Vénézuéla : défaite des Chavistes lors des législatives

samedi 12 décembre 2015.
 

C) VENEZUELA : Pour tenter de comprendre ! (Thierry Deronne)

Avec l’élection de deux tiers de députés de droite vient de se répéter le scénario médiatique qui accompagna la défaite électorale des sandinistes au Nicaragua en 1990. Le pays semble rentrer dans l’ordre néo-libéral, on reconnaît que la « dictature » est une démocratie, on félicite les perdants pour leur reconnaissance immédiate des résultats.

Mais pourquoi Caracas, au lendemain du scrutin, était-elle si triste ? Pourquoi une telle victoire n’a-t-elle déclenché la moindre liesse dans le métro, dans les rues ? Comment comprendre la mobilisation de collectifs populaires, ou que les syndicats se déclarent en « état d’urgence », alors qu’il y a trois jours une partie de même cette base populaire ne s’est pas mobilisée en faveur des députés bolivariens ?

Dès l’élection de Chavez en décembre 1998, nombre d’institutions révolutionnaires se sont peuplées du « chiripero » – surnom donné à la masse d’employé(e) qui troquèrent en 24 heures la casquette du populisme des années 90 pour une chemise rouge (alors que souvent les révolutionnaires authentiques étaient écartés). L’angoissante guerre économique a rendu insupportables la corruption et la surdité de ce secteur de fonctionnaires face à l’exigence d’une protection forte, d’un État plus efficace, plus participatif, travaillant à écouter les citoyen(ne)s.

Parallèlement, le « changement » promis par la droite a été interprété comme la fin de la guerre économique : les rayons des magasins se rempliraient de nouveau, les files disparaîtraient avec le retour du secteur privé au pouvoir. Or les leaders de l’opposition ont d’ores et déjà annoncé qu’il ne sera pas possible de régler le « problème économique » à court terme et que la priorité sera d’appliquer un programme visant à « modifier » les lois et acquis sociaux. Fedecámaras, organisation des commerçants et des chefs d’entreprises du secteur privé, demande à l’assemblée nationale d’annuler la Loi du Travail (1).

En ligne de mire : les hausses de salaire, la protection des travailleurs contre les licenciements, les conditions trop favorables des congés de maternité, la réduction de la durée du travail, les samedis libres, le paiement des heures sup, les bons d’alimentation. Les syndicats annoncent déjà des mobilisations de rue, réclament la nationalisation de la banque. Menacée et traitée de « cloaque » par le leader de l’opposition Ramos Allup, la chaîne parlementaire ANTV vient d’être remise intégralement à ses travailleurs par le gouvernement, et le président Maduro décrètera une loi pour protéger les travailleurs du service public, en étendant l’interdiction de licenciement de 2016 à 2018. Assemblée populaire en cours à Caracas La droite – elle ne s’en cache pas – veut revenir sur la plupart des acquis de la révolution (loi de contrôle des prix, loi des semences anti-OGM, loi de la réforme agraire, de protection des locataires, éducation gratuite, santé gratuite, construction de logements publics, pensions…), organiser avec les États-Unis la privatisation du pétrole et des autres ressources du pays, annuler les accords de coopération énergétique avec les pays plus pauvres des Caraïbes et de tout autre accord qui défie la vision unipolaire de Washington (PetroCaribe, ALBA, etc..), etc… Elle annonce aussi une « amnistie » pour les militants et le leader de “l’Aube Dorée” locale Leopoldo Lopez, organisateurs de violences meurtrières – celles de 2013 ont fait 43 morts, la plupart dans le camp bolivarien, et six membres des forces de l’ordre tués par balles. Ce sont eux que les médias internationaux appellent des “prisonniers d’opinion” au motif qu’ils appartiennent à l’extrême droite. Pour réaliser tout cela au plus vite, la droite cherchera, dans les mois qui viennent, à destituer le président bolivarien par un coup parlementaire comme celui subi par Fernando Lugo au Paraguay.

Faire la révolution n’est pas simple

On voit la difficulté de construire une révolution socialiste sans démocratiser la propriété des médias, sans s’émanciper de cette prison culturelle de consommation massive, d’invisibilisation du travail, de fragmentation du monde, de passivité du spectateur. Le récent « rapport sur l’imaginaire et la consommation culturelle des vénézuéliens » réalisé par le ministère de la culture est en ce sens une excellente analyse politique. Il montre que la télévision reste le média préféré et que la majorité associe le Venezuela à l’image de Venevision ou Televen : « jolis paysages/jolies femmes ». Comment mettre en place une production communale à grande échelle, sans la corréler avec un imaginaire nouveau où la terre n’est plus la périphérie de la ville mais le centre et la source de la vie, de la souveraineté alimentaire ? Comment transformer des médias en espaces d’articulation et d’action populaire, de critique, de participation, si le paradigme anglo-saxon de la communication sociale (« vendre un message à un client-cible ») reste la norme ?

