Valls, la laïcité, 1905 et aujourd’hui : Avec Jean-Louis Bianco

mercredi 27 janvier 2016.
 

En s’en prenant avec la violence qui lui est coutumière au Président de l’Observatoire de la Laïcité, Manuel Valls étale une fois de plus sa méconnaissance de l’équilibre établi, après moult débats, par la Loi de 1905.

Cet équilibre n’est pas éternel, soit. Justement : ce qu’il faut juger est la gravité politique des attaques qui visent à détruire cet équilibre pour s’en prendre à l’Islam.

En s’en prenant avec la violence qui lui est coutumière au Président de l’Observatoire de Sur le principe, toutes les questions qui surgissent aujourd’hui ont été abordées à l’époque. Et traitées par un compromis qui tient en résumé en deux points. La protection de la liberté de conscience (dont la liberté religieuse) d’un côté ; de l’autre la séparation institutionnelle des Eglises et de l’Etat. Ce qui, au fil des problèmes qui se sont présentés, s’est traduit par la confirmation régulière de la légitimité de la visibilité publique des pratiques religieuses (voir le cas emblématique des processions, ou plus anecdotique de l’invalidation des décisions municipales prises ici et là interdisant le port public de la soutane). Et de l’autre côté la neutralité religieuse absolue de tout ce qui représente la puissance publique (personnels, bâtiments, programme scolaires – obligatoires par ailleurs).

La Laïcité « à la française » se distingue effectivement d’autres équilibres établis pour régler la séparation des religions instituées et de l’Etat. En particulier en ce que ailleurs le plus souvent cette séparation s’est imposée pour régler la cohabitation entre plusieurs religions. Alors qu’en France, il s’agissait bien plus de régler celle de l’Eglise catholique avec la partie irréligieuse du pays, déjà importante. Il existe aujourd’hui c’est vrai des tentatives répétées de caler les bases de la séparation en France sur ce qui existe dans d’autres pays. On se demande si ces tentations (comme celles, parmi les plus subtiles, de Sabah Mahmoud) mesurent bien le danger imminent à vouloir ainsi toucher à cet équilibre. Car la vraie conséquence de ceci, si ça se faisait, serait de faire flamber encore le vote FN. Et on peut le constater en mineur à la lecture de ce que Cazeneuve (après tant d’autres) avance dans son entretien à La Croix en reprenant l’antienne de droite (déjà présente lors du débat de 2005 sur le TCE) quant « aux racines chrétiennes de la France ». Ce que le Maire FN Stéphane Ravier de la Mairie où je suis élu à Marseille résume par « la France n’est pas née en 1789 ; mais au baptême de Clovis ». Faisant fi de la mise en garde de Renan, pour qui « la religion devenue chose individuelle » ne peut « offrir une base suffisante à l’établissement d’une nationalité moderne ». Une absurdité historique qui plus est n’en déplaise au martèlement répété de l’Histoire à la Lavisse sur « ces Rois qui ont fait la France ». La France, comme peuple se reconnaissant comme tel, ne se crée vraiment nation sous une forme « chaude » selon le terme de Gramsci, que dans le brasier du combat contre l’Ancien Régime et contre les troupes contre révolutionnaires. Bizarre que ce thème des « racines chrétiennes » ne soulève pas plus de protestations chez ceux qui hurlent à la mort contre Bianco.

Mais, et c’est tout à son crédit, le mandat de l’Observatoire de s’en tenir à cet équilibre est lui respecté à la lettre. Et sous tend les propositions précises qu’il avance. Bien entendu il le fait dans les conditions nouvelles que nous connaissons. Il nous revient d’inventer un nouvel équilibre entre les parties constitutives du pays, ses communautés particulières. Comme toujours. Et donc ici pour les populations en partie artificiellement construites comme « musulmanes », construction aboutissant pourtant désormais à une situation réelle. Un équilibre qui, par définition, suppose d’être recherché dans le cadre d’une vie commune.

Il le fait en prenant une à une les questions pratiques liées à l’exercice de la laïcité (la seule institution à le faire avec ce sens du détail), dans le cadre de cet équilibre général. Sans jamais, à aucun moment, se déclarer favorable à des pratiques qui mettraient en cause les droits humains fondamentaux tels que l’histoire politique et sociale les ont constitués dans notre pays. On peut discuter telle ou telle de ces propositions (et moi-même n’hésite pas à le faire). Mais à partir des mêmes références qui devraient être celles de tous les défenseurs de la laïcité.

