Proche-orient : vieux démons et capitalisme d’aujourd’hui

jeudi 10 décembre 2015.
 

Dans une région en proie au chaos, des idéologies que l’on croyait disparues reviennent sur le devant de la scène  : intégrisme religieux, djihadisme et tribalisme exploités par les puissances locales ou occidentales.

Qui aurait imaginé, au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, au moment où se mettait en place avec l’ONU un système de concertation et de sécurité accepté par toutes les nations, que le XXIe siècle serait celui du retour de ces vieux démons que l’on croyait vaincus ? Parmi les conflits qui ensanglantent la région, commençons par le plus ancien  : celui qui oppose Israéliens et Palestiniens sur la terre de la Palestine historique, que la Société des Nations avait confiée à la Grande-Bretagne pour la conduire à l’indépendance (1). Aujourd’hui, Londres revient en force à sa vieille pratique coloniale « diviser pour régner » : Tony Blair joue les médiateurs dans les discussions en cours en Turquie entre le Hamas et Israël pour créer dans la bande de Gaza un État à part, dirigé par le Hamas, qui en ferait un État islamique. Ce serait la fin du projet d’État palestinien laïc et démocratique promis par Yasser Arafat et pour lequel le peuple palestinien a mené tant de combats.

A Jérusalem, l’escalade 
politico-religieuse encouragée 
par Netanyahou

C’est peut-être l’un des buts des affrontements en cours en Cisjordanie que d’arrêter cela. Factuellement, pourtant, ils ont été déclenchés à Jérusalem par le comportement d’extrémistes israéliens sur l’esplanade des Mosquées  : des intégristes juifs réunis en une secte, les Fidèles du Mont du Temple, et des colons ont multiplié les provocations, envahissant le site où il leur est pourtant interdit de prier aux termes d’un accord israélo-palestino-jordanien qui régit l’accès à ce lieu saint, censé être sous la protection du roi de Jordanie. En fait, c’est la police et l’armée israélienne qui le régissent, laissant y pénétrer de dangereux fanatiques qui rêvent de détruire la mosquée Al Aqsa pour la remplacer par une réplique du temple de Salomon.

Une escalade politico-religieuse que Netanyahou, le premier ministre israélien, encourage en sous-main. Il est en cela le parfait héritier de Vladimir Jabotinsky, leader de l’aile droite du mouvement sioniste et inventeur du « mur d’acier  » derrière lequel il voulait enfermer les Palestiniens après les avoir expulsés. Pour l’historien Shlomo Sand, « les mythes sont ce qu’il y a de plus destructeur au Proche-Orient, et parmi eux, celui de la Terre promise aux Juifs ».

L’«  EI  », fils monstrueux 
de George Bush et de Ben Laden

L’autre offensive politico-religieuse qui sidère le monde entier, tout près de là, c’est l’offensive de «  l’État islamique  » (« EI ») en Syrie et en Irak pour établir un «   califat islamique ». Là encore, c’est une régression d’autant plus redoutable qu’elle use des techniques les plus modernes tant en matière d’armement que de propagande et de financement. L’« EI », né en Irak en 2006 d’une scission d’al-Qaida, est le fils monstrueux de George Bush et de Ben Laden. Son chef Al Baghdadi, redoutable expert en barbarie, a compris que semer la terreur reste un excellent moyen de conquête. Cela marche encore mieux si c’est au nom d’Allah dans des pays affaiblis aux populations déboussolées  : l’un détruit par l’occupation américaine et l’autre par la guerre intestine. L’« EI » ramasse la mise en ravivant les vieux antagonismes qu’on croyait oubliés entre chiites et sunnites, tant en Irak qu’en Syrie, où une mosaïque de minorités sont dressées les unes contre les autres. On pense alors à la Libye où l’intervention sarkozienne a livré le pays au tribalisme généralisé, avec la réapparition de sectes islamistes comme les Senoussi et l’installation d’un autre califat de l’« EI » où Bernard-Henri Lévy devrait logiquement avoir sa statue.

La Turquie 
« autoroute du djihad »

Autre démon inquiétant, celui qui ressurgit dans la Turquie de Tayyip Erdogan et son parti AKP. Il avait, lors de sa prise de pouvoir il y a douze ans, fait patte de velours pour amadouer l’Union européenne. Mais il se montre de plus en plus islamiste et autoritaire, avec une ambition régionale effrénée  : on ne peut plus en douter au vu des récents événements, « l’ottomanisme » et le « panturquisme » sont de retour. Erdogan a tenté d’influencer tous les printemps arabes dans le sens de la mise en place de régimes islamiques. Il a coupé les ponts avec l’Égypte quand ses amis les Frères musulmans ont été expulsés du pouvoir par un coup d’État. Il rêvait de les voir s’établir à Damas et n’est pas pour rien dans l’afflux des djihadistes en Syrie : c’est par la Turquie qu’ils passent, avec armes et bagages, et elle leur sert de base arrière. C’est « l’autoroute du djihad ». Il mène en outre une politique criminelle à l’égard des Kurdes, qu’il réprime et attaque tant en Turquie qu’en Syrie, rappelant les pires heures de l’histoire d’un État qui n’a jamais su respecter ses minorités ethniques, quand il ne les a pas massacrées comme les Arméniens.

Ce qui permet le retour de tous ces démons qui menacent la paix, c’est l’injustice flagrante d’un monde dominé par un nouveau colonialisme appuyé sur les États-Unis, l’UE et l’OTAN. Depuis l’effondrement de l’URSS, le monde leur est livré sans partage, sans garde-fou. Quant à l’ONU, elle n’a plus grand-chose à dire, sauf à cautionner après coups des opérations militaires aventureuses dont on peut craindre les retombées tragiques. Ici et partout.

Françoise Germain-Robin Mardi, 24 Novembre, 2015 L’Humanité

(1) C’est la Grande-Bretagne qui, avec 
la France lors des accords Sykes-Picot, 
avait décidé du tracé des frontières 
des États détachés de l’empire Ottoman, 
au tracé catastrophique.


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