Manu Chao à la Fête de l’Humanité  : «  Personne ne quitte son pays le sourire aux lèvres  »

mardi 15 septembre 2015.
 

Le chanteur globe-trotteur va donner un concert événement, samedi, sur la grande scène. Un show festif et conscient pour lequel il nous a accordé un entretien exclusif où il parle de la Grèce, des Indignés, des migrants, de son combat contre le géant de l’agrochimie Monsanto et de la Fête.

Vagabond magnifique, combatif et engagé, Manu Chao aime parcourir le monde pour aller chanter auprès des gens de la rue. De retour d’une grande tournée en Europe, il fait halte à la Fête de l’Humanité à l’occasion d’un concert exceptionnel avec son groupe La Ventura. La Fête, où il jouera pour la troisième fois après ses concerts mémorables de 2001 et 2009, qui avaient déplacé des foules énormes.

Vous vous faites de plus en plus rare en France. Vous êtes toujours en tournée. De quels pays revenez-vous  ?

Manu Chao On revient d’Andalousie où on a joué à Malaga. Cet été, on a beaucoup tourné en Europe, dans les pays des Balkans, Serbie, Croatie, Slovénie, Macédoine, Grèce, le sud de l’Italie, où on a fait des concerts dans des petits villages. On a aussi été en Allemagne, Pologne, Irlande, à Dublin, et on a fait un petit concert en France à Gignac (Lot) au festival Ecaussysteme. Avant, on était en Colombie, en Argentine. On y va petit à petit, selon les occasions qu’il y a dans chaque pays.

En mars, vous vous êtes produit à Leticia en Colombie, dans la forêt amazonienne. Est-ce à dire que la cause environnementale vous semble la plus importante en ce moment  ?

Manu Chao Malheureusement, des thèmes importants, il y en a tellement  ! Mais, c’est sûr qu’en Amérique du Sud, on est très activiste. Il y a un mouvement important «  No à la mina  » qui mène un combat contre les mines multinationales. La situation est assez dramatique en Amérique latine. Dans le cas de Leticia, c’est l’Amazonie colombienne où, pendant longtemps, il y a eu un problème de sécurité qui fait qu’il était difficile d’accéder à la région. Aujourd’hui, ça s’est un peu arrangé, mais c’est triste de voir que les premiers à venir, ce sont les multinationales pour piller les ressources. On travaille beaucoup avec les gens là-bas, parce que ce problème est criant. C’est intéressant de se rendre compte que, quand on parle d’entreprises multinationales minières, il n’y a pas de gauche ou de droite. Ils sont tous vendus  ! Un autre combat sur lequel on est très présent, c’est celui pour les semences libres et – je mesure mes mots – de la «  guerre  » contre Monsanto. On est très solidaire avec les habitants de Malvinas, un village en Argentine, à côté de Cordoba où se trouve l’une des plus grandes usines de Monsanto, qui, pour le moment, est bloquée parce que les activistes campent devant et ne laissent pas l’usine travailler, depuis pratiquement deux ans. En novembre, on a fait un concert pour financer le campement.

C’est un combat que vous comptez évoquer à la Fête de l’Humanité  ?

Manu Chao À la Fête de l’Huma, on veut aussi que notre micro serve à ce combat contre Monsanto. Des activistes du Burkina Faso vont venir car il y a une grosse mainmise de Monsanto sur l’agriculture. Il y a plein de gens qui se révoltent. Ils seront à la Fête, présents sur scène avec nous.

À chacun de vos passages à la Fête de l’Humanité, vos concerts ont fait événement et déplacé des foules énormes comme en 2001 et 2009. Comment expliquez-vous ce rapport très fort que vous entretenez avec le public de La Courneuve  ?

Manu Chao Avec La Mano Negra, on a dû faire au moins deux fois la Fête de l’Huma. Et sous mon nom, ça doit être la troisième. Sans compter les fois où j’y suis allé en tant que spectateur  ! Avant même d’être un musicien et que l’on m’appelle pour aller faire des concerts à droite à gauche, la Fête de l’Huma, quand on était minot, était toujours une bonne occasion de pouvoir voir des groupes super intéressants à des prix accessibles (rires) ! Il y a une ambiance particulière qui me convient et que j’ai toujours aimée.

Vous vivez à Barcelone. Vous suivez un peu ce qui se passe politiquement en France  ?

