droite portugaise, le traite même de « vieux Raspoutine », qui pourrait être son alter ego. « C’est le fils de Dieu et du Diable : Dieu lui a donné l’intelligence, le Diable la méchanceté. » Chez Marcelo Rebelo de Sousa, on devine avant tout cette ambition démesurée qui se heurte parfois à des erreurs stratégiques : en 1978, lors du congrès du PSD, il intègre les Inadiaveis, groupe de dissidents, contre son leader Sa Carneiro [qui sera finalement réélu] ; au congrès de 1985, il soutient Salgueiro contre Cavaco Silva [qui, contre toute attente, deviendra président du PSD] ; en 1999, sa tentative d’alliance avec le parti de Paulo Portas [CDS-PP, conservateur] est un échec ; en trois ans à la tête du PSD [1996-1999], on se souvient surtout de la démonstration de son talent extraordinaire à compliquer les choses, même dans les conjonctures politiques les calmes.

« Pour surmonter sa frustration de ne pas être arrivé au poste de Premier ministre, il a assouvi sa soif de pouvoir à travers son influence et ses talents pour la communication. » Depuis 1973, tout d’abord dans l’Expresso, puis dans le Semanario, sur la radio TSF (1993-1996) et sur les chaînes de télévision TVI ou RPT, où il est devenu commentateur politique, il raconte ce qu’il veut, comme il le veut, expliquant le Portugal à sa façon, comme un pays qu’il réinvente toutes les semaines pour le mener là où il l’a décidé. Car l’héritier est aujourd’hui devenu président.

Manuel Loff

Reprise sur le site de A l’Encontre :

http://alencontre.org/europe/portug...


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