Du ban des vendanges aux fondamentaux du moment politique

mardi 22 septembre 2015.
 

Pour peu je manquais la vendange. Car j’avais compté, à l’ancienne, qu’elle commencerait bien plus tard : en octobre, comme du temps de mes vingt ans. Car à vingt ans, à moins que ce soit avant, j’échangeais des bécots entre les pieds de vigne avec ma vendangeuse. Le petit matin était celui de l’automne et tout ce qui va avec au village. On sortait vers les parcelles à travailler, perchés sur le plateau de la remorque et le tracteur allait au petit pas d’un cheval dans les chemins, entre les haies rougissantes. J’en étais resté là où se bloquent les images du passé, surtout si elles sont agréables. Souvenir trompeur. Claude m’a rassuré : cette erreur est normale.

Depuis quarante ans, le ban des vendanges ne cesse d’avancer. Lui-même a eu à en connaître dans sa vie privée. En 1979, il avait fixé le jour de son mariage quinze jours avant la date prévue. Il en fut pour son compte car cette année-là déjà on dut commencer plus tôt la récolte. Depuis, il a été témoin permanent et direct des effets du réchauffement climatique. Le ban est passé d’octobre à août en quarante ans. D’après lui le phénomène s’est accéléré à partir de l’an 2000 où la bascule s’est faite avec le passage du ban de septembre à août. La pointe fut en 2003 où l’on vendangea le 13 août. Depuis, la date erre dans la dernière semaine avant la rentrée de septembre. D’ailleurs, ce jour de ma présence est le dernier de la vendange, jeudi 10 septembre. On travaillait sur une parcelle de Chardonnay. Avec le Savagnin, le Poulsar, le Pinot et le Trousseau, ce sont les cépages du Jura. Je les mentionne, car tandis qu’on allait et venait entre les rangs de la vigne, Claude me confia : « je ne suis pas certain de ce que je vais te dire, mais j’ai observé que le grain du savagnin a tendance à rétrécir. Je me demande si c’est lié à cette augmentation de la température. Tu sais, cette année on a eu plus de 47 degrés dans ma cour à Maynal ! Le savagnin, c’est un cépage de septentrion, pas sûr que cette grosse chaleur lui convienne longtemps. Je me demande si ça va durer ». En fait j’étais là, chez Buchot à Maynal pour compléter une enquête et un petit film vidéo sur le vin commencé depuis déjà quelques temps, je veux dire depuis 2009. Vous en aurez bientôt des nouvelles. Je compte repartir des images déjà présentées sur ce blog. On prépare ça pour ma « chaîne YouTube » où seront dorénavant présentées, en doublon de Dailymotion, toutes mes vidéos.

L’enquête que je voulais avancer concerne le potentiel réel de l’agriculture bio dans le secteur viticole. Mon engagement avance dans deux directions. D’un côté je défends le système de la viticulture de notre pays, son système des appellations contrôlées avec ses exigences et ses limites. Je m’oppose donc à la logique du commerce « libre et non faussé » de ce que l’Union Européenne appelle des « liquides alcoolisés aromatisés » ! Pour « l’Europe qui nous protège », il s’agit en effet démanteler le système des appellations contrôlées parce qu’il limite les droits de plantation de la vigne et réserve les appellations à certains vins produits dans des conditions précises et sur des parcelles précises. Mais d’un autre côté, je m’engage aux côtés des producteurs de vin bio ou de vin naturel. Ceux-là sont aussi dans un rapport critique aux méthodes de productions fixées pour lesdites appellations contrôlées, essentiellement pour ce qui concerne l’usage des produits chimiques. La chimie et l’agriculture, ce n’est pas un petit sujet. On commence seulement à s’en rendre compte dans le grand public avec le cas spectaculaire de la condamnation de la firme Monsanto reconnue coupable du cancer professionnel d’un agriculteur et d’autres cas similaires. La chimie dans l’agriculture impacte en effet le produit agricole, la terre des parcelles traitées, l’environnement large par les eaux, mais aussi ceux qui manient les produits.

Dans un pays record d’Europe de l’usage des pesticides, il faut savoir que si la vigne n’occupe qu’à peine 3% des terres agricoles exploitées, elle absorbe 35% des produits chimiques déversés. Peut-on produire autrement, avec beaucoup moins de produits chimiques, voire même sans eux ? Dans ce domaine, le test du concret est décisif. Claude Buchot a mis au point toute une série de produits à partir des plantes et d’autres intrants naturels avec lesquels il traite ses vignes, assumant seul la prise de risque de l’échec que toute innovation contient. Ici, s’il échoue, le vigneron ne peut faire comme le banquier et présenter son ardoise à l’État et aux contribuables. On a donc filmé ses explications. C’est assez passionnant. Il s’est débarrassé de l’oïdium, un champignon qui ruine la vigne partout ailleurs et contre lequel la lutte consiste à déverser des tonnes de produits chimiques. J’en reste là car je ne veux pas déflorer les nouveautés de notre vidéo en cours de montage. Pour moi, ce déplacement était une séance de formation. Je voulais m’assurer de ce que je veux intégrer dans mes discours à venir sur le thème de l’agriculture. Plus radical que moi, j’ai retrouvé, parmi les vendangeurs de Claude Buchot, Gabriel Amard, le secrétaire national du PG qui a déjà mené une lutte exemplaire sur l’eau et contre les grands projets inutiles. Le sécateur à la main, travaillant et bavardant, je l’ai vu faire un stage/enquête pratique en quelque sorte.