Manu Chao Pour tout vous dire, la politique de la France ne m’intéresse pas foncièrement en ce moment. Je suis beaucoup plus intéressé par la politique en Grèce. Là-bas, il y a un front qui s’est ouvert, qui n’est pas simple, mais les lignes ont bougé. Il y a au moins quelque chose qui se passe. C’est un sujet un peu plus intéressant (sur le fait que les choses peuvent un jour bouger) que la politique officielle de la France aujourd’hui qui est la même qu’il y a cinq ans, dix ans, vingt ans. Je parle de la politique «  officielle  » car il est évident qu’en France, il y a aussi énormément de gens qui, au niveau local, se bougent. C’est passionnant. C’est ce que nous faisons, nous, un peu partout. Cette politique-là, de terrain, des activistes, est, je pense, de plus en plus présente, non seulement en France, mais un peu partout en Europe et dans le monde. C’est celle-là dans laquelle je crois.

Vous étiez en Grèce au moment du référendum. Que vous ont dit les gens sur la situation  ?

Manu Chao J’ai rencontré des gens courageux. Des gens qui sont vraiment dans la merde mais qui savent qu’il va falloir bouger les lignes. Il y a une terrible injustice. Ce n’est pas faux de dire que cette dette est illégale. C’est toujours les mêmes qui paient les pots cassés, qui vont payer la facture. Au moment du référendum, j’ai vu un pays super courageux qui a dit «  non  »  ! Ensuite, il y a toute cette incompréhension de ce qui s’est passé au niveau gouvernemental. Tout le monde a été un peu déçu par les décisions prises deux jours après. Mais ce que j’ai vu, c’est un pays vraiment déterminé à dire «  non  » à une dictature de l’argent, des banques.

Ça bouge aussi en Espagne avec les victoires remportées aux dernières élections par des personnalités issues du mouvement des Indignés…

Manu Chao C’est intéressant de voir ce qui va se passer politiquement à Barcelone. Ada Colau, la nouvelle maire, a été sur tous les trottoirs de Barcelone, à défendre les gens expulsés. Elle a vraiment été sur le terrain pendant des années de manière extrêmement courageuse, face à la police, jour après jour. Qu’est-ce qui va se passer  ? On va voir. Ça ne va pas être facile, comme en Grèce. Elle va se faire tirer dessus à boulets rouges. Je dirais que sa couleur politique est l’indignation de la rue, plus que la colère parce que ce n’est pas une femme colérique. Il y a Madrid, Valence, La Corogne en Galice, beaucoup de grandes villes de l’État espagnol ont bougé. On va vivre des époques intéressantes, ici. Ça va être un labo. Il y a beaucoup d’espoir de la part des gens et je m’inclus dedans. Mes voisins, tous très différents, ont voté pour quelque chose d’autre, ils y croient et vont s’impliquer. On sait qu’en face on va avoir un ennemi très puissant qui va tout faire pour détruire l’histoire, comme ils ont fait en Grèce. Ce sont des choses qui se passent dans le sud de l’Europe, la Grèce, l’Espagne, qu’on ne voit pas ailleurs, y compris en France.

Êtes-vous optimiste  ?

Manu Chao Il y a plein de gens intéressants qui ont pris des postes importants au niveau institutionnel. On va voir si les choses peuvent bouger à ce niveau-là. Peut-être que tout est déjà complètement sclérosé. Je pense, de toute façon, que les dés sont pipés. On sait depuis longtemps qu’on vote tous pour des gens, même s’ils sont de bonne volonté, qui n’ont aucune possibilité de changer les choses parce que ce n’est pas eux qui ont le pouvoir. On vote dans une fausse démocratie. Le pouvoir, c’est l’argent et le monde de l’argent. Il est clair que le jeu démocratique est complètement faussé. Ce qui s’est passé en Grèce est quand même significatif. Plus de 60 % de la population a voté «  non  », et le lendemain même, la Grèce a accepté les conditions de l’Europe. Je n’ose même pas imaginer les pressions qu’il y a eu dans la nuit  ! C’est quand même surprenant. Mais bon, il faut toujours penser que la vie est passionnante, qu’il faut voter, toujours y croire et faire les choses tous ensemble, chacun avec les moyens qu’il a, pour être honnêtes avec nous-mêmes.

Chanteur-citoyen du monde comme vous l’êtes, c’est continuer à résister  ?