En conclusion

Une immense bataille commence, et deux issues sont possibles : soit un repli du camp bolivarien, avec répression des résistances sociales (l’histoire répressive (2) et les liens de la droite vénézuélienne avec le paramilitarisme colombien et la CIA sont bien documentés (3) ), vague de privatisations, retour à l’exploitation et à la misère des années 90, et silence des médias internationaux – comme lors du retour des néo-libéraux au Nicaragua de 1990 à 2006.

Soit les politiques de la droite serviront de fouet à la remobilisation populaire que Nicolas Maduro a appelée de ses vœux en provoquant la démission du gouvernement et en organisant une réunion avec les mouvements sociaux et le Parti Socialiste Uni (PSUV). Malgré l’usure de 16 ans de pouvoir et ces deux dernières années de guerre économique, la révolution bolivarienne conserve un socle remarquable de 42 % des suffrages. Même si les deux tiers des sièges parlementaires donnent à la droite une grande marge d’action, le chavisme dispose pour l’heure du gouvernement et de la présidence, de la majorité des régions et des mairies, et de l’appui d’un réseau citoyen – conseils communaux, communes, mouvements sociaux. Si le président réussit à repartir rapidement sur des bases nouvelles, sans diluer ses décisions dans une négociation interne entre groupes de pouvoir, si toutes ces énergies de transformation se reconnectent et agissent en profondeur, la leçon aura été salutaire.

Thierry Deronne, Caracas, 9 décembre 2015

B) Le climat de tension imposé par les putschistes et la CIA a déstabilisé les Chavistes

Il y a des nuits maudites... Des heures à attendre, inquiet, très inquiet, les résultats des élections législatives au Venezuela bolivarien. 19 millions d’électeurs... 167 députés... A six heures et des poussières, et cinq tasses de café, la télé vénézuélienne nous assomme...

Le président Maduro s’adresse au peuple. L’opposition gagne 99 sièges sur 167, soit les deux tiers... Quelques circonscriptions manquent encore à l’appel. Mais la victoire est nette... Le sang ne coule pas dans les rues comme l’avaient annoncé les intégristes de la charia néo-libérale. Seuls le PSUV et le Grand Pôle Patriotique s’étaient engagés, sur proposition de l’Unasur, à respecter le résultat, quel qu’il soit. Les démocrates putschistes du 11 avril 2002, de la très démocratique MUD, ont refusé quant à eux de s’y engager. Ils ne pouvaient que gagner ; s’ils perdaient, ce ne serait que par « la fraude » de ces tricheurs de chavistes... Managés par Washington et l’Internationale socialiste, ils devaient l’emporter. Peu importaient les urnes ... Ils préparaient ainsi le terrain à un éventuel bain de sang, à un « golpe » violent, si les résultats leur avaient été défavorables. Ces « démocrates » portent la haine des « rouges », des « révolutionnaires » dans leur ADN. Alors : la revanche ou le chaos ! Que ce serait-il passé si les chavistes avaient perdu leur sang froid ?

Grâce à leur civisme, les élections se sont déroulées dans le plus grand calme et la proclamation des résultats aussi. Qui sont les démocrates ? Qui a respecté la démocratie, la Constitution ?

Le président Maduro, élu le 14 avril 2013 à la suite du décès de l’irremplaçable Hugo Chavez, grave et serein, a reconnu et accepté la défaite, la victoire de l’hétéroclite MUD (trois partis affiliés à l’Internationale socialiste, des formations d’extrême droite, etc.), dont le seul programme est la revanche de classe et l’anti-chavisme. Ceux qui comme « El Pais », « Le Monde », prévoyaient « une déroute sans précédents » exultent ; cependant, les résultats relèvent d’une sanction populaire mais pas d’un raz-de-marée libéral.

L’impérialisme qui avait décrété le Venezuela le 9 mars 2015 « menace inhabituelle et extraordinaire » pour la sécurité des Etats-Unis, n’est pas débarrassé d’un chavisme qui doit se renouveler, se remettre en cause, balayer la corruption, la bureaucratie. Le chavisme continue à porter le seul programme de transformation crédible, cohérent, radical, populaire.

Manuel Valls, docteur es démocratie, peut également, et momentanément, se réjouir, lui qui avait, le 15 octobre 2015, reçu l’épouse du putschiste Leopoldo Lopez, emprisonné, et avait déclaré : « enfermer un démocrate, c’est trahir la démocratie ».