Mais non ! On voudrait (et Valls en particulier) le voir plonger dans les délices du combat antireligieux (en fait bien entendu antimusulman) au mépris de ces principes. Le voir donc pourchasser tout signe de religiosité dans l’espace public, non pour les institutions, mais pour les citoyens. Sans remarquer qu’à ce titre, on interdirait aussi le port des Kippas dans les rues de Marseille et d’ailleurs…

Mais à s’en tenir à ceci quid de l’intégrisme et du fondamentalisme alors ? Et là commence, à tort, le procès en naïveté fait à une « gauche aveugle aux réalités ». Aucun déni pourtant. Pour qui lutte en faveur de l’émancipation humaine on ne peut pas sous estimer la lutte contre le fondamentalisme.. Mais il faut impérativement distinguer le champ propre des mouvements socio-politiques de celui de l’Etat. Et le distinguer de la question de la laïcité. Ainsi on ne remet pas en cause la légalité du parti de Boutin (incontestablement cléricalo-réactionnaire) tout en luttant sans relâche contre ses idées mortifères. Un ennemi stratégique majeur, et pourtant la laïcité permet à la fois son existence et son expression. Tant que la légalité générale est respectée, il devrait en aller exactement de même pour les secteurs fondamentalistes musulmans. Pour la lutte contre eux, il doit s’agir d’une prérogative non pas étatique, mais sociale, propre aux mouvements progressistes. Mais une fois cette distinction établie, il faut défendre avec force qu’il y a un enjeu majeur pour l’émancipation humaine à la lutte universelle, non seulement pour la séparation des Eglises et des Etats, mais aussi sur le fait que les décisions démocratiques s’autorisent d’elles-mêmes, pas d’une instance transcendante échappant aux humains.

Mais ceci avec la préoccupation constante de ne jamais oublier le statut minoritaire et opprimé de l’Islam en France. On a le droit légal de moquer une religion, toujours. Ce qui ne veut pas dire qu’à gauche on n’en mesure pas idéologiquement les effets dans ces conditions (comme dans le cas des moqueries antisémites d’un passé pas si lointain). Je sais bien qu’il y a là matière à débat, voire à polémique. Parce que la mesure n’est pas facile à faire, et que minoritaire ou pas, « les droits humains fondamentaux » priment. Mais qui dit que cet équilibre est impossible à trouver et à construire pour la grande majorité des musulmans de notre pays ? Au lieu de tourner autour de la laïcité au risque de la perdre en route, allons au fond. Dans le débat qui nous occupe, aujourd’hui, l’enjeu majeur de cette « guerre de position » concerne la question de savoir si l’Islam est ou non compatible avec la République. Et, avec d’autres, j’affirme qu’il faut donner une réponse positive, qu’il faut se battre avec acharnement sur cette frontière, pied à pied, millimètre par millimètre. Si nous perdons là dessus, nous perdrons sur tout le reste. Evidemment il est vrai que la formule même repose sur l’essentialisation de ses deux termes. Car l’Islam au singulier n’existe pas, et pas plus la République au singulier, « sans adjectif » (celle de Clémenceau n’est pas celle de Jaurès). Exactement comme pour « le » christianisme. Mais ce sont des abstractions indispensables, sur lesquelles se joue la bataille « culturelle » au sens de Gramsci. Ceux qui disposent de l’hégémonie sur ces terrains imposent la condition du combat, sa nature même. Par exemple les lois anti juives de Hitler sont impossibles même à concevoir si auparavant la société n’a pas été gagnée à l’antisémitisme, et ce dernier poussé jusqu’à la déshumanisation des juifs. Il ne s’agit pas là d’une vague « question morale », mais d’une question centrale.

Vieux dilemme déjà excellemment posé par Derrida, : nécessité de « tolérer et de respecter tout ce qui ne se place pas sous l’autorité de la raison », donc toutes sortes de fois, sans pour autant aller jusqu’à tolérer l’intolérance et l’intolérable. Questions pour lesquelles il faut bannir tout simplisme ? Equilibre à bâtir qui n’est pas prêt d’obtenir un consensus à gauche ? D’accord, et bien débattons. Mais sans y mêler la question de la laïcité, dont les principes avancés par l’Observatoire ne prêtent à aucune confusion. Au contraire, en lui disant merci et bravo pour le travail accompli. Et en affirmant avec force que lui et son Président peuvent et doivent compter sur l’appui sans faille de celles et ceux pour qui les principes de 1905 ne sont pas à géométrie variable. Indispensable quand rôdent les réactionnaires de toujours (rejoints par Valls, faut-il s’en étonner ?) et l’extrême droite d’aujourd’hui.

Samy Johsua


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