Les Pays Bas s’apprêtent à infliger une leçon de démocratie à l’Union Européenne

mercredi 20 janvier 2016.
 

Si, monsieur Junker, il peut y avoir un choix démocratique contre les traités européens !

Un référendum sur l’accord d’association (de libre-échange) entre l’Union européenne et l’Ukraine se tiendra aux Pays-Bas le 6 avril prochain. Bien que peu évoqué hors des frontières de ce pays, ce référendum pourrait être le déclencheur d’une crise majeure en Europe tant les probabilités que le peuple hollandais le rejette sont fortes. Jean-Claude Junker, président de la commission européenne, craignant les conséquences d’un tel vote juste avant des élections législatives cruciales au Pays-Bas et en France en 2017, mais aussi en pleine négociation du TTIP, le traité de libre-échange transatlantique, a enjoint les citoyens des Pays-Bas à ne pas « mal voter ».

L’accord d’association controversé entre l’Ukraine et l’Union européenne a été l’un des déclencheurs d’un renversement du gouvernement ukrainien de Ianoukovytch à la suite du mouvement populaire du Maïdan. Le nouveau gouvernement ukrainien présidé par M. Porochenko, signataire de cet accord et appuyé par les Etats-Unis, a été à l’initiative d’une guerre civile à l’est du pays qui a fait plus de 10 000 victimes dont de nombreux civils, ainsi que le déplacement de plus de 1 100 000 réfugiés.

Il est légitime que les peuples des Etats-membres de l’Union européenne se posent la question de l’opportunité d’un tel accord, eut égard, d’une part, aux coût colossaux qu’il va faire peser sur les budgets européens, et, d’autre part, car il pose la question du bien-fondé des décisions des institutions européennes rarement prises dans l’intérêt des peuples. Enfin, il marque alignement de l’UE sur la politique étrangère étatsunienne, au risque de la paix en Europe, pourtant argument principal légitimant l’existence de l’Union.

Cet accord, déjà ratifié par le Parlement néerlandais, est entré en vigueur le 1er janvier 2016. La très démocratique loi néerlandaise prévoit la tenue d’un référendum consultatif si au moins 300 000 signatures sont recueillies auprès des citoyens. Les auteurs de l’initiative visant à rejeter cet accord d’association en ont réuni 420.000. Le vote aura donc lieu le 6 avril. Si de plus, le taux de participation dépasse les 30% le gouvernement serait formellement obligé de reconsidérer l’accord – or, selon les sondages, environ trois quarts des électeurs néerlandais voteront "probablement ou certainement" contre l’accord.

Jean-Claude Junker, qui avait déclaré il y a quelques mois "il ne peut y avoir de choix démocratique contre les traités européens", est en train de réaliser que le peuple peut encore faire irruption sur la scène politique à l’échelle de L’Union. Inquiet, il a appelé les Néerlandais à ne pas s’opposer à l’accord et fait remarquer qu’une réponse négative pourrait "déboucher sur une grave crise en continentale, qui dépasserai largement le cadre néerlandais".

Ne doutons pas que Junker, entre deux moments d’ébriété, y voit clair et s’inquiète à juste titre de chaque retour du peuple dans la vie politique. La portée du vote sera fortement symbolique, car ce référendum se tiendra alors que la Hollande, central dans l’Union Européenne dont elle est fondatrice, assure la présidence tournante depuis le 1er janvier.

La Hollande pourrait réaliser un vote de défiance vis-à-vis de l’Union Européenne et ses traités en illustrant combien les élites européennes sont coupées des intérêts des peuples que sensément elles doivent servir. Ce serait également un coup porté aux certitudes bruxelloise et au dogme de l’élargissement sans fin de l’UE. Cela relancerait enfin le débat sur le degré d’intégration de chaque Etats-Nation dans l’UE et donc d’abandon de souveraineté, et ce un an avant des élections législatives d’importances aux Pays-Bas et en France, deux pays phares de l’UE, où, par référendum populaire le Traité Constitutionnel Européen avait été rejeté de manière retentissante en 2005 (61% de NON en Hollande, 55% en France).