Comme jadis au Chili de Salvador Allende, ces démocrates si peu démocrates ont réussi, au-delà des erreurs des chavistes, à déstabiliser, et même à saigner l’économie, à provoquer des pénuries ; celles-ci ont fatigué la population contrainte à des heures de queue, à des files d’attente interminables. En quelques mots, les chavistes étaient au gouvernement, mais n’avaient pas l’essentiel du pouvoir. Ils n’ont pu faire face à la spéculation, notamment sur les prix, la monnaie, à la contrebande, à une inflation redevenue galopante. Le climat de tension, de violence sourde, les sabotages, la guerre idéologique et économique, les manques d’approvisionnement, les mensonges, entretenus par l’opposition, ont pesé fortement sur les urnes. Aucun processus historique n’est définitif ; la révolution bolivarienne doit désormais faire face à une cohabitation entre une opposition agressive, négative, et un président légitime, déterminé, qui a assumé et continue d’assumer ses responsabilités au nom du peuple.

Jean Ortiz

Pour comprendre le rôle des médias au service de la droite vénézuélienne : "Rouges, les collines de Caracas", polar historique.

Envoyé dédicacé à domicile par la librairie de la Renaissance : librairie de la Renaissance http://www.librairie-renaissance.fr...

A) Venezuela. Le chavisme à la croisée des chemins

Les élections législatives de dimanche s’annoncent délicates 
pour la majorité sortante, au pouvoir depuis 1998, en raison 
de la détérioration économique orchestrée par le patronat.

Le président Hugo Chavez n’est plus. Mais la figure tutélaire de la révolution bolivarienne est omniprésente dans les rassemblements du Parti socialiste uni du Venezuela (PSUV) au pouvoir. L’est-elle davantage, en cette veille d’élections législatives si cruciales, pour le Grand Pôle patriotique, qui regroupe près de 18 formations politiques, et qui joue ce 6 décembre la poursuite des réformes d’inclusion sociale et de transformation du pays au sein de l’Assemblée nationale  ? L’opposition rassemblée au sein de la Table de l’unité démocratique (MUD), mais toujours divisée sur la stratégie à déployer pour déboulonner le processus à l’œuvre depuis 1998, parviendra-t-elle à ses fins dans les urnes  ? Aucun scrutin n’est écrit d’avance, sauf à l’époque de la IVe République, lorsque les grands partis traditionnels, Action démocratique et Comité de participation électorale indépendante, se partageaient le pouvoir à coups de bourrages d’urnes ou de défonçages de bureaux de vote défavorables. Ce temps est désormais révolu mais le chavisme ne cesse de rappeler les dangers d’un possible retour aux affaires de la droite. La guerre d’usure marque 
des points…

Dans le centre de Caracas, au pied du ministère populaire de l’Éducation nationale et de l’Enseignement supérieur, les militants du PSUV s’activent devant un stand qu’ils ont baptisé «  la maison de la vérité  ». À l’entrée, on peut y voir un Oncle Sam grimé en diable. «  Ce pays est à vendre  », proclame une pancarte, en référence aux richesses pétrolières bradées à la première puissance mondiale, qui avait ses quartiers au Venezuela grâce à la bienveillance d’une oligarchie corrompue. Le visiteur est invité à revivre les événements tragiques des années sombres du néolibéralisme au travers de reproductions de journaux de l’époque. Des photos plus récentes mettent en scène les guarimbas (protestations violentes – NDLR) de 2014, lorsque l’opposition a monté dans les grandes villes, et principalement à Caracas, des barricades dans une vaine tentative de renverser le gouvernement et le président Nicolas Maduro. Cette stratégie de violence, baptisée «  la sortie  », s’est soldée par la mort de 48 personnes, dont plusieurs agents de la garde nationale bolivarienne, et conduit en prison l’un de ses principaux instigateurs, Leopoldo Lopez, que la majorité des médias présente comme une victime d’un pouvoir absolutiste. Si les affrontements ont baissé d’un cran, la tension est toujours à son comble. Et, depuis, le pays vit suspendu à une crise économique qui se traduit par une inflation galopante, une spéculation débridée sur les produits de première nécessité, quand ces derniers ne viennent pas à manquer. Ces pénuries orchestrées, dans un contexte de chute vertigineuse des devises en raison de la baisse du cours des prix des matières premières, frappent, en premier lieu, les couches populaires, majoritairement acquises au chavisme. Elles façonnent l’exaspération car le quotidien se conjugue depuis un an par de longues files d’attente devant les magasins et les banques dans l’espoir de saper le moral et pousser dans les bras de l’abstention un électorat marqué à gauche. «  Sans esprit triomphaliste, nous espérons que le peuple ratifie, comme il l’a fait depuis dix-sept ans, le projet socialiste dans ce contexte économique difficile. Il nous faut rectifier la situation. Mais comment  ? Faut-il tuer le président, comme le souhaite l’opposition, ou donner un nouvel élan depuis l’interne à un projet viable dans des conditions adverses  ?  » fait mine de s’interroger Juan Carlos Rodriguez, militant du PSUV. Depuis 1998, date de la première élection d’Hugo Chavez, il rappelle tous les coups tordus auxquels le chavisme a été confronté  : le putsch de 2002 contre le président, le lock-out pétrolier de 2003, le boycottage électoral de l’opposition dans l’espoir de discréditer le scrutin de 2005, les campagnes médiatiques à charge contre la majorité bolivarienne ou encore les sanctions imposées début 2015 par Washington au prétexte que le Venezuela constituerait «  une menace  » pour les États-Unis. «  Le président Maduro endosse la responsabilité des problèmes mais il n’est pas coupable du fait que la bourgeoisie contrôle le commerce national. Elle a la mainmise sur la distribution et la commercialisation des produits et peut ainsi les dévier à des fins politiques ou spéculatives  », poursuit-il, non sans rappeler qu’au Chili le président socialiste Salvador Allende dut, lui aussi, affronter un scénario semblable dont l’objectif était de retourner contre lui une opinion publique qui lui était pourtant favorable.

