Hollande, Valls... Jusqu’où la dérive ?

mardi 9 février 2016.
 

La porte s’est donc bruyamment refermée sur Christiane Taubira la semaine dernière. La tête haute, elle part « sur un désaccord politique majeur », elle qui a toujours été placée sous contrôle du Palais de L’Elysée et de l’ancien ministre de l’Intérieur devenu Premier ministre. Elle aura subi un incroyable harcèlement politique de la droite et de l’extrême-droite, avec des relents néocolonialistes, machistes et racistes.

L’intelligence et la culture de l’ancienne ministre de la justice ont souvent mis en évidence la faiblesse d’esprit de ceux qui l’insultaient. Le débat, les interventions de juristes qualifiés, d’une majorité de la gauche, y compris au sein du Parti socialiste, ajoutés aux préventions de Mme Christiane Taubira contre les dangers d’une constitutionnalisation de la déchéance de nationalité et de l’état d’urgence, n’auront pas suffi. Le sommet de l’Etat persiste dans l’invraisemblable imbroglio dans lequel il s’est enferré, privilégiant la tambouille politicienne, à la défense des valeurs qu’il prétend incarner.

En démissionnant pour marquer son refus de servir de caution à un recul majeur des principes républicains, elle aura sauvé son honneur et avec lui, une certaine idée que nous avons en commun de la France, de la République et de la citoyenneté. Elle en aura du même coup privé le gouvernement. Son départ s’effectue alors que commencent à se fédérer les opposants aux choix gouvernementaux et où s’intensifient les discussions, les recherches en vue de tracer un autre avenir, avec, comme première riposte, les manifestations de samedi dernier. Il était temps ! La clarification qui s’opère nous appelle à travailler avec toutes les bonnes volontés pour débattre, puis définir un nouveau projet de gauche, unifiant et crédible. La contribution de l’ancienne Garde des Sceaux comme celle de nombreux autres responsables politiques, syndicaux, associatifs ou citoyens engagés nous semble nécessaire.

Le gouvernement se resserre désormais autour d’un exécutif poussant toujours plus loin les « contre- réformes » qui font mal à la France, aggravent les souffrances, écornent les idées, valeurs et principes de la gauche, sapent les fondements républicains.

Le pouvoir se prépare à prolonger de trois mois l’état d’urgence. Le Premier ministre annonce qu’il pourrait durer des années puisqu’il considère son maintien indispensable jusqu’à l’éradication de la menace terroriste !

On se dirige dangereusement vers une nouvelle étape de la concentration des pouvoirs au sommet de l’exécutif. La justice et le Parlement sont mis hors-jeu. Face au défi que représente la menace terroriste, il faudrait, au contraire, y associer toutes les forces vives du pays pour, à la fois, être efficaces dans la protection des citoyens et pour veiller à empêcher tout débordement attentatoire aux libertés, ce que cherchent précisément les terroristes. La mobilisation citoyenne qui commence à émerger devra s’amplifier pour faire reculer ce funeste projet de constitutionnalisation de mesures d’exceptions.

En usant de circonvolutions hypocrites devant les parlementaires pour faire avaler la pilule d’une constitutionnalisation de la déchéance de nationalité, le Premier ministre aura tenté de tromper son monde. Aucune référence ne serait plus faite aux binationaux dans le texte qui sera présenté au Parlement. Mais dans le même mouvement, la déchéance de nationalité serait étendue aux délits et aux crimes. Imaginons ce qu’une telle mesure, une fois constitutionnalisée, deviendrait dans les mains d’une droite extrême ou d’une extrême-droite !

Ajoutons cette incroyable entourloupe : la France signerait enfin, et comme par hasard, la convention interdisant les apatrides. Ce qui revient à dire que seuls ceux qui ont plus d’une nationalité pourront être déchus de la nationalité française. En clair, les binationaux qu’on prétendait avoir sorti de la loi. Lamentable ! Le texte ainsi présenté est donc plus dur que le précédent ! « Ah ! Saleté ! Le mauvais droit ne vaut-il pas le bon ? », s’exclamait déjà Ubu roi… En jouant ainsi avec notre loi fondamentale, l’exécutif contribue à défigurer la politique et prend de grands risques pour l’avenir du pays.

La tradition républicaine stipule que l’Etat français ne peut tolérer que sur son sol les citoyens soient divisés selon leurs origines ou celles de leurs parents. De même qu’une République sociale ne saurait tolérer, au travail, une différence de traitement des salariés en fonction de la taille, du poids des entreprises ou du rapport de force qui s’exprime en leur sein. Voilà qui devrait être une boussole de la gauche lorsqu’elle gouverne !

Par une multitude de touches, une conception libérale et autoritaire de l’Etat se substitue à la conception républicaine. Dans un même mouvement la citoyenneté et le droit du travail sont visés.

Le rapport rédigé par la commission présidée par Robert Badinter pour le « réformer » regorge de tout ce que les classes dirigeantes rêvent d’imposer au monde du travail. Aucun inspecteur du travail, aucun syndicaliste n’a été sollicité pour redéfinir les principes qui régissent le travail. Une palanquée d’experts liés aux sphères du pouvoir, bien déconnectés des réalités salariales, ont été chargés de préparer le terrain à l’acceptation de mesures rétrogrades. Et pour faire bonne mesure dans cette opération de communication, on a fait appel à celui qui a aboli la peine de mort, dans l’espoir de réduire les réactions.

Une bonne partie des 61 points mis en exergue relève de la farce. On remerciera les rédacteurs de nous prévenir, par exemple, que l’employeur ne doit pas pratiquer le « harcèlement sexuel » quand le code pénal le stipule, heureusement, pour l’ensemble de la société. Au-delà du vernis, ils forment un écran de fumée pour préparer les pires régressions.

L’article premier laisse songeur tant il permet toutes les dérives : « Les libertés et droits fondamentaux de la personne sont garantis dans toute relation de travail » est-t-il écrit, avant qu’il ne soit précisé que des limitations peuvent y apporter, notamment par « les nécessités du bon fonctionnement de l’entreprise ». Ainsi les libertés et droits fondamentaux seraient soumis à la loi du capital quand l’urgence réclame au contraire de protéger les travailleurs contre les aléas, de plus en plus turbulents, de la vie économique.

Dans ce rapport, la durée du travail n’est plus « légale » mais « normale ». Ainsi pourront déroger aux 35h, c’est-à-dire à la durée du travail jusqu’ici légale et donc valable sur l’ensemble du territoire, toutes les entreprises qui s’en sentiront les coudées franches. En ces heures d’embastillement de l’action syndicale, c’est clairement vers un « travailler plus pour gagner moins » que nous emmènent M. Badinter et ses acolytes. Rajoutons qu’en l’absence de rémunération significative des heures supplémentaires au profit d’une simple « compensation », c’est donc bien la fin des 35 heures qui s’annonce.

Le gouvernement oppose désormais un Etat fondé sur le contrat, d’inspiration anglo-saxonne, à la République une et indivisible fondée sur la loi.

Ajoutées à la déchéance de nationalité pour les binationaux, ces mesures signent un morcellement de la République et une rupture du principe d’égalité, au cœur du pacte social qui unit les citoyens du pays.

Décidément, l’heure est bien au travail de refondation d’une Gauche nouvelle et à la mobilisation des intelligences de nos concitoyens pour ensemble élaborer un nouveau contrat social et démocratique.


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