Israël-Palestine : « Le grand écart de la France »

vendredi 4 septembre 2015.
 

Maurice Buttin, Olivia Elias et Gérard Toulouse (1) pointent les incohérences de la politique française. « (...) si la France veut jouer un rôle positif dans la résolution du « conflit » israélo-palestinien, elle doit procéder à un réexamen de tous les aspects de sa politique, suivi d’actes concrets et de sanctions afin de mettre fin à l’impunité d’Israël. »

Il a fallu presque vingt ans, pour que la France admette que la manière dont l’allié américain et le Quartet intervenaient dans les négociations directes de paix, constituait la négation même d’un processus de médiation. Laurent Fabius a donc pris son bâton de pèlerin afin de convaincre la communauté internationale de fixer un cadre plus précis à la négociation et de jouer plus efficacement son rôle d’accompagnateur.

A ce jour, il n’y a toutefois aucun signe que la condition posée pour présenter la proposition française au Conseil de Sécurité (aval des Etats-Unis) soit satisfaite. De son côté, Benjamin Netanyahou, l’a, sans surprise, immédiatement rejetée. Le Premier ministre israélien n’a, au demeurant, jamais rien voulu qui permette aux Palestiniens de sortir du piège mortifère dans lequel ils se trouvent enfermés et dont Israël profite pour accaparer toujours plus de leurs terres et de leurs ressources.

En attendant, en Palestine occupée, la colonisation se poursuit avec son cortège de violences et de décisions arbitraires, d’assassinats et de spoliations. Les réfugiés palestiniens désespèrent, notamment ceux qui subissent de plein fouet les conséquences de l’anarchie et du chaos régnant dans les pays voisins. Quant aux Palestiniens vivant en Israël même, ils font l’objet de discriminations croissantes.

La France s’obstine, pourtant, à miser sur les démarches diplomatiques sans les assortir d’un volet économique et financier d’accompagnement, contrairement à ce qu’elle fait dans d’autres cas : Iran, Russie, etc. (2)

Pas un jour ne se passe sans que des ONG, des syndicats, des universitaires ou de simples citoyens ne demandent au gouvernement français d’intervenir autrement que par des paroles afin de mettre fin au déni des droits des Palestiniens.

Mais nos responsables continuent de détruire d’une main ce qu’ils entendent construire de l’autre : la possibilité pour les Palestiniens d’exercer leur droit à l’auto-détermination et de vivre dans la liberté, la dignité et la sécurité, conformément aux résolutions des Nations unies. Ce grand écart touche tous les grands domaines d’intervention de l’Etat.

Respect des droits de l’homme et des engagements internationaux

Le mépris des autorités israéliennes à l’égard des droits individuels et collectifs des Palestiniens et de leurs engagements internationaux, à commencer par ceux contractés pour être admis à l’ONU en 1949, est constant et généralisé. Les valeurs/principes démocratiques ne concernent que partiellement les Palestiniens vivant à l’ouest de la Ligne verte et pas du tout ceux vivant dans la prison de Cisjordanie ou le ghetto de Gaza.

En tant qu’Etat partie à la 4ème Convention de Genève, membre du Conseil de Sécurité et de l’Union européenne, la France a le devoir de faire en sorte que ces violations et ces discriminations cessent. Or, depuis des décennies, elle se contente de condamnations verbales. Le délai de dix-huit mois envisagé pour reconnaître l’Etat de Palestine revient à accorder autant de temps aux Israéliens pour franchir de nouvelles lignes rouges.

Sur le plan des relations commerciales, même constat : pas d’action diplomatique pour interdire l’entrée des produits des colonies illégales en France et en Europe et pour suspendre l’accord d’association UE-Israël, pourtant soumis au respect des droits de l’homme en Palestine occupée. Au lieu de cela, la France a soutenu l’approfondissement des relations décidé en 2012. Une mesure aussi simple que l’étiquetage des produits des colonies, en vigueur au Royaume Uni depuis déjà six ans, est toujours à l’étude en France.