Mon parcours dans les questions agricoles a commencé dans le Jura déjà quand j’ai tenu la rubrique du « Jura rural » au journal Les Dépêches. Puis au Parti de Gauche où je fus vite pris en main par Laurent Levard, responsable national en charge de cette question et qui est le rédacteur du programme du parti sur ce thème. C’est à lui que je dois ce fait étrange pour un parti aussi urbain que le nôtre d’avoir eu pour premier programme mis en bonne et due forme, celui pour l’agriculture, nous plaçant dans le peloton de tête de ceux qui ont une vision globale et construite sur ce sujet. On connaît aussi les raisons d’actualité qui m’y conduisent. Cela ne suffit pas pour vous dire comment je me suis pris d’intérêt pour ce domaine d’activité. Je ne veux pas cacher qu’à mes yeux, c’est là un combat culturel. Parmi les productions agricoles, le vin occupe une place spéciale. La majorité des gens comprend qu’il s’agit d’un produit chargé de savoirs et d’éducation, qu’il s’agisse de ce qui sort des barriques le moment venu de tirer le vin ou de sa culture sur pied. Mais il y a aussi pour finir de la personne qui lèvera son verre pour examiner la robe du vin qu’il va boire. Je nomme culture dans ce cas l’ensemble de ce que je viens de citer, ce qui n’est pas tout à fait la description académique qu’on peut en donner, j’en conviens. Mais ici la classe moyenne urbaine instruite rejoint la paysannerie du vin dans une compréhension commune des enjeux. Ce qui en fait pour moi un terrain de lutte idéologique passionnant, sans bien sûr en dédaigner aucun autre, je m’empresse de le dire, pour essayer de m’épargner l’acrimonieux catéchisme de tous ceux pour qui, quoiqu’il en soit, ce n’est jamais le bon sujet, la bonne formule, le bon moment. Qu’ils se rassurent.

La lutte pour le bon vin est une lutte anticapitaliste dans sa dimension la plus anthropologique. Car pour le capital financier investi dans la viticulture, l’enjeu ce n’est pas le produit mais le consommateur qui doit avoir envie de l’acheter. Le capital financier n’est pas aussi limité qu’un Hollande déclarant que « l’offre créé la demande ». Il sait que c’est l’inverse. Il s’est donc employé à reformater son goût, c’est à dire ses papilles, son corps en définitive. Le goût mondial est en marche à travers l’être humain reconstruit que les multinationales de l’agroalimentaire fabriquent sans le dire. Dans la douceur du jour qui flamboyait sur ce coteau on parlait philosophie avec Claude Buchot. La veille, son jeune compère Valentin Morel, jeune vigneron bio à Poligny, m’expliquait comment le pari pascalien s’appliquait à ses techniques, quand bien même n’était pas faite la vérification scientifique de certaines méthodes pourtant efficaces. Je lui répliquais qu’il n’y avait pas besoin de métaphysique dans ce cas. Le critère de la science est l’expérimentation et du moment qu’à une cause A suit un effet B, et que l’expérience est renouvelable autant de fois qu’on la tente et que l’on en obtient le même résultat, alors tout est bien. On conclut en riant tous que la métaphysique et l’irrationnel sont du côté des politiques publiques austéritaires qui n’ont jamais redressé aucun pays aussi souvent qu’on en ait fait l’expérience. Les gourous libéraux et leurs sectes économiques ont donc marabouté les ministres et les fonctionnaires. Hypothèse aimable car on pourrait en formuler d’autres plus sonnantes et trébuchantes, plus pantouflantes, n’est-ce pas ?

Du vin aux fondamentaux du moment politique, il n’y a qu’un bref chemin. Valentin étant jeune papa, je me demande s’il gardera des bouteilles de la cuvée de cette année 2015 pour en régaler la noce de l’enfant quand le moment sera venu. J’y pense parce que Claude m’a fait l’honneur d’une visite privée dans sa cave personnelle. Au mur sont alignés les casiers avec l’indication de l’année. Vous y voyez des bouteilles en rangs. J’y ai vu l’histoire d’une vie et de ses produits. Mes livres ne tiendront pas si longtemps je crois. D’où peut-être cette pensée de Pasteur, le grand homme des vaccins, qui déclara : « il y a plus de sagesse dans un litre de vin que dans mille livres ». Je ne partage pas cet extrémisme œnophile. Louis Pasteur était un gars d’Arbois Je mets cette saillie sur le compte d’un slogan publicitaire que j’ai vu sur les murs il y a bien des années : « le vin d’Arbois, plus ou en boit plus on va droit ». On voit l’égarement ! Quand à Louis Pasteur on lui sera reconnaissant pour toujours d’avoir mis en formules scientifiques tout le procédé de la vinification, ce qui fait de lui le digne descendant de Magon, le « Tunisien » de l’antiquité qui rédigea le premier manuel d’œnologie.


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