D’où viennent les milliards de dollars de l’« État islamique » ?

mardi 1er décembre 2015.
 

Grâce aux transactions pétrolières et commerciales, au contrôle des banques, à la fiscalité et aux dons en provenance des pétromonarchies, soit plusieurs milliards de dollars, Daech dispose d’un vaste réseau de ressources lui permettant de financer sa machine étatico-militaire et policière.

Comment l’« État islamique » (« EI »), qui administre un territoire de plus de 200 000 km² à cheval sur la Syrie et l’Irak sur lequel vit une population estimée à une dizaine de millions de personnes, fait-il pour faire marcher sa machine administrative, policière et répressive et faire fonctionner les services publics servant ses objectifs d’« État idéal et pur » ? Des spécialistes du renseignement et autres experts estiment les besoins de financement de l’« EI »à quelque 3 millions de dollars par jour, peut-être plus.

En effet, cet « État » ou prétendument tel, qui ne ressemble à nul autre, pas même à l’Arabie saoudite qui lui a sans doute servi de modèle et qu’il veut dépasser, doit assurer les salaires mensuels, entre 400 et 600 dollars, de ses dizaines de milliers de combattants et la logistique qui va avec, dont ses services de renseignements. Il doit financer les pensions accordées aux familles des martyrs (plus de 10 000 selon Washington), comme l’Humanité en a été témoin dans la région de Kasserine en Tunisie où des familles de djihadistes tués en Syrie perçoivent des mensualités leur permettant de vivre. L’« EI »dépense énormément pour acheter des armes, des munitions et des pièces de rechange pour les véhicules de son armée. Et pour payer les fonctionnaires de la police et de la justice islamique.

Daech doit surtout assurer le financement de son énorme machine administrative, la gestion des villes et villages, les établissements scolaires, les services de santé où sont soignés des milliers de blessés, et l’importation des médicaments et du matériel médical et ses moyens d’information et de propagande. De ce fait, la place de l’outil informatique pour mener le djihad médiatique (voir l’Humanité d’hier) et gérer l’image de Daech sur les ­réseaux sociaux, voire la production de vidéos et de blockbusters, nécessite des moyens d’investissements lourds que ne peut s’offrir par exemple un pays comme la Côte d’Ivoire.

Les djihadistes se bornent à assurer le strict minimum aux populations

En résumé, l’« EI » a donc besoin de beaucoup d’argent. Son budget de fonctionnement est estimé à plus de 2 milliards de dollars. Et en matière de gestion des finances – Daech ne fait pas dans les dépenses somptuaires à l’image des monarchies du Golfe ou de certaines dictatures arabes ou du tiers-monde – c’est presque un modèle d’orthodoxie et d’austérité financières. Ainsi, en matière de satisfaction des besoins des populations, les djihadistes se bornent à assurer le strict minimum, à savoir un véritable rationnement alimentaire et vestimentaire. Tout ce qui est jugé illicite et impie (télés, radios, jeux vidéo et autres loisirs) est proscrit au nom de la charia, sous peine de sévères sanctions.

Au regard de ce tableau, d’où proviennent les ressources financières de l’« État » dirigé par le calife autoproclamé Al Baghdadi ? À en croire les renseignements américains, en étendant son contrôle sur le nord de l’Irak, Daech aurait fait main basse sur 15 % du PIB (produit intérieur brut) irakien, soit 35 milliards de dollars, dont le pétrole constitue plus de 80 %. La rente pétrolière, exploitation et commercialisation de l’or noir irakien et syrien, soit une douzaine de champs pétroliers (d’autres sources citent le chiffre de 28), soit une production de 40 000 barils par jour, vendue 50 % moins cher que sur le marché, rapporterait entre 1,2 et 1,5 million de dollars par jour. Ce pétrole est commercialisé via la Turquie vers le port de Ceyhan. Selon Pierre Terzian, de Pétrostratégies, cité par Mediapart, cette transaction est favorisée par la Turquie dans un but politique : affaiblir Damas. Et selon l’ambassadrice de l’UE en Irak, Jana Hybaskova, même des pays membres de l’UE ont acheté ce pétrole servant à financer Daech. En plus des revenus pétroliers, citons l’argent des dizaines d’établissements bancaires et financiers des villes conquises par l’« EI » dont le montant total représenterait plus d’un milliard de dollars, peut-être plus.

L’autre source de financement, ce sont ces généreux donateurs des monarchies du Golfe, grâce auxquels sont assurés les salaires des djihadistes de «  l’armée de la conquête  » et dont une partie est reversée – fraternité islamiste oblige – à leurs grands frères de Daech. Comme le sont d’ailleurs les achats d’armes pour les groupes djihadistes dit modérés (en quoi le sont-ils  ?), armes qu’on retrouve très vite chez les combattants de Daech.

Fiscalité, racket  : une source 
de revenus pour le califat

La fiscalité et le racket mis en place par l’« EI » procurent aussi énormément d’argent. Tout ce qui rentre ou transite dans les territoires sous contrôle de l’« EI »est ponctionné, comme le pétrole transitant par pipeline en direction de la Turquie, ou les produits commerciaux taxés, selon une enquête de M6, entre 5 et 10 %. Les produits des PME et PMI, qui continuent de commercer avec les régions et pays voisins, sont également taxés. Le tout procurerait plus d’un milliard de dollars de revenus. Enfin le racket des non-musulmans, chrétiens entre autres, soumis à la djazya, la ponction des salaires des fonctionnaires (50 %), le trafic des objets d’art et autres produits de contrebande, sont autant de sources de revenus pour le califat d’Al Baghdadi.

La grande énigme demeure celle de savoir comment circule tout cet argent ?

Sans doute pas via des valises bourrées de dollars, de rials saoudiens ou de lires turques. Enfin avec le peu d’empressement mis par la communauté internationale – cela s’est vu au sommet du G20 qui s’est borné à appeler ses membres à « priver les terroristes des financements dont ils dépendent » – l’organisation d’Al Baghdadi a encore de la marge devant elle.

Hassane Zerrouky, L’Humanité


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