Pressions maintenues sur la Grèce : Malgré l’adoption d’un premier train de mesures, le « quartet » arrive à Athènes et veut plus de « réformes »

jeudi 29 octobre 2015.
 

Les représentants des institutions européennes et du FMI viennent exiger davantage d’Athènes, malgré la récente loi votée au parlement grec. Athènes n’a guère de moyens de résister.

Malgré un important train de réformes voté samedi par le parlement grec, la Vouli, les discussions entre la Grèce et ses créanciers demeurent tendues. Ce mercredi 21 octobre, le « quartet » des institutions, qui remplace la « troïka » avec l’arrivée du Mécanisme européen de Stabilité (MES) en plus de la Commission, de la BCE et du FMI. Dans l’après-midi, la porte-parole du gouvernement grec, Olga Gerovasili, a parlé de « bataille très dure » avec les institutions.

Le cœur de ces batailles concerne les banques grecques. On sait que ces dernières ont été particulièrement affaiblies par les retraits des dépôts bancaires au premier semestre. A cela s’ajoute l’aggravation des créances douteuses qui, selon la Banque de Grèce, représentaient 34,2 % du portefeuille total des banques helléniques à la fin de 2014. Un chiffre aujourd’hui plus élevé et qui le sera encore à l’avenir compte tenu des deux années de contraction du PIB attendu en 2015 et 2016. Moins de dépôts, plus de mauvaises créances : le système bancaire grec doit être renfloué.

La question des banques et les expulsions facilitées

Le mémorandum prévoit une somme de 25 milliards d’euros pour cette recapitalisation. Mais les créanciers entendent évidemment limiter au maximum l’usage de ces fonds. Pour cela, la BCE va mener une revue des actifs (AQR, Asset quality review) dans le cadre de son rôle de superviseur. Une fois le montant nécessaire déterminé, les banques seront renflouées. Mais ce scénario n’est pas sans poser de sérieux problèmes.

Les créanciers réclament que les prêteurs qui ne peuvent rembourser soient expulsés, afin de pouvoir revendre le bien immobilier concerné et établir précisément l’ampleur des pertes à éponger sur chaque prêt. Jusqu’à présent, les ménages avec des revenus modestes étaient protégés des expulsions lorsque leur résidence principale était évaluée à moins de 250.000 euros. Cette mesure a permis à de nombreuses familles frappées par le chômage de conserver un logement. Mais les créanciers voudraient abaisser cette limite pour pouvoir toucher davantage de prêts bancaires. Olga Gerovasili a indiqué que le gouvernement « se bat pour maintenir la protection des résidences principales. »

Le précédent chypriote

Cette question s’était posée à Chypre l’an dernier. Le parlement chypriote avait refusé de durcir les conditions d’expulsion comme l’exigeait la troïka. Finalement, la BCE avait exclu Chypre de son assouplissement quantitatif, faisant de ce durcissement une condition sine qua non pour la réintégration de l’île dans le QE. De son côté, la troïka avait gelé les versements vers Nicosie, plaçant l’île au bord de la faillite. Sous la pression du gouvernement, le parlement avait fini par accepter de rendre les expulsions plus aisées [1].

Les créanciers pas satisfaits des « réformes »

Sur le plan des mesures propres au mémorandum, les créanciers font également la fine bouche. La loi « omnibus » votée samedi incluait 19 mesures sur les 48 attendues par les institutions durant l’automne. Selon le quotidien espagnol El Mundo, ceci a « provoqué une nouvelle préoccupation de la troïka. » [2] Jean-Claude Juncker va en parler à Angela Merkel, toujours selon cette source espagnole, au cours du Congrès de la droite européenne qui se tient actuellement à Madrid. Les créanciers aimeraient donc qu’Athènes aille encore plus vite et vont le faire savoir. L’actuelle visite du quartet aura donc pour but d’évaluer si la seconde loi de novembre sera en mesure de remplir ces objectifs. Plusieurs points sont délicats, notamment le relèvement de 13 % à 23 % de la TVA sur l’enseignement privé. Alexis Tsipras a promis de présenter des « mesures alternatives » pour éviter ce relèvement. La question de la taxation des revenus locatifs est également posée. Le quartet devra évaluer également un des points forts de la loi de novembre : la réforme du système de retraite qui sera sans doute unifiée avec des baisses de pensions pour certains retraités.

Pression toujours aussi forte sur Athènes

Les créanciers n’entendent donc pas, malgré la bonne volonté dont a fait preuve jusqu’ici Alexis Tsipras, relever la pression sur le gouvernement grec. De son côté, Athènes ne semble guère en mesure de résister à leur volonté. L’exemple de Chypre l’an passé prouve assez le peu de possibilité de résistance des pays sous programme. Certes, à Chypre, la résistance ne venait que du parlement, pas du gouvernement, mais comment Alexis Tsipras pourra-t-il résister alors qu’il lui faut absolument les 3 milliards d’euros du MES pour faire face à ses besoins d’ici à la fin de l’année. Et que, sans satisfaire le quartet, il ne pourra pas compter sur deux éléments clés de son programme économique : la restructuration de la dette et l’entrée de la Grèce dans le programme d’assouplissement quantitatif de la BCE. Le gouvernement grec ne va sans doute pas manquer de « se battre » durant cette première visite du quartet, mais à la fin, il faudra passer sous les fourches caudines des exigences des créanciers. Le temps de la lutte s’est achevée le 13 juillet dernier.

Romaric Godin

* « Grèce : le »quartet« arrive à Athènes et veut plus de »réformes«  ». La Tribune. 21/10/2015, 17:43 :

Alexis Tsipras lance un premier train de réformes

Les députés grecs devront voter samedi les premières mesures demandées par les créanciers. La stratégie du « bon élève » demeure.

