Moins croire en Dieu avec la stimulation magnétique…

jeudi 11 février 2016.
 

Les neurobiologistes US prétendent savoir chercher des idées dans le cerveau. Ils auraient mis en lumière "une zone particulière qui joue un rôle important dans la détection et la gestion des conflits, notamment par le réconfort que procure la religion ou le repli identitaire lorsque nous sommes mis en présence d’une menace ou d’une opinion qui nous bouscule, notre système de pensée et nous."

Il suffit d’ouvrir un journal pour le constater car notre début de siècle en est une preuve à la fois sombre et éclatante : rarement, dans l’histoire récente, les idéologies telles que la religion et le nationalisme exacerbé ne se sont aussi "bien" combinées. Plus ou moins instrumentalisées par les professionnels de la peur, les menaces du monde renforcent le retour au religieux, la haine des différences, le racisme et la xénophobie. Non, "Passeur de sciences" ne s’est pas dans la nuit transformé en blog politique et si j’évoque le sujet des replis identitaires, c’est à la faveur d’un intrigant travail publié en septembre par la revue Social Cognitive and Affective Neuroscience.

La manière dont nous affermissons nos convictions idéologiques et dont nous nous y cramponnons comme à des bouées de sauvetage, lorsque la réalité de nos sociétés entre en trop grande dissonance avec l’image idéale que nous en avons, a en effet déjà été étudiée par les chercheurs en sciences politiques, en sociologie et en psychologie. Seule manquait une approche neurobiologique, la mise en lumière des mécanismes cérébraux à l’œuvre dans cette tendance, et c’est cette approche que l’article cité plus haut se propose d’aborder.

Fruit d’une collaboration entre des chercheurs de l’université de Los Angeles et de l’université d’York (Royaume-Uni), cette étude s’est intéressée à une zone particulière du cortex préfrontal impliquée dans l’identification des menaces et l’élaboration des réponses à y apporter. De précédents travaux ont notamment montré que, face à l’évocation de la mort, menace puissante s’il en est, mais aussi face à l’isolement ou au sentiment de ne pas comprendre la situation, cette région du cerveau s’activait et était associée à un réflexe de repli sur son groupe social ou ethnique ou bien à un désir de punition de ceux qui violent la norme. D’où l’idée qu’ont eue ces chercheurs de... désactiver temporairement cette zone pour voir si, en présence d’un contexte angoissant, les individus "neutralisés" auraient moins tendance aux replis religieux et identitaires.

Evidemment, pas question d’ouvrir la tête de quelques humains pour débrancher chirurgicalement cette partie du cortex... Les auteurs de l’étude ont eu recours à une méthode de plus en plus en vogue dans les laboratoires de neurosciences, la stimulation magnétique transcrânienne (SMT ou TMS selon l’acronyme anglais). Celle-ci consiste, à l’aide d’une bobine, à envoyer des impulsions magnétiques (qui traversent le crâne) vers le cortex, impulsions qui induisent une stimulation électrique des neurones visés. Comme on peut le voir sur cette vidéo, il devient ainsi possible de commander à distance les muscles du corps. On envisage également d’exploiter la SMT pour diagnostiquer voire traiter certaines pathologies (migraine, dépression sévère). Enfin, la troisième utilisation de cette technique, celle à laquelle l’étude a eu recours, consiste à inhiber certains neurones en créant ce que l’on peut schématiser comme une lésion artificielle – et temporaire – d’une zone particulière du cerveau.

Nos chercheurs ont donc recruté, sur le campus de l’université de Los Angeles, une petite quarantaine de volontaires sans problème neurologique, qui ont au préalable répondu à un questionnaire sur leurs convictions personnelles. La moitié d’entre eux a été affectée au groupe témoin, avec une SMT minime, tandis que l’autre recevait des impulsions magnétiques suffisantes pour réduire très nettement, et pendant une bonne heure, l’activité des neurones se trouvant dans la zone de gestion des menaces. Aussitôt après la SMT, on demandait aux participants d’écrire quelques lignes au sujet de... leur propre mort, afin de les mettre dans un état d’anxiété. Puis on leur demandait de lire deux textes visiblement rédigés par des immigrés "latinos" (aucune des personnes testées n’appartenait à ce groupe ethnique), l’un flatteur pour les Etats-Unis et l’autre critique. Les "cobayes" devaient ensuite évaluer à quel point ils étaient d’accord avec les auteurs de ces textes. Enfin, on mesurait leur degré de religiosité, à l’aide d’un questionnaire standard en psychologie, qui porte sur la croyance dans l’existence de Dieu, des anges, du paradis, etc.

Au terme de tous ces tests, les chercheurs se sont aperçus que les participants ayant subi une désactivation de la partie de leur cerveau qui gère les dissonances cognitives, avaient fait preuve de nettement moins d’hostilité envers l’immigré qui critiquait les Etats-Unis et l’avaient jugé plus sympathique (+ 28,5 %) que les membres du groupe au cerveau "indemne". Et que, face à l’idée de leur propre mort, les premiers avaient manifesté bien moins de conviction religieuse (- 32,8 %) que les seconds...

Pour les auteurs de l’étude, c’est la confirmation que cette zone particulière joue un rôle important dans la détection et la gestion des conflits, notamment par le réconfort que procure la religion ou le repli identitaire lorsque nous sommes mis en présence d’une menace ou d’une opinion qui nous bouscule, notre système de pensée et nous. Ceci dit, ces scientifiques restent prudents, notamment face à la faiblesse de leur échantillon (38 personnes au total), et ils précisent que leur travail se voulait avant tout une démonstration de faisabilité : montrer qu’il était possible de "neuromoduler" de manière expérimentale l’adhésion à un système de croyances fort.

Ils ajoutent que quantité de questions restent ouvertes. Sur la méthodologie d’abord : ces chercheurs expliquent qu’il faudrait réussir à reproduire les résultats sans évoquer la mort, qu’il faudrait aussi tester d’autres formes de convictions comme par exemple les positions politiques ou bien la conviction qu’il est nécessaire de défendre l’environnement ou les droits de l’homme. Les autres questions portent sur les détails du mécanisme neurobiologique mis en évidence durant ce test. Qu’a-t-on vu, qu’a-t-on provoqué exactement ? La stimulation magnétique transcrânienne, en désactivant cette zone du cortex préfrontal, a-t-elle fait apparaître les menaces comme moins dangereuses ? A-t-elle réduit le niveau d’anxiété auquel on monte face à des "agressions" de ce genre ? A-t-elle inhibé la capacité du cerveau à mobiliser les idéologies protectrices face à une menace ? Ou bien s’agit-il d’un mélange des trois ?

Pierre Barthélémy


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