Manu Chao Je suis chanteur parce que c’est ma passion et mon métier. Citoyen, je le suis parce que je suis vivant. Chacun avec son savoir-faire est forcément citoyen. On vit dans un monde où il faut, à chaque minute, se positionner. Je pense que le plus important c’est l’acte économique. Ceux qui détiennent le pouvoir économique, ce qu’on pense, ils s’en fichent complètement, du moment qu’on va au supermarché et qu’on achète. La bataille la plus intéressante, je crois que c’est celle du consumérisme. C’est la bataille de l’autosuffisance et chercher à être le plus autonome possible au niveau des quartiers, pour zapper l’économie de marché. Ce n’est pas du 100 % évidemment, mais ce sont des petits détails qui comptent. Les potagers urbains, l’entraide entre voisins. Sur quatre rues, on peut être rapidement autonome. Il y a plein de quartiers où ils ont commencé à casser les règles. Le seul moyen de leur faire peur, c’est de ne pas acheter, parce que tout leur système est basé là-dessus, sur la consommation. C’est comme cela qu’on pourra commencer à changer les choses.

Que chanterez-vous à la Fête de l’Humanité avec votre groupe La Ventura  ?

Manu Chao Je ne sais pas encore. Notre répertoire est ample et on est un groupe multifacette. Je suis en France depuis quelques jours. J’ai besoin de vivre un peu le trottoir français pour voir ce que je vais chanter. Je vais sûrement inclure plein de potes, des musiciens qui vont venir. Je vais parler de Monsanto, mais la Fête de l’Huma, c’est dans le 9-3 où il y a un millier d’autres vrais problèmes. C’est la précarité, les problèmes de logement – c’est pour ça que le travail du DAL est important. Le 9-3, c’est avoir des papiers ou pas, ce sont d’autres réalités.

Comme le drame vécu par les migrants…

Manu Chao C’est une tragique Cocotte-Minute. Ce n’est pas nouveau, ça fait des années que ça dure. La chanson Clandestino que j’ai écrite date de 1996-1998. Il y avait déjà une pression terrible et des drames partout. Presque vingt ans après, la pression est encore plus forte, les tragédies sont encore plus nombreuses. Il y a de plus en plus de personnes qui meurent pour arriver dans un monde qu’elles croient meilleur et qui est évidemment meilleur, parce que, là-bas, c’est la vie ou la mort pour les pauvres. Et cela ne fait qu’empirer. Ça montre que, politiquement, vouloir fermer les frontières de l’Europe, ça ne fonctionne pas.

Y a-t-il une solution  ?

Manu Chao La solution, c’est de donner une chance à tous ces pays de pouvoir se développer par eux-mêmes. Cela permettrait une stabilité et donnerait une vie digne à leurs citoyens. Mais ce n’est pas le genre de projet qui intéresse l’Occident, qui a besoin, pour vivre bien, de vampiriser le reste de la planète. Le problème, c’est que les politiques ne pourront pas prendre de décisions tant que l’économie sera le maître du jeu. Il n’y a aucune entreprise multinationale minière, par exemple, qui voudra améliorer la situation des pauvres mecs qui travaillent dans les mines dans des conditions effroyables, les salarier, leur donner une vie décente. Ça ne les intéresse pas  ! Donc, ces gens-là, qui travaillent dans les mines, ont vu leur père crever à la mine et leur frère crever à la mine, ils veulent partir. Je pense que personne ne quitte son pays le sourire aux lèvres.

On dit que vous pourriez sortir un album en 2016. Vous confirmez  ?

Manu Chao Je ne suis pas au courant (rires) ! Je ne prépare rien du tout, je vis. J’enregistre beaucoup. J’ai plein de nouvelles chansons. Il y a une vie créative assez saine, je pense, mieux que jamais. Mais sortir un album, non. On sortait des albums il y a dix ans, vingt ans. C’est un vieux concept ça  ! Le nouveau répertoire, on le fait vivre sur scène. Tous les jours, je chante sur un bout de trottoir, chez les gens, dans les bars. Mes chansons sont vivantes, au ras du trottoir. Je ne me sens pas la nécessité de les propulser mondialement à coups de forceps. L’important, pour moi, est l’endroit où je chante ma chanson, le fait qu’elle touche au cœur et à la sensibilité des personnes qui sont autour de moi. À partir de là, il y a toujours quelqu’un qui va filmer et la mettre en ligne sur Internet. Au moment du référendum en Grèce, j’ai fait une petite vidéo de 30 secondes pour « oxi », le «  non  », qui a été beaucoup vue sur le Net. On a tous été extrêmement surpris de la répercussion que ça a eu. Depuis quelques années, c’est ainsi que je vis. Mes chansons voyagent comme ça et font le tour du monde par le biais d’un tas de petits réseaux parallèles.

Entretien réalisé par Victor Hache, L’Humanité


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