Ombre brune portée sur le premier tour des régionales

jeudi 10 décembre 2015.
 

C’est un paysage de désolation politique pour la gauche, en particulier sa composante gouvernementale, et, au-delà, pour la démocratie, qu’a dessiné ce premier tour des élections régionales.

Le sursaut de la participation observé hier, avec un peu plus de 50 % d’électeurs qui se sont rendus aux urnes (contre 46,3 % en 2010), n’aura pas bouleversé les rapports de forces pressentis par les sondages ces derniers jours, encore amplifiés par l’onde de choc des attentats et la montée en première ligne des préoccupations de sécurité.

Grand gagnant du scrutin au vu des premières estimations disponibles dimanche à 20 heures, le Front national était en mesure de se classer en tête dans au moins six régions (Alsace-Champagne-Ardenne-Lorraine, Bourgogne-Franche-Comté, Centre-Val de Loire, Languedoc-Roussillon-Midi-Pyrénées, Nord-Pas-de-Calais Picardie, Paca), enregistrant une progression impressionnante, si on rapporte le résultat attendu de ses listes hier soir (29,5 à 31 % des voix, selon OpinionWay ou l’Ifop) à celui obtenu aux régionales de 2010 (11,4 %, soit un gain de 18 à 19 points). La droite, qui avait pourtant mis toutes les chances de son côté en réalisant l’union entre « Les Républicains » (LR), l’UDI et le Modem dans la quasi-totalité des régions (à l’exception de Bourgogne-Franche-Comté, où le Modem faisait cavalier seul), en fait en partie les frais en ne parvenant pas à remplir son objectif de sortir en tête du scrutin, avec environ 27 % des voix, hier.

Rapporté à son résultat de 2010 – une année noire pour la droite, qui n’avait conservé que l’Alsace sur les 22 régions métropolitaines d’alors –, le résultat obtenu hier améliore à peine celui des seules listes de l’UMP et du Nouveau Centre (26 % il y a six ans), et est inférieur au total des voix de droite (30,2 %), Modem inclus, qui présentait ses propres listes à l’époque. Mais ce n’est rien comparé au recul du total des voix de gauche – qui avait, il est vrai, atteint un niveau historique en 2010, avec 53,6 % des suffrages exprimés, extrême gauche incluse. Dimanche, ce total n’aurait pas dépassé 34 à 35 % des voix, soit un recul de près de 20 points. La chute est rude au PS, avec des listes qui plafonnent à environ 23 %, contre 32,2 % pour celles conduites par des socialistes ou apparentés en 2010.

Les appels du premier ministre Manuel Valls à faire barrage au Front national au nom de la défense de la République, renforcés encore après les attentats, n’ont produit qu’un effet limité, permettant au PS de limiter la casse au premier tour en sauvant sa première place dans la région Aquitaine-Limousin-Poitou-Charentes. Mais il est nettement devancé par la droite et le FN en Auvergne-Rhône-Alpes (23,1 % pour Queyranne, contre 31 % pour Wauquiez, et 26,7 % pour le FN, selon TNS-Sofres), en Nord-Pas-de-Calais-Picardie (18,3 %, contre 24,5 % pour Xavier Bertrand, et 41,4 % pour Marine Le Pen) et en Paca (15,8 %, contre 25,3 % à Estrosi et 41,5 % à Maréchal-Le Pen). Dans ces deux dernières régions, ses candidats, arrivés troisième derrière le FN et la droite, se trouvaient hier dans le dilemme tant redouté.

Soit se maintenir au second tour (ils en ont la possibilité formelle, ayant franchi la barre nécessaire des 10 %), en fusionnant le cas échéant avec les listes du Front de gauche et des Verts ayant franchi les 5 %, arguant d’une addition des voix supérieure à la liste unie de la droite et du centre en Nord-Pas-de-Calais-Picardie (28,4 % pour l’ensemble PS-Front de gauche- EELV). Soit se désister purement et simplement – et donc renoncer à tout élu dans ces deux régions pour six ans – pour minimiser les chances du FN de l’emporter en triangulaire au second tour. La droite, arrivée deuxième hier, dans ces deux régions, a en effet annoncé avant l’élection qu’elle ne se désisterait nulle part. Quant à la fusion « technique » de ses listes avec la gauche pour permettre à celle-ci de conserver une représentation régionale et de faciliter le report de ses voix, le président de LR, Nicolas Sarkozy, a catégoriquement exclu cette hypothèse, la semaine dernière.

Hier soir, à l’heure où ces lignes étaient écrites, un bureau national du PS devait statuer sur la question. Quant aux autres listes de gauche, Front de gauche et Europe Écologie-les Verts (EELV), elles n’échappent pas aux vents contraires, même si la situation est contrastée entre ces deux forces politiques et en fonction des régions. En cumul, avec 10 à 11 % des voix au plan national, le score d’EELV et du Front de gauche (qui avaient réalisé l’union en tout ou partie dans quatre régions et se présentaient séparément dans neuf autres) est très en recul sur celui de 2010 (18 %). Mais la stratégie d’alors était bien di¤ érente, le Front de gauche se présentant seul dans 17 régions sur 22, il y a six ans (les communistes avaient choisi l’union au premier tour avec le PS dans les 5 autres régions), quand EELV présentait ses propres listes séparées dans les 22 régions. Avec 4,5 % des voix au seul Front de gauche hier soir, selon OpinionWay, et sous réserve d’un inventaire plus précis région par région en fonction des listes parfois di¤ érentes sur lesquelles se présentaient ses formations (c’était le cas en Auvergne-Rhône-Alpes et en Nord-Pas-de-Calais-Picardie), celui-ci paraît limiter la casse par rapport à son score de 2010 de 6,2 % (6,95 % sur les seules 17 régions où il était présent). Il passerait la barre des 5 %, notamment en Nord-Pas-de- Calais-Picardie (5,5 %, selon TNS-Sofres) et en Auvergne-Rhône-Alpes (5,2 %).

Échouant à inverser la hiérarchie à gauche – un objectif qu’elle s’était fixé –, la liste EELV-Front de gauche en Paca obtiendrait 7 % des voix. Pour EELV, le coup est plus rude, passant nationalement de 12,2 % en 2010 – un très bon score à l’époque – à 6,5 % hier. Les écologistes paient le prix de leurs divisions internes sur la ligne à tenir vis-à-vis du gouvernement et du reste de la gauche, et en particulier du Front de gauche, après le départ de parlementaires, peu nombreux mais très médiatiques, et hostiles à un rapprochement avec ce dernier.

Sébastien Crépel ; Editorial de L’Humanité


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