Si aucun sondage ne permet de dessiner les contours de la future Assemblée, ce climat délétère ne joue pas en faveur de la majorité sortante, qui comptait 99 députés contre 69 pour l’opposition. Dans l’est chic de Caracas, les jeux sont faits. Dans les beaux quartiers huppés, la droite y est naturellement chez elle. On peut même y voir des pochoirs demandant le retour de Manuel Rosales, l’ancien candidat à la présidence de 2006, un temps en exil et aujourd’hui en prison pour corruption, au grand dam de la MUD qui l’accuse de vouloir voler la vedette à Leopoldo Lopez  ! Andrea et Erylin n’ont jamais voté pour l’actuelle majorité présidentielle. Dimanche, elles se prononceront pour «  un autre changement  », disent-elles en chœur, selon la formule consacrée par la droite, au motif de «  l’insécurité, le dollar parallèle inaccessible, les pénuries  ». À quelques kilomètres de là, dans le centre de la capitale, là où classes populaires et couches moyennes se disputent le territoire, Rosibel Marquez confie qu’elle va elle aussi voter pour l’opposition sans jamais prononcer le sigle de la coalition. Dans «  la maison de la vérité  », elle raconte ses inquiétudes. Cette mère de famille votait pour le chavisme. Comme nombre de Vénézuéliens, elle a bénéficié des programmes sociaux, les missions mises en place ces deux dernières décennies. Son fils a été opéré de la vue à Cuba dans le cadre de la mission Milagro  ; 800 000 autres ont eu accès à un logement ou encore à la santé et à l’éducation gratuite, des droits aujourd’hui consacrés alors qu’ils étaient hier encore des privilèges pour la majorité de la population. «  J’ai peur et je suis triste. Je ne sais pas ce que va devenir le pays. Je ne sais pas de quoi demain sera fait. J’ai de l’argent mais je ne peux pas acheter les choses dont j’ai besoin. La situation est lamentable  », soupire-t-elle. La guerre d’usure marque des points… «  Le mécontentement est grand. La détérioration de la qualité de vie et des salaires est réelle. Mais, dans les barrios (les quartiers populaires), si le mal être est présent, c’est aussi là que se trouvent les ressorts du chavisme, soutient Neirlay Andrade, du Parti communiste vénézuélien. En dépit de la colère, la droite est encore perçue comme une force d’opposition mais non comme une option de gouvernement.  » À ses yeux les scénarios sont ouverts en raison même du système de scrutin (70 % de sièges sont à pourvoir de manière nominale et 30 % à la proportionnelle). Dès lors, le Grand Pôle patriotique pourrait être minoritaire en voix mais rester majoritaire à l’Assemblée. Ce cas de figure est déjà contesté par l’opposition, l’épouse de Leopoldo Lopez n’hésitant même pas à déclarer que si la MUD n’est pas victorieuse, c’est qu’il y aura eu fraude. De quoi craindre de violents débordements, peut-être même avant l’annonce officielle des résultats.

Miguel Martinez, L’Humanité

Une « Restauration conservatrice » menace le cycle des gouvernements progressistes en Amérique latine (Raphael Correa, octobre 2014)


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