Régionales : sans appel (Roger Martelli)

vendredi 18 décembre 2015.
 

Les résultats du second tour des élections régionales sont tombés comme un couperet. La politique est malade, la gauche est battue, le Front de gauche est exsangue. Et nul ne peut revendiquer de victoire. Encore que…

- Record pour le FN
- Quel « avertissement » ?
- Gauche fragile, gauche de gauche en question…

Les électeurs français ont voté davantage qu’au premier tour, davantage qu’au second tour des régionales de 2010 (58,4% contre 51,2%). Leur choix est donc significatif. La droite parlementaire recueillait 36,2% ; elle en obtient cette fois 40,7% sur le territoire métropolitain. Elle avait 480 élus ; elle en a 789.

La gauche est passée en cinq ans de 54,1% à 31,2%. Elle avait 1.120 élus métropolitains ; elle n’en a plus que 551, soit la moitié de son contingent de 2010. Pour la première fois, elle n’a plus de représentation en Paca et dans le Nord-Pas-de-Calais-Picardie.

Record pour le FN

Le Front national empoche le jackpot. Il obtient en tout 27,9% contre 9,2% au second tour de 2010. Il avait 108 élus en métropole ; il en a 358 aujourd’hui. Il est désormais présent dans tous les conseils régionaux sans exception. Sa progression en voix est continue. Le FN a recueilli dimanche 6,8 millions de voix sur le seul territoire métropolitain ; c’est au-dessus du score de Marine Le Pen en 2012 (6,4 millions) ; c’est très au-dessus des 5,5 millions de Jean-Marie Le Pen au second tour de 2002 et des européennes de 2014 (4,7 millions).

Dans toutes ses composantes, la droite française est donc archi-majoritaire. Elle a obtenu 68% des suffrages exprimés ; les sept régions qu’elle dirige abritent 42,8 millions d’habitants contre 20 millions à peine pour la gauche. Le résultat aurait pu être meilleur encore, si la triangulaire au second tour n’était pas devenue la norme. La droite dominante est désormais sous la pression perturbante d’un Front national renforcé.

Le Front de gauche est dans une situation difficile. Au premier tour, il a obtenu, seul ou avec d’autres, des résultats au-dessous des précédentes consultations. Dès le premier tour, il était au-dessous du seuil des 5% dans six régions. En 2010, il avait obtenu 127 sièges de conseillers régionaux, soit déjà 65 de moins qu’en 2004. Il disposera désormais d’une trentaine de sièges, sans compter les élus communistes qui se trouvaient dès le premier tour sur la liste socialiste de Le Drian. Il n’a plus aucun élu dans sept régions.

Quel « avertissement » ?

Le roi est nu. La gauche sociale-libérale a sauvé les meubles grâce aux triangulaires. La droite ne sait plus comment traiter l’épine du pied que constitue le Front national. La gauche de gauche non seulement n’a pas bénéficié du recentrage socialiste mais elle se trouve un peu plus affaiblie.

Hier soir tout le monde parlait de l’avertissement, des nécessaires leçons à tirer, des changements radicaux à opérer. Mais la droite classique ne sait pas comment elle pourra endiguer la montée du FN : en radicalisant à droite ou en se démarquant sur le fond de l’encombrant rival ? Les socialistes ne vont pas changer de cap. Manuel Valls, hier soir, nous a parlé de République, mais elle est sécuritaire et chauvine. Le marché, la gouvernance et l’ordre sont les pivots du socialisme d’aujourd’hui, comme il le fut en Angleterre, en Allemagne, en Espagne ou en Italie. Avec les brillants succès que l’on sait…

Si la gauche de gauche ne trouve pas la voie indissociablement mêlée du rassemblement et de la novation, si elle se divise et ronronne, elle disparaît. Comme en Italie. Mais, dans ce cas, que devient la dynamique d’une gauche qui ne vit que par l’égalité (celle des conditions, pas celle des chances), la citoyenneté élargie et la solidarité universelle ?

Roger Martelli

Gauche fragile, gauche de gauche en question…

Régionales 2015. La droite française, dans sa variante classique, ne va pas bien. Mais la gauche est fragilisée. Les déboires de sa frange de gauche ne sont pas pour rien dans ce malaise. Retour sur un échec, chiffres à l’appui.

Les tableaux [non reproduits ici, se reporter à l’original] qui présentent les données sur lesquelles s’appuie cette analyse sont visibles dans le portfolio en bas de page ; certains sont accessibles via les liens dans le corps du texte.

1. Toute analyse doit garder à l’esprit ce qui est trop souvent oublié : la persistance d’un haut niveau d’abstentions (la moitié du corps électoral). Sur cette base, un déplacement vers le vote (recul de l’abstention) ou un déplacement des votes peut avoir une incidence forte, même si ce déplacement est limité.