Sur un autre plan, les ventes et achats d’armes se poursuivent comme si les crimes de guerre israéliens et l’occupation n’existaient pas. Enfin, que propose la France pour mettre fin à la violence, structurelle et quotidienne des colons ?

Responsabilité sociale et environnementale

Compte tenu de la « vision ambitieuse » de l’Etat français, on s’attendrait à ce qu’il déploie d’intenses efforts pour sensibiliser les entreprises aux répercussions de leurs activités sur les populations vivant dans des zones de conflit, notamment lorsqu’il en contrôle totalement ou partiellement le capital. S’agissant du « conflit » israélo-palestinien, force est de constater la faiblesse de l’action engagée. Quelques exemples : France Télévision diffuse les annonces publicitaires de SodaStream ; Orange peine à mettre fin à ses relations avec Partner ; Thalès coopère activement avec l’industrie de la défense israélienne ; Veolia est impliquée dans le tramway de Jérusalem et Dexia dans le financement des colonies.

Pourtant, partout dans le monde, des fonds d’investissement parmi les plus importants, des fonds de pension, des églises vendent leur participation dans les entreprises, israéliennes ou non, qui soutiennent la colonisation ou le complexe militaro-industriel israélien. La Commission européenne, le Brésil, des villes et des universités refusent de renouveler/signer des contrats avec Veolia ou G4S.

Droits et devoirs des citoyens français

Au lieu de lutter contre les violations des droits de l’homme en Israël et en Palestine, les autorités - se fondant sur une interprétation abusive de la loi sur la liberté de la presse et les circulaires Alliot-Marie et Mercier - engagent des poursuites à l’encontre de citoyens favorables au boycott des produits des colonies et/ou d’Israël. Les tentatives de restreindre la liberté d’expression touchent aussi l’université, où le débat sur l’ensemble des questions évoquées est rendu très difficile.

Dans le même temps, des groupuscules d’extrême droite, soutiens inconditionnels de la politique israélienne, s’en prennent à des citoyens « coupables » de défendre les droits des Palestiniens ou suspects de tels actes, sans entraîner de réaction des pouvoirs publics. En Israël même, les expulsions de militants pacifistes, d’élus et de simples touristes, désireux de se rendre en Palestine occupée, se multiplient alors que les colons violents entrent librement en Europe contrairement aux recommandations des Consuls en poste à Jérusalem. Enfin, on remarquera l’absence de textes et de mesures à l’intention des citoyens français qui envisagent de s’installer dans les colonies israéliennes illégales ou de servir dans l’armée israélienne.

En conclusion, si la France veut jouer un rôle positif dans la résolution du « conflit » israélo-palestinien, elle doit procéder à un réexamen de tous les aspects de sa politique, suivi d’actes concrets et de sanctions afin de mettre fin à l’impunité d’Israël. Le rapport que la Commission d’enquête internationale indépendante dans le territoire palestinien occupé a récemment soumis au Conseil des Droits de l’homme de l’ONU, adopté avec 5 abstentions et 1 voix contre, l’appelle à assumer ses responsabilités. Tout le reste n’est que posture et discours.

(1) Maurice Buttin, avocat honoraire et Président du Comité de Vigilance pour une Paix Réelle au Proche-Orient ; Olivia Elias, économiste et auteur d’essais sur la colonisation israélienne et le dé-développement de la Palestine, et Gérard Toulouse, physicien et ancien président du Comité permanent Sciences et Ethique d’ALLEA-All European Academies.

(2) Il n’a fallu que quelques semaines à la France et à ses collègues de l’Otan pour suspendre la coopération militaire et civile avec la Russie et quelques mois à la France et à l’UE pour mettre en place un large éventail de sanctions. Embargo sur les ventes d’armes et de matériel militaire russes ainsi que sur l’exportation de technologies à usage militaire ; interdiction des importations d’armement russes ; interdiction de nouvelles transactions sur les titres russes et d’investissement en Crimée dans certains secteurs (énergie, télécommunications, transports…) ; refus de délivrance de visas à certaines personnalités et entreprises ; suspension des programmes de coopération bilatérale de la Banque européenne de reconstruction et de développement en Russie.


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