Les Hollandais se prononceraient légitimement contre cet accord de libre échange compte tenu du coût colossal pour l’UE, donc pour ses citoyens, qu’il impliquerait. L’économie ukrainienne est, en effet, en faillite continue, soutenue à bout de bras par l’UE et le FMI (qui au contraire de la Grèce lui a accordé une restructuration de sa dette) : il faudrait entre 40 et 65 milliards d’Euros pour la remettre à flots et assurer un soutien de quelques 15 milliards d’Euros par an pendant de nombreuses années, sommes impensables dans un contexte de récession, de crise grave, de chômage et de politique d’austérité dans les autres pays européens. Ses aides risqueraient d’ailleurs de n’y rien changer puisque le niveau de corruption de l’actuelle Ukraine est un des plus élevé au monde et supérieur – si c’est possible – à celui en vigueur sous Ianoukovitch.

Par ailleurs, le rapprochement plus marqué de l’UE et de l’Ukraine augure d’un dumping social sans précédent en Europe, déjà largement initié par l’Allemagne dans ses usines. L’Ukraine compte une des plus importante population d’Europe – 46 millions d’habitants – pour un salaire moyen de 250 euros/mois et un salaire minimum de… 50 Euros par mois. Le rapprochement de l’UE et de l’Ukraine risque de causer un tsunami social dans toute l’Europe de l’ouest où le travail, de plus en plus rare et précaire, est dévoyé par le déferlement des "travailleurs détachés" (soit l’organisation du dumping social au niveau européen par l’organisation, légalisée par l’UE, de travailleurs exploités).

Junker redoute également les conséquences géopolitiques d’un NON hollandais, tant cet accord d’association sert surtout les intérêts hégémoniques des Etats-Unis. Pour Washington l’intégration de l’Ukraine dans l’OTAN et son éloignement de la sphère d’influence de la Russie reste un de ses objectifs géostratégiques centraux et l’accord d’association UE/Ukraine n’en est qu’une étape.

Cet accord mettrait l’Europe encore plus en porte-à-faux par rapport à la Russie, or, sans ce pays, comme le déclarait le Général De Gaulle, un projet européen indépendant n’est pas viable.

Il est à noter que cela se déroule au même moment où se négocie, en catimini, l’accord sur le traité de libre-échange transatlantique, le TTIP (Transatlantic Trade and Investment Partnership - Partenariat Transatlantique de Commerce et d’Investissement en français), visant à construire un grand marché Transatlantique, lequel, s’il était ratifié ainsi que le désirent ardemment les élites européennes, augurerait d’un basculement définitif et complet de l’Europe dans le giron étasunien.

Le référendum d’initiative populaire s’il se soldait par un vote NON à l’accord d’association UE/Ukraine serait une crise supplémentaire dans une UE qui ne représente plus les intérêts des peuples. Ce serait le retour du peuple dans un système d’institutions où la banque centrale européenne qui n’a pas les mêmes prérogatives que la réserve fédérale des Etats-Unis, où la démocratie est inexistante - commission européenne non élue et parlement européen composé de députés élus mais sans réels pouvoirs. Caractère non démocratique qui sera renforcé par une des dispositions phares du TTIP, les tribunaux d’arbitrage, instances non élues, et dont les décisions s’imposeront aux Etats-Nations, si nécessaire en oppositions aux décisions prises par le peuple que ce soit par voie référendaire ou par le truchement de ses représentants au parlement – ce qui dans le cas de notre pays est en contradiction radicale avec l’article 3 de la constitution française.

Si cette initiative référendaire en Hollande est portée par différents partis dont le Parti de Gauche ne partage pas les orientations politiques, tout processus permettant au peuple de s’exprimer sur les questions européennes et internationales quand sa souveraineté est en cause est à saluer. Le Parti de Gauche soutient donc la tenue de ce référendum.


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