Le réchauffement climatique risque de libérer les malsains hydrates de méthane

mardi 17 novembre 2015.
 

Peu connus, les hydrates de méthane, gaz renfermé dans les sols gelés et les fonds marins, font l’objet de nombreuses expéditions scientifiques dans un contexte de réchauffement climatique qui les rend instables.

Le réchauffement climatique risque-t-il d’enflammer le dossier de la glace qui brûle  ? Le 30 septembre dernier, le Pourquoi pas  ? rentrait au port au terme d’une mission de quinze jours sur les eaux roumaines de la mer Noire. À bord de ce navire océanographique, une quarantaine de scientifiques, géologues et chimistes européens ont étudié de près ce gaz peu connu, plus scientifiquement nommé hydrate de méthane. Issues de la décomposition des matières organiques, ces «  bulles  » de méthane se sont retrouvées, au fil des siècles, encerclées, piégées par la glace. En clair, les hydrates de méthane sont un gaz à l’état solide. «  C’est de la glace, qui, lorsqu’elle se décompose, qu’elle fond, libère les molécules de gaz qu’elle renferme  », explique Nabil Sultan, chercheur à l’Ifremer et initiateur de la mission scientifique en mer Noire.

Découverts dans les années 1970 par les Russes, ces hydrates de méthane, présents uniquement dans les pergélisols (terres gelées) et dans les grands fonds marins, sont longtemps restés à la marge des recherches scientifiques et leur étude réservée seulement à quelques missions ultraspécialisées. Mais depuis quelques années, les choses s’accélèrent et, dans un contexte étroitement lié au réchauffement climatique, les publications relatives aux hydrates de méthane suivent une courbe exponentielle. Pourquoi  ? Parce que «  la stabilité de ces gaz n’est garantie qu’à très forte pression (celle des fonds marins) ou à très basse température (celle du pergélisol)  », répond Nabil Sultan. «  Une simple variation de température peut suffire à les déstabiliser, dégageant ainsi de grandes quantités de méthane  ».

Le méthane, un gaz à effet de serre plus malsain que le CO2

Deux scénarios sont alors envisageables, le premier, se jouant au fond des mers – c’est d’ailleurs tout l’objet de la mission en mer Noire –, le second à la surface des terres glacées. «  Les hydrates de gaz, quand ils sont dissociés ou décomposés, peuvent générer dans les fonds marins des déformations sédimentaires, des glissements. Et si un petit glissement sur le fond n’aurait que peu d’effets, une décomposition de ces hydrates de gaz à une échelle plus large pourrait être à l’origine de tsunamis  », détaille le chercheur. Quant aux calottes glacières, «  un article, publié en 2012 dans la revue Science, révèle une présence massive d’hydrates de méthane en Antarctique. Le réchauffement climatique, en entraînant la réduction de cette calotte glacière, peut libérer une grande quantité de méthane dans l’atmosphère  ». Sachant qu’il s’agit là d’un gaz à effet de serre «  dont le pouvoir réchauffant est 20 fois supérieur au dioxyde de carbone (CO2)  », un dégazage d’ampleur accentuerait inévitablement le phénomène. «  On appelle cela une rétroaction positive sur le réchauffement climatique  », poursuit Nabil Sultan. Par ailleurs extrêmement inflammables, les hydrates de méthane renfermés dans les sols pourraient s’avérer être, à proximité de zones habitées, un facteur de risque très important.

La mission à bord du Pourquoi pas  ? a permis aux scientifiques d’effectuer de nombreux prélèvements par carottages afin de quantifier les hydrates de méthane sur certaines zones et d’en étudier la stabilité en fonction des variations de température. Au fil des explorations, la cartographie se précise. Et désormais une chose est sûre  : ces gaz particuliers sont partout, sur toutes les marches continentales, dans chaque delta, du golfe de Guinée aux terres de l’Alaska. La question, dès lors, devient inévitable  : les hydrates de méthane deviendront-ils une nouvelle source d’énergie, un combustible fossile à classer «  non conventionnel  », au même titre que les sables bitumineux, les pétroles et les gaz de schiste  ? Le Japon y travaille, l’Amérique du Nord (États-Unis et Canada) aussi. En Europe, l’Allemagne finance également des études prospectives. Mais, pour l’heure, les tentatives d’exploitation ne se sont pas révélées concluantes. «  Il y a eu deux expériences, menées par le Japon d’une part, les États-Unis et le Canada d’autre part. Dans les deux cas, la production de gaz n’a duré qu’une semaine, la technologie n’étant pas pour l’heure assez fiable  », explique Nabil Sultan. Peu probable pourtant que les pétroliers, vu les quantités de gaz recensées, s’en tiennent à des échecs. Et bien que dangereuse et hasardeuse, l’exploitation des hydrates de méthane pourrait très vite devenir une des énergies sales à surveiller de près.

Marion d’Allard, L’Humanité


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