Cette fois, le regain de participation entre 2014 et 2015 a profité massivement au FN et, de façon moindre, au PS. En revanche, il accentue le retrait de ceux qui n’ont pas mobilisé leur électorat : la droite parlementaire et la gauche de gauche. Cela ne signifie pas qu’il n’existe plus de courant critique, « radical » ou « alternatif », mais qu’il ne se mobilise pas autour des forces politiques qui combattent à la fois la droite et l’orientation « social-libéralisée » de l’exécutif (voir l’évolution des suffrages pour la « gauche de gauche » lors des quatre derniers scrutins [1]).

On peut se rassurer en se disant que cette faible attirance n’est que conjoncturelle, due à la tension du moment (l’état d’urgence) ou aux incertitudes sur la stratègie politique qui ont affecté l’intérieur même du Front de gauche et atténué sa lisibilité (pas moins de quatre configurations d’alliances dans 13 régions !). Mieux vaut ne pas se rassurer si vite. Quand le PCF a vu fondre son capital électoral, à partir de 1981, il a expliqué au départ que les abstentionnistes de gauche appartenaient encore à « son » électorat, et qu’il le retrouverait, par un discours oscillant entre durcissement du ton et les ouvertures unitaires. Or ceux qui avaient renoncé au vote communiste n’y sont plus revenus pour l’essentiel (voir l’évolution de l’abstention et des « familles » politiques, des régionales de 2010 à celles de 2015, et des européennes de 2014 aux régionales de 2015 [2]).

Pour transformer un espace symbolique (la culture « radicale », de « rupture » ou « d’alternative » en comportement électoral, encore faut-il trouver les projets, les mots, les gestes pour entraîner.

2. Pour la gauche, la progression enregistrée entre 2014 et 2015 n’efface pas le fait qu’elle est, avec 37% des suffrages exprimés, dans ses basses eaux électorales tandis que la droite obtient son meilleur score depuis que les conseillers régionaux sont élus au suffrage universel. (voir l’évolution « droite / gauche » lors des quatre derniers scrutins [3]) La conjoncture a donc permis au Parti socialiste de se situer dimanche dernier à mi-chemin entre son résultat exceptionnel des régionales 2010 et son score médiocre des européennes en 2014 (voir l’évolution lors des quatre derniers scrutins [4]).

C’est ainsi que, dans une scène électorale dévastée, une défaite politique apparaît comme une quasi victoire. La posture sécuritaire du gouvernement socialiste a pris la droite en étau entre le discours de ressentiment du FN et l’exercice martial du pouvoir. Dès lors, le PS a pu mobiliser une frange des électeurs de gauche qui se reconnaissent dans le besoin de protection attisé par « l’état d’urgence ». François Hollande, dit-on, se réjouit de cela. Jeu dangereux. François Mitterrand s’y essayé hier, au moment où le Front commençait à faire parler de lui. Nous en payons le prix aujourd’hui.

3. Si la gauche progresse sur 2014, ce n’est donc pas parce que la gauche critique lui a donné de l’élan. Au contraire. Quel que soit le résultat enregistré, que l’on inclut ou non dans les scores du Front de gauche ceux des listes de large union de PACA et de Languedoc-Roussillon-Midi-Pyrénées, le résultat (entre 4,1% et 5,7%) est en retrait à la fois sur la précédente consultation régionale et sur le scrutin européen de 2014.

Or la déconvenue s’ajoute à celle d’une extrême gauche qui ne retrouve plus sa dynamique de 1998-2007 et de Verts qui ne savent plus à quelle gauche se vouer, ni même s’ils se situent vraiment à gauche. Le total de l’extrême gauche, du Front de gauche et des Verts est en recul sensible sur les trois scrutins précédents, régionales 2010, présidentielle 2012 et européennes 2014. La capacité à « peser » sur le PS en est d’autant plus réduite.

4. L’étude rapide faite sur l’évolution 2014-2015 dans 700 communes dont le maire est ou a été communiste ou apparenté entre 2008 et aujourd’hui confirme l’analyse. Dans ces villes, la gauche progresse comme partout ailleurs, dans une proportion semblable (+3,8% dans ces villes contre +3,2% sur le plan national). En règle générale, ces villes se caractérisent par le fait que le vote « utile » à gauche y est plus qu’ailleurs incarné par un vote communiste et Front de gauche. Or, entre 2014 et 2015, le Front de gauche se stabilise (en alliance notamment avec EE-LV) alors que le PS gagne 9,2% sur l’élection précédente, c’est-à-dire davantage que sur le plan national. Quant au Front national, on constate que sa progression est contenue en moyenne, même si elle apparaît forte comme ailleurs dans les territoires du Nord, de l’Est et du Midi. En revanche, la bonne nouvelle est dans une bonne résistance au vote FN dans la banlieue parisienne et en Normandie.