Alexis Tsipras avait promis aux créanciers de la Grèce d’aller vite. Il a tenu parole. Vendredi 16 octobre, les députés grecs débattront du projet de loi unique intégrant les « actions préalables » au versement des fonds du Mécanisme européen de stabilité dont le pays a besoin en octobre, soit 2 milliards d’euros. Le vote est prévu samedi.

Hausse des taxes, surtout de la TVA

Cette loi collective regroupe de nombreuses mesures, en tout évaluées par le gouvernement grec à 4 milliards d’euros. Elle inclut la ratification de l’accord passé avec les créanciers le 13 juillet dernier et qui va déterminer l’ensemble de la politique économique du pays pour les trois prochaines années. On y trouve surtout des éléments de taxations. Certaines mesures sont conformes à l’ambition de Syriza de « mieux partager » le fardeau budgétaire comme l’augmentation du taux d’imposition des bénéfices de 26 % à 29 %, celui de la taxe sur le luxe de 5 % à 13 %, le rétablissement de la taxe sur la publicité télévisée, le relèvement de la taxe de solidarité et la contribution exceptionnelle des revenus de plus de 500.000 euros. Mais le gros du fardeau continuera à porter sur la modification de la répartition des taux de la TVA qui doit rapporter pas moins de 2,4 milliards d’euros en tout, dont 795 millions sur la seule année 2015.

La réforme des retraites lancée

L’autre grand élément de ce texte, c’est la première étape de la réforme des retraites, avec le report d’ici à 2022 de l’âge légal de départ à la retraite de 65 à 67 ans, la disparition prévue à la même date des retraites anticipées, le relèvement de 4 % à 6 % des cotisations maladies pour les retraites et l’introduction d’une cotisation de 6 % sur les retraites complémentaires. Ces annonces sont déjà fort douloureuses pour les retraités grecs, mais il ne s’agit que d’une première étape. Le gouvernement doit assurer des économies de 1 % du PIB par an, soit 1,8 milliard d’euros sur le système de retraite pour les prochaines années. Un comité doit déterminer des pistes et les soumettre ce jeudi au ministère du travail. Selon le quotidien grec To Vima, ce comité préconise de réduire les frais de fonctionnement et d’unifier les onze régimes existants. Il demande également des coupes plus modérées dans les retraites, alors que le gouvernement envisagerait de fortes baisses pour les retraites de plus de 1.000 euros. Le choix devra être fait dans les jours qui viennent, mais il sera impossible d’éviter de nouvelles baisses de retraites.

Quelques retouches

Le texte ne devrait pas poser de problème au gouvernement. La majorité parlementaire d’Alexis Tsipras est stable. Le premier ministre a cependant dû revenir sur une décision pour s’assurer de la fidélité de ses troupes. La taxation des revenus locatifs devait être relevée de 11 % à 15 % en dessous de 12.000 euros, et de 33 % à 35 % au-dessus. Le gouvernement y a finalement renoncé... pour l’instant. La mesure a été retirée du texte, mais elle devrait revenir dans le prochain paquet de réforme en novembre. C’est un premier signe de révolte très timide contre les créanciers. Il conviendra d’observer la réponse de ces derniers qui pourraient demander de réintroduire cette mesure ou immédiatement, ou lors du prochain « paquet » en novembre. Ce sera, en attendant, un test important pour un gouvernement qui, selon le ministre de l’Education Nikos Filis, cherche toujours à éviter le relèvement de 13 % à 23 % de la TVA sur l’enseignement privé par « des mesures alternatives. »

Obtenir la « compréhension » des créanciers

La stratégie d’Alexis Tsipras est cependant toujours la même. Du côté de l’opinion publique, affirmer que ces textes sont « mauvais », mais qu’il n’y a pas d’alternative et, du côté de la troïka, jouer parallèlement le « bon élève » pour obtenir ce qu’il est possible d’obtenir des créanciers. Son premier objectif est, évidemment, la négociation sur la dette qui aura lieu en novembre après la première revue de la troïka. Si l’idée d’une restructuration semble acquise, les conditions risquent d’être déterminées par d’autres considérations que les besoins grecs. Et Athènes veut être en position de force pour les négocier. Autre ambition : l’intégration de la Grèce dans le QE, le programme d’assouplissement quantitatif de la BCE pour réduire la récession qui s’annonce et dégager de nouvelles marges de manœuvre. Enfin, en cas de bonne surprise, Alexis Tsipras voudrait pouvoir utiliser à sa guise une partie de la « cagnotte » et il lui faudra pour cela une validation des créanciers.

Le mirage du plan européen de 35 milliards d’euros

Reste que la Grèce demeure à la merci de ses créanciers. La Commission européenne qui avait promis un « paquet exceptionnel » de 35 milliards d’euros pour la Grèce - en réalité des fonds bloqués pour raisons politiques - a annoncé le déblocage la semaine prochaine de... 800 millions d’euros. Alexis Tsipras avait beaucoup espéré de ce « plan » pour soutenir l’activité. Ce plan redevient ce qu’il n’a jamais cessé d’être : les fonds prévus pour la Grèce par le cadre budgétaire 2014-2020. Comme le plan Juncker, ce plan ne devrait guère être utile à la Grèce pour soutenir sa croissance.

Romaric Godin

* La Tribune. 15/10/2015, 18:05 : http://www.latribune.fr/economie/un...

Notes

[1] Voir sur ESSF (article 36157), Expulsions de propriétaires – Chypre cède à la troïka pour bénéficier du programme de rachat d’actifs publics de la BCE.

[2] http://www.elmundo.es/economia/2015...


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