Bien sûr, les résultats moyens dissimulent d’énormes inégalités entre les communes. Ainsi, le Front de gauche s’en tire assez bien dans les régions où des personnalités locales élues (Normandie, Auvergne-Rhône-Alpes) étaient à la tête de des listes proposées par le Front de gauche. Mais cette efficacité, sauf en Normandie, est restée pour l’essentiel limitée aux communes de plus forte implantation communiste. Et, en tout état de cause, les résultats modestes dans ce type de ville ne contredisent pas l’image d’un espace communiste qui n’a plus la densité populaire qui faisait naguère son originalité et sa force. Au total, le Front de gauche recule dans 450 communes et ne progresse que dans 250 d’entre elles. En revanche, le PS ne recule sur 2014 que dans 40 communes.

L’évolution de ces villes s’inscrit ainsi dans la logique d’un certain réalignement à l’intérieur de la gauche. Malgré l’ancrage de plus en plus accentué dans une orientation gouvernementale qui déstructure l’univers populaire, les socialistes renforcent leurs positions dans leur vieil objectif de captation de l’héritage communiste des périphéries urbaines. En 2014, le Front de gauche devançait le PS de 3% en moyenne ; en 2015, le PS devance le Front de gauche de 8,7%. En 2014, le FDG était encore en tête dans plus de 380 communes de cet ensemble ; en 2015, ce nombre est réduit à 175 d’entre elles.

5. Il ne faut donc pas se cacher que, derrière la menace frontiste, c’est l’ossature même de la gauche qui est en question. Les deux dimensions s’entremêlent d’ailleurs : c’est parce que la gauche dans son ensemble a reculé sur ses valeurs d’égalité, de solidarité et de souveraineté populaire, que la droite a imposé son obsession de l’ordre, du sécuritaire et de la compétitivité. Or ce recul n’a été possible que parce que nulle force, à la gauche du PS, ne s’est avérée capable de le conjurer.

Quand la gauche se remobilise sur les marges, comme ce fut le cas pour le PS dimanche dernier, ce n’est pas sur des valeurs qui sont historiquement au cœur de la dynamique populaire et démocratique française. Tactiquement, dans une logique de placements politiciens, tant que la droite classique est en panne, cela peut sembler efficace. Mais sur le long terme, cela renforce le Front national et tétanise l’essentiel des réserves de gauche aujourd’hui en retrait.

C’est triste à dire, mais la gauche d’adaptation au système a marqué un point dimanche contre la gauche de transformation sociale. Le Front de gauche n’a pas réussi à transformer l’essai de la présidentielle de 2012. Le paradoxe français de ces dernières décennies est plus épais aujourd’hui qu’hier. Contrairement à ce que révèlent les turbulences électorales, l’esprit critique n’est pas marginalisé dans ce pays. L’esprit de justice, le désir d’implication citoyenne, le besoin d’être une personne à la fois autonome et solidaire fleurissent dans les pratiques, les incitatives, les expressions culturelles « d’en bas ». Mais elles ne s’expriment pas dans l’espace politique institutionnalisé parce que les formes, les mots et les symboles de cet espace ne « parlent » plus.

Au bout d’un moment, la propension à reproduire les structures installées, le poids des vieilles cultures, la tentation de poursuivre les chemins anciens, fût-ce en mieux, épuisent les volontés réelles de renouvellement. Les acteurs nouveaux de la vie sociale, jeunes, femmes, précaires, travailleurs de nouvelles générations peinent à trouver leur place. L’espace de l’alternative, ronronne, continue, inlassablement, courageusement, mais avec un insuccès grandissant.

Pas facile de débroussailler les chemins du nouveau… Mais on peut intuitivement énoncer ce qu’il faut éviter. À l’instant « T » j’aurais envie de m’en tenir à une seule affirmation : revenir en-deçà du Front de gauche (l’éparpillement des chapelles) est impossible ; mais conserver le Front de gauche en l’état nous pousse dans l’impasse. J’ai longtemps dit aux communistes que, pour retrouver les dynamiques efficaces d’hier, il ne leur fallait ni renoncer ni répéter mais se refonder. Je tends à penser que la formule vaut aujourd’hui pour le Front de gauche.

Roger Martelli

* http://www.regards.fr/web/article/g...

Notes

[1] http://www.regards.fr/IMG/jpg/anare...

[2] http://www.regards.fr/IMG/jpg/anare...

[3] http://www.regards.fr/IMG/jpg/anare...

[4] http://www.regards.fr/IMG/jpg/